Le nom caché par la superstition
Si le nom de Dieu est si peu connu d’un grand nombre de personnes, c’est à cause de la superstition qui s’est développée parmi les Juifs il y a de nombreux siècles. Les Juifs croyaient qu’il était mal de prononcer le nom personnel de Dieu. On ne sait pas avec certitude ce qui les a incités à adopter cette attitude. Certains prétendent que les chefs du judaïsme enseignaient que le nom de Dieu était trop saint pour être prononcé par des lèvres imparfaites. Selon d’autres, le but était d’empêcher les peuples non juifs de connaître ce nom et d’en faire éventuellement un mauvais usage. Pour d’autres encore, c’était pour éviter l’emploi de ce nom dans des rites magiques.
À quel moment cette superstition touchant l’usage du nom personnel de Dieu a-t-elle fait son apparition ? L’incertitude règne à ce sujet. De nombreux ouvrages de référence ont supposé que le nom divin avait cessé d’être employé vers 300 avant notre ère. À l’appui de leur conclusion, ils disent que le nom de Dieu ne figurait pas dans la Septante, première traduction des Écritures hébraïques en langue grecque, entreprise vers l’an 280 avant notre ère. Cela est-il exact ?
Il est vrai que les copies manuscrites de la Septante les plus complètes en notre possession adoptent uniformément la coutume qui consiste à substituer les mots grecs Kurios (Seigneur) ou ho Théos (Dieu) au nom Jéhovah (Yahweh). Mais ces manuscrits importants ne remontent qu’aux quatrième et cinquième siècles de notre ère. Or, on a récemment découvert de nombreux manuscrits plus anciens, mais sous forme de fragments, indiquant que les premières copies de la Septante renfermaient le nom divin.
Par exemple, il y a le fragment d’un rouleau de papyrus enregistré sous l’appellation Papyrus Fouad 266. Ce manuscrit contient la seconde moitié du livre du Deutéronome ; le Tétragramme y apparaît régulièrement, écrit en caractères hébreux. D’après les savants, ce papyrus remonte au second ou au premier siècle avant notre ère. Il est donc antérieur de quatre ou cinq siècles à la rédaction des manuscrits de la Septante mentionnés ci-dessus, qui ne contiennent pas le nom divin.
Commentant une autre découverte d’un ancien papyrus, le Dr Paul E. Kahle déclare : “L’écriture du papyrus contenant des fragments du Lévitique ii-v ressemble à celle du Papyrus Fouad 266, qui se caractérise — comme nous l’avons vu plus haut — par le fait que le nom de Dieu est rendu par le Tétragramme en caractères hébreux carrés (יהוה) et non par κύριος [Kurios], comme dans les manuscrits chrétiens de la Bible faits plus tard.” — The Cairo Geniza, 1959, pp. 222, 224.
Il y a donc des preuves évidentes montrant l’erreur de ceux qui pensent que le nom divin, du moins dans sa forme écrite, cessa d’être employé avant notre ère.
Quand la superstition se développa-t-elle ?
C’est au premier siècle de notre ère qu’apparaissent pour la première fois quelques indices du développement d’une attitude superstitieuse envers le nom de Dieu. Par exemple, Josèphe, historien juif du premier siècle issu d’une famille sacerdotale, après avoir parlé de Dieu révélant son nom à Moïse, ajoute : “Mais il ne m’est pas permis de rapporter quel est ce nom.” (Histoire ancienne des Juifs, traduction d’Arnauld d’Andilly, livre II, chapitre V, paragraphe 15). Cependant, la déclaration de Josèphe est plutôt vague. Elle n’indique pas clairement quelle était l’attitude générale et courante au premier siècle quant à la prononciation ou à l’emploi du nom divin.
La Mischna juive, recueil d’enseignements et de traditions rabbiniques, est un peu plus explicite. Sa compilation est attribuée au rabbin Juda le Patriarche, qui vécut aux second et troisième siècles de notre ère. Certaines parties de la Mischna rapportent clairement les conditions qui existaient avant la destruction de Jérusalem et de son temple en l’an 70 de notre ère. Cependant, il faut reconnaître que la valeur historique des traditions de la Mischna est discutable. Néanmoins, certaines de celles-ci nous donnent un aperçu de l’attitude apparente des Juifs envers l’utilisation du nom divin.
Concernant le jour annuel des Propitiations, Yoma, 6, 2, déclare : “Et quand les prêtres et le peuple qui se tenaient sur le parvis du temple entendaient le Nom exprimé sortir de la bouche du grand prêtre, ils s’agenouillaient, s’inclinaient et se prosternaient la face contre terre en disant : ‘Béni soit le nom de la gloire de son royaume d’éternité en éternité !’”
À propos des bénédictions quotidiennes formulées par les prêtres, Sota, 7, 6, dit : “Dans le temple, ils prononçaient le Nom tel qu’il était écrit, mais dans les provinces ils utilisaient un terme de remplacement.”
Énumérant ceux “qui n’auront pas part au monde à venir”, Sanhedrin, 10, 1, déclare : “Abba Saul dit : Aussi celui qui prononce le Nom selon ses propres lettres.”
Cependant, bien que ces deux derniers points de vue soient négatifs, on trouve également dans la première partie de la Mischna une exhortation positive selon laquelle “un homme doit saluer son prochain avec [en utilisant] le Nom [de Dieu]”, et l’exemple de Boaz (Ruth 2:4, AC) y est cité. — Berachot, 9, 5.
Considérées pour ce qu’elles valent, ces traditions révèlent une tendance superstitieuse à rejeter l’emploi du nom divin quelque temps avant la destruction du temple de Jérusalem en l’an 70 de notre ère. Il n’y a aucune preuve que cette superstition prévalait avant notre ère. Les faits disponibles indiquent qu’elle commença à se développer au plus tôt durant le premier ou le deuxième siècle de notre ère. Ainsi, il se peut fort bien qu’à l’époque de Jésus de nombreux Juifs avaient l’habitude d’utiliser le nom divin.