En Iran, un siècle de déchirements autour du voile
Par[url=/signataires/ghazal-golshiri/] Ghazal Golshiri[/url] Publié hier à 17h30, mis à jour à 08h27
Temps de Lecture 16 min.
RécitEntre interdiction et obligation, le hijab islamique est au cœur de l’histoire politique et religieuse de l’Iran. Il a marqué la vie des familles iraniennes, comme celle de Molouk, de ses enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants
Les femmes de la mer Caspienne ont toujours eu la réputation d’être plus libres qu’ailleurs en Iran. Hier comme aujourd’hui, elles s’activent dans les rizières, dos courbé, auprès des hommes. Elles boivent le thé avec eux dans la pénombre humide des tchaïkhanés. Dépenses, mariages, achats et ventes de biens immobiliers : les grandes décisions familiales se prennent rarement sans elles. Au point que les blagues populaires aiment à moquer la « soumission » masculine devant ces typiques et puissantes matrones chomali, du « nord » du pays.
Molouk était une fille de cette région verdoyante, au tempérament bien trempé. Ses enfants et petits-enfants – dont l’anonymat est nécessaire en ces temps de crise politique et de répression – se souviennent tous d’avoir entendu parler de ce fameux jour où leur aïeule avait osé dire non aux autorités. C’est une vieille histoire, le pays traversait une autre crise politique. Et, au milieu de tout ça, le voile de la jeune femme avait, déjà, été jugé « inapproprié ». Aujourd’hui, certains de ses descendants manifestent dans la rue en chantant « Femme, vie, liberté » ; tous sont solidaires de la contestation en cours.
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La naissance de Molouk a coïncidé avec l’année du coup d’Etat militaire, en 1921, qui balaye, à Téhéran, une dynastie Qadjar (1789-1925) corrompue et minée par les ingérences russe et britannique. Il marque l’ascension fulgurante du colonel de la Brigade cosaque persane, Reza Khan, futur chah d’Iran. A l’époque, alors que les familles ordinaires préparent leurs filles au mariage dès le plus jeune âge, Molouk étudie avec assiduité et la bénédiction de ses parents. Jusqu’à la remise des diplômes, un après-midi de juin 1936. Pour l’occasion, l’adolescente s’est parée de son plus joli foulard, comme toutes les écolières. Mais, sur l’estrade, la fierté vire à l’incompréhension : le directeur leur ordonne à toutes de retirer ce tissu qui cache leurs cheveux : « Ordre du chah ! »
Seule Molouk refuse et se voit renvoyée dans ses foyers, sans le précieux certificat. « En l’absence de ses parents, se dévoiler était inimaginable, croit savoir Massoud, l’un de ses petits-fils, qui frôle aujourd’hui la soixantaine. C’était un temps où, quels que soient leur milieu social ou leur religion, la très grande majorité des femmes se couvrait les cheveux, par pudeur. » Face à ce qu’il considère comme une insulte à la réputation de sa famille, le père de Molouk retire sa fille de l’école. Elle vient d’avoir 15 ans, ne finira jamais ses études et assistera, impuissante et jalouse, au parcours de l’une de ses amies, qui lui « volera » son rêve en devenant médecin généraliste.