Eya : "ma nouvelle vie en niqab"
Le Point.fr - Publié le 08/03/2012 à 09:40 - Modifié le 08/03/2012 à 10:26
Tunisienne de 22 ans, elle a troqué ses bracelets ornés de tête de mort pour le voile islamique. Rencontre.
Eya refuse de se faire prendre en photo. Ses yeux en amande, maquillés d'un trait d'eye-liner noir, se devinent derrière sa "moustiquaire", comme elle l'appelle. Eya, 22 ans, porte le voile intégral. Au grand dam de sa mère. "J'ai été choquée, mais je respecte sa liberté. Je ne peux pas l'obliger", témoigne Nadia, cheveux décolorés tenus par un serre-tête. Elle et son ex-mari ne sont pas pratiquants. Influencée ? Eya assure que non. "Elle a beaucoup trop de caractère pour cela", croit sa mère. Installées dans leur canapé, les deux femmes rient. "Quand elle était petite, elle me demandait : il est où Dieu ? Pourquoi je ne le vois pas ?" se souvient sa mère qui regrette de voir sa fille cacher son visage.
Fin 2011, Eya a troqué ses bracelets ornés de têtes de mort, ses jeans et tee-shirts noirs par le hijab, puis le niqab. Le rock et la "house music" par l'appel à la prière. Les grasses matinées par la prière de 5 heures. Sa soeur de 15 ans, Farah, fait de même. Et quand elle a demandé de porter le foulard, sa mère a dit non. "Elle est entraînée par sa soeur. Si elle le fait, je veux que cela vienne d'elle seule", justifie Nadia.
Mosquée et église
"C'est difficile de sacrifier sa féminité et une partie de sa vie sociale au nom de la religion", admet Eya. Avec ses copines, toutes portant le niqab, elles vont au restaurant, dans les cafés, font des soirées dans les appartements. "Je m'achète des habits, des sacs, me maquille. Quand je suis à la maison, on dirait que je vais à un mariage", déclare dans un éclat de rire cette jeune femme qui se fait appeler "Oum Islam". "Cela veut dire la mère d'Islam. Quand j'aurai un enfant, je l'appellerai Islam", sourit-elle. Plus jeune, Eya a étudié dans une école chrétienne de la Manouba, quartier de Tunis. C'est de là qu'elle tient une maîtrise parfaite de la langue de Molière. Curieuse, elle s'est rendue "au moins deux fois" à la messe. "C'était dans une église protestante. J'aimais bien, les gens chantaient", rigole-t-elle, mimant spontanément les scènes de gospel.
Sa révélation, elle l'a eue alors qu'elle effectuait des recherches sur la théorie du Big Bang. Intéressée par l'astronomie, elle est tombée sur un verset du Coran. "Dieu a dit que la Terre et le ciel étaient nés d'une seule union... Comment un livre écrit il y a 14 siècles peut en parler ?" s'interroge cette étudiante de la faculté des sciences d'al-Manar, quartier résidentiel où elle vit. Que la religion et la science s'opposent, elle n'en a cure.
"Admiration" sans faille à Dieu
Pendant des semaines, elle a fait des recherches sur ce que disaient les prédicateurs musulmans. Vérifier, confronter, adhérer. Depuis elle voue une "admiration" sans faille à Dieu. Sa mère émet un doute à cette version et pense que le divorce avec son ex-mari, intervenu un an plus tôt, y est pour quelque chose. Rires de sa fille. "Seule une telle admiration pour Dieu peut me faire faire autant de sacrifices et résister ainsi aux tentations", soutient-elle avec détermination, évoquant le paradis et la vie après la mort promis aux plus pieux.
Elle a commencé à se tourner vers la religion en novembre. Au même moment éclataient les premières tensions à la faculté des lettres de la Manouba, épicentre de la division de la société tunisienne. Des étudiantes, vêtues du voile intégral, n'avaient pas pu passer leurs examens. Elle en avait entendu parler, mais cette "révoltée", comme la qualifie sa mère, assure que "cela n'a rien à voir".
Ce 7 mars, alors que deux étudiantes ont été renvoyées en début de semaine et que l'une d'elles déclare avoir été frappée par le doyen, Eya s'est rendue avec ses "frères et soeurs" sur le campus, pour la soutenir. Ce même jour, un salafiste a remplacé le drapeau tunisien qui flotte à l'entrée de la faculté par celui du parti Hezb Et-Tahrir. "Il n'aurait pas dû. La plupart d'entre nous étions contre. Des vidéos doivent déjà circuler sur Facebook", regrette-t-elle. "Et bien sûr, ces vidéos ne doivent pas montrer qu'un de nos frères est monté après pour remettre le drapeau tunisien..."
Charia et fidélité
Drapée de noir, elle estime que la journée du 8 mars est "une manière de montrer que les femmes existent. On est là et on est des citoyennes comme les autres." Sa plus grande crainte ? "L'interdiction de pouvoir étudier, circuler librement." Sous Ben Ali, les islamistes étaient réprimés, emprisonnés voire torturés. L'an prochain, elle souhaite poursuivre ses études de sciences, mais étudier en parallèle la charia dans une école d'Ennasser, quartier résidentiel de Tunis.
Pour celle qui se déclare contre Ennahda, la charia doit guider la société. "Ennahda ? Je n'ai pas confiance en eux. Ils passent leur temps à dire un truc et à le démentir le lendemain. Depuis ma naissance, je n'ai connu que Ben Ali. Nous n'avons pas eu de culture politique", souligne-t-elle. Eya n'a pas voté le 23 octobre. "Avant les élections, ils nous ont fait tous les yeux doux. Mais qu'est-ce qui prouve qu'ils vont faire ce qu'ils ont dit ?" La polygamie ? Elle est contre. "Un homme doit subvenir aux besoins de ses femmes de manière égale. C'est impossible maintenant à cause du chômage."
Sa mère est pour. Cette Algérienne a "un cousin qui a plusieurs femmes". Eya finira par laisser tomber le niqab, lui a dit un autre cousin. Originaire d'Annaba, elle ne peut s'empêcher de faire le parallèle avec "les hommes qui le portaient pour poser des bombes durant la guerre d'Algérie". Sa crainte ? "Que des personnes malveillantes influencent certains de ces jeunes." Une crainte balayée d'un revers de la main par Eya. Tous les ans, elle se rend en Algérie. Sa famille n'approuve pas sa nouvelle tenue vestimentaire. L'an dernier, ses cheveux volaient au vent. En mars, elle y retourne. Une nouvelle épreuve l'attend. Elle le sait.