Voile à l'université - Jean-Louis Bianco : "Il faut user de la loi à bon escient"
Le Point.fr - Publié le 05/11/2013 à 13:11 - Modifié le 05/11/2013 à 18:17
Faut-il une loi protégeant l'université des dérives fanatiques ? C'est l'avis de Brighelli. Mais pas celui du président de l'Observatoire de la laïcité. Rencontre.
L'Observatoire de la laïcité, présidé par Jean-Louis Bianco, a réagi avec célérité à ma double interview d'Alain Seksig et de Jean-Louis Auduc, membres de l'ex-mission laïcité du Haut Comité à l'intégration. Plutôt que de reproduire des commentaires qui renvoyaient nécessairement aux questions que j'avais posées, j'ai préféré demander à Jean-Louis Bianco de s'exprimer à son tour sur les difficultés fondamentales liées à l'exercice de la laïcité dans les universités - mais aussi dans les organismes de service public (ou d'utilité publique). Les différences entre les positions de la mission et celles de l'observatoire sont nombreuses et éloquentes. Je laisse les lecteurs apprécier les options des uns et des autres, et se faire une opinion. Cela n'épuise pas le sujet brûlant de la laïcité, de son sens et de son application - ou de sa contestation, ouverte ou rampante. Tout cela reste donc "à suivre".
Jean-Paul Brighelli : Vous vous êtes à plusieurs reprises déclaré partisan d'une "laïcité apaisée". Mais, de la loi de 1905, qui mettait un terme aux dissensions entre la République et le catholicisme de combat inspiré par le Syllabus de Pie IX, à celle de 2004, qui pensait régler la question de l'entrisme religieux à l'école, la laïcité n'a-t-elle pas toujours été un principe d'apaisement ? Et les religions, au contraire, n'ont-elles pas constamment été tentées de rallumer des conflits ?
Jean-Louis Bianco : La laïcité s'est construite à une époque où l'Église catholique était fortement impliquée dans la société française, jusque dans le choix de ses options politiques. Mais elle a été conçue dans un esprit, non pas d'opposition aux religions, mais, comme vous le dites, d'apaisement et de vivre-ensemble. Elle n'a pas été conçue pour empêcher la pratique d'un culte, mais pour permettre la cohabitation de toutes les croyances et de toutes les philosophies de pensées au sein de la République et dans le respect de l'ordre public. L'État laïque ne reconnaît aucune religion, mais permet le libre exercice de toutes les religions. La laïcité n'est ni une tendance ni une opinion, encore moins un dogme, mais une valeur commune à tous.
Le 25 juin dernier, vous déclariez que "les atteintes à la laïcité ont peut-être été surestimées". Mais cela ne laisse-t-il pas aux opportunistes de tout poil la possibilité de souligner que toute atteinte à la loi est en soi un délit - et qu'il n'est pas possible d'en tolérer quelques-unes sous prétexte qu'elles seraient isolées et non coordonnées, ce qui reste à démontrer ?
Ce que j'ai rappelé, c'est le premier état des lieux établi à la fois par les différentes administrations publiques et par des entreprises privées. Il s'avère que, sans les occulter ni les tolérer, les atteintes au principe de laïcité sont moins nombreuses que ce que l'on pouvait craindre. Ce constat sera bien entendu à vérifier, mais, de fait, il n'est pas le même que celui dont font état certains médias. Dans notre point d'étape de juin dernier, nous appelions d'ailleurs les médias à la prudence dans le traitement qu'ils font de la laïcité. Ce principe fondamental est régulièrement utilisé, à tort, comme réponse à tous les problèmes de la société, y compris lorsque ceux-ci relèvent d'abord des politiques publiques de lutte contre toutes les discriminations ou de l'intégration. Évidemment, toute atteinte à la loi doit être sanctionnée. C'est précisément ce que rappelle avec force l'avis adopté à l'unanimité le 15 octobre dernier par l'Observatoire de la laïcité et intitulé "rappel à la loi".
Vous avez déclaré (conférence HCI-CNAM du 14 mai 2013) : "Il ne s'agit pas d'imposer nos idées avec orgueil et impérialisme aux autres pays, il s'agit de prendre conscience du trésor que nous possédons, produit de notre propre histoire. Faisons-le vivre chez nous, et apportons-le dans un débat pour construire ce qui sera l'équivalent de la laïcité en Europe, et partout dans le monde." Cependant, tout comme les révolutionnaires de 1789 n'ont pas hésité à exporter les droits de l'homme, ne pensez-vous pas qu'il serait souhaitable d'étendre les principes laïques aux pays qui aujourd'hui les méconnaissent, ne serait-ce que pour dissuader ceux qui, ici, les contestent de se référer à des modèles archaïques, au lieu de se conformer à la loi de la République ? Vous estimiez dans cette même conférence que "la laïcité est plus que jamais adaptée à l'actualité, aux tensions que traverse la société française, et aux difficultés des pays qui cherchent leur propre voie vers une démocratie" : dans un contexte international de crises dans les pays arabes, qui suscitent à distance, chez nous, des vocations dangereuses, ne faudrait-il pas envoyer un signal fort pour dire que la laïcité n'est pas soluble dans le fanatisme ?
Sur l'universalité de la déclaration des droits de l'homme, je vous invite à lire l'exposé, publié dans notre point d'étape de juin dernier, de M. Daniel Maximin, écrivain et membre de l'Observatoire de la laïcité. Il écrit notamment : "La Révolution française procède des droits de l'homme, elle ne les a pas inventés, elle les a célébrés puis inscrits dans un texte fondateur." Pour répondre à votre deuxième question, il est évident que la laïcité n'est pas soluble dans le fanatisme. Mais là, nous parlons d'ordre public et de démocratie plus encore que de laïcité. Ceci étant dit, la promotion de la laïcité, y compris à l'extérieur, est importante parce qu'elle est capable d'apporter des réponses au vivre-ensemble dans des pays très divers. Face à certaines incompréhensions extérieures sur ce qu'est la laïcité, nous devons rappeler qu'elle n'est pas instituée pour empêcher la liberté de penser ou de vivre sa croyance, mais pour permettre la pluralité des expressions des croyances et des convictions sans tolérer la domination d'aucune. Elle garantit la liberté de croire ou de ne pas croire.
http://www.lepoint.fr/invites-du-point/jean-paul-brighelli/selon-jean-louis-bianco-parler-des-integristes-leur-fait-une-incroyable-publicite-05-11-2013-1752277_1886.php#xtor=EPR-6-[Newsletter-Matinale]-20131106
Le Point.fr - Publié le 05/11/2013 à 13:11 - Modifié le 05/11/2013 à 18:17
Faut-il une loi protégeant l'université des dérives fanatiques ? C'est l'avis de Brighelli. Mais pas celui du président de l'Observatoire de la laïcité. Rencontre.
L'Observatoire de la laïcité, présidé par Jean-Louis Bianco, a réagi avec célérité à ma double interview d'Alain Seksig et de Jean-Louis Auduc, membres de l'ex-mission laïcité du Haut Comité à l'intégration. Plutôt que de reproduire des commentaires qui renvoyaient nécessairement aux questions que j'avais posées, j'ai préféré demander à Jean-Louis Bianco de s'exprimer à son tour sur les difficultés fondamentales liées à l'exercice de la laïcité dans les universités - mais aussi dans les organismes de service public (ou d'utilité publique). Les différences entre les positions de la mission et celles de l'observatoire sont nombreuses et éloquentes. Je laisse les lecteurs apprécier les options des uns et des autres, et se faire une opinion. Cela n'épuise pas le sujet brûlant de la laïcité, de son sens et de son application - ou de sa contestation, ouverte ou rampante. Tout cela reste donc "à suivre".
Jean-Paul Brighelli : Vous vous êtes à plusieurs reprises déclaré partisan d'une "laïcité apaisée". Mais, de la loi de 1905, qui mettait un terme aux dissensions entre la République et le catholicisme de combat inspiré par le Syllabus de Pie IX, à celle de 2004, qui pensait régler la question de l'entrisme religieux à l'école, la laïcité n'a-t-elle pas toujours été un principe d'apaisement ? Et les religions, au contraire, n'ont-elles pas constamment été tentées de rallumer des conflits ?
Jean-Louis Bianco : La laïcité s'est construite à une époque où l'Église catholique était fortement impliquée dans la société française, jusque dans le choix de ses options politiques. Mais elle a été conçue dans un esprit, non pas d'opposition aux religions, mais, comme vous le dites, d'apaisement et de vivre-ensemble. Elle n'a pas été conçue pour empêcher la pratique d'un culte, mais pour permettre la cohabitation de toutes les croyances et de toutes les philosophies de pensées au sein de la République et dans le respect de l'ordre public. L'État laïque ne reconnaît aucune religion, mais permet le libre exercice de toutes les religions. La laïcité n'est ni une tendance ni une opinion, encore moins un dogme, mais une valeur commune à tous.
Le 25 juin dernier, vous déclariez que "les atteintes à la laïcité ont peut-être été surestimées". Mais cela ne laisse-t-il pas aux opportunistes de tout poil la possibilité de souligner que toute atteinte à la loi est en soi un délit - et qu'il n'est pas possible d'en tolérer quelques-unes sous prétexte qu'elles seraient isolées et non coordonnées, ce qui reste à démontrer ?
Ce que j'ai rappelé, c'est le premier état des lieux établi à la fois par les différentes administrations publiques et par des entreprises privées. Il s'avère que, sans les occulter ni les tolérer, les atteintes au principe de laïcité sont moins nombreuses que ce que l'on pouvait craindre. Ce constat sera bien entendu à vérifier, mais, de fait, il n'est pas le même que celui dont font état certains médias. Dans notre point d'étape de juin dernier, nous appelions d'ailleurs les médias à la prudence dans le traitement qu'ils font de la laïcité. Ce principe fondamental est régulièrement utilisé, à tort, comme réponse à tous les problèmes de la société, y compris lorsque ceux-ci relèvent d'abord des politiques publiques de lutte contre toutes les discriminations ou de l'intégration. Évidemment, toute atteinte à la loi doit être sanctionnée. C'est précisément ce que rappelle avec force l'avis adopté à l'unanimité le 15 octobre dernier par l'Observatoire de la laïcité et intitulé "rappel à la loi".
Vous avez déclaré (conférence HCI-CNAM du 14 mai 2013) : "Il ne s'agit pas d'imposer nos idées avec orgueil et impérialisme aux autres pays, il s'agit de prendre conscience du trésor que nous possédons, produit de notre propre histoire. Faisons-le vivre chez nous, et apportons-le dans un débat pour construire ce qui sera l'équivalent de la laïcité en Europe, et partout dans le monde." Cependant, tout comme les révolutionnaires de 1789 n'ont pas hésité à exporter les droits de l'homme, ne pensez-vous pas qu'il serait souhaitable d'étendre les principes laïques aux pays qui aujourd'hui les méconnaissent, ne serait-ce que pour dissuader ceux qui, ici, les contestent de se référer à des modèles archaïques, au lieu de se conformer à la loi de la République ? Vous estimiez dans cette même conférence que "la laïcité est plus que jamais adaptée à l'actualité, aux tensions que traverse la société française, et aux difficultés des pays qui cherchent leur propre voie vers une démocratie" : dans un contexte international de crises dans les pays arabes, qui suscitent à distance, chez nous, des vocations dangereuses, ne faudrait-il pas envoyer un signal fort pour dire que la laïcité n'est pas soluble dans le fanatisme ?
Sur l'universalité de la déclaration des droits de l'homme, je vous invite à lire l'exposé, publié dans notre point d'étape de juin dernier, de M. Daniel Maximin, écrivain et membre de l'Observatoire de la laïcité. Il écrit notamment : "La Révolution française procède des droits de l'homme, elle ne les a pas inventés, elle les a célébrés puis inscrits dans un texte fondateur." Pour répondre à votre deuxième question, il est évident que la laïcité n'est pas soluble dans le fanatisme. Mais là, nous parlons d'ordre public et de démocratie plus encore que de laïcité. Ceci étant dit, la promotion de la laïcité, y compris à l'extérieur, est importante parce qu'elle est capable d'apporter des réponses au vivre-ensemble dans des pays très divers. Face à certaines incompréhensions extérieures sur ce qu'est la laïcité, nous devons rappeler qu'elle n'est pas instituée pour empêcher la liberté de penser ou de vivre sa croyance, mais pour permettre la pluralité des expressions des croyances et des convictions sans tolérer la domination d'aucune. Elle garantit la liberté de croire ou de ne pas croire.
http://www.lepoint.fr/invites-du-point/jean-paul-brighelli/selon-jean-louis-bianco-parler-des-integristes-leur-fait-une-incroyable-publicite-05-11-2013-1752277_1886.php#xtor=EPR-6-[Newsletter-Matinale]-20131106