Covid-19 : l'hypothèse d'un accident de laboratoire relancée par de nouvelles découvertes
Toutes les pistes sur l'origine du Covid ne sont pas explorées de la même manière déplorent des scientifiques, appuyés par de récentes révélations au sujet du laboratoire P4 de Wuhan.
[size=10][size=10]Vue aérienne du laboratoire P4 (L) sur le campus de l'Institut de virologie de Wuhan, dans la province centrale du Hubei, en Chine, le 27 mai 2020.
Photo by Hector RETAMAL / AFP[size=13]Par LEXPRESS.frpublié le 14/05/2021 à 12:42 , mis à jour à 13:01[/size][/size][/size]
C'est peu dire que ses conclusions ont laissé le monde entier sur sa faim. L'équipe de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) envoyée en Chine, en janvier, afin d'enquêter sur l'origine du Covid-19, a accouché d'un dossier de 300 pages où la thèse d'une transmission du virus à l'homme par l'intermédiaire d'un animal infecté - probablement une chauve-souris - dominait nettement. Le rapport, rendu public fin mars, jugeait en revanche "extrêmement improbable" l'hypothèse d'une fuite d'un laboratoire chinois, en l'occurrence celui de Wuhan, de type P4, susceptible d'abriter des agents hautement pathogènes comme le virus Sars-CoV-2.
Peu après, l'OMS elle-même avait appelé à la Chine à plus de transparence sur le partage des informations. "Nous n'avons pas encore trouvé la source du virus et nous devons continuer de suivre les éléments scientifiques et d'explorer toutes les pistes possibles", avait exhorté le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, à la tête de l'organisation.
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Plusieurs scientifiques à majorité américains et canadiens entendent aujourd'hui reconsidérer cette piste de l'accident de laboratoire. "Seules 4 des 313 pages du rapport [d'enquête, NDLR] et de ses annexes traitaient de la possibilité d'un accident de laboratoire", dénoncent-ils dans un article publié dans la revue Science. Alors même que "les théories du rejet accidentel d'un laboratoire et des retombées zoonotiques restent toutes deux viables". "Il est essentiel de savoir comment le COVID-19 est apparu pour éclairer les stratégies mondiales visant à atténuer le risque d'épidémies futures", expliquent encore ses auteurs, parmi lesquels figurent d'éminents spécialistes à l'image du microbiologiste Ralph Baric ou de la biologiste moléculaire Alina Chan. En parallèle, de nouvelles informations sur le laboratoire P4 de Wuhan pourraient mettre un coup d'accélérateur à ces recherches.
Des travaux universitaires pourraient tout remettre en cause
Quelques heures avant la publication de l'article, une thèse de doctorat et deux mémoires de master menés entre 2014 et 2019 à l'Institut de virologie de Wuhan (WIV) ont été divulgués sur Twitter par le compte d'un scientifique anonyme dénommé The Seeker, révèle Le Monde. Ces derniers pourraient bouleverser les enquêtes en cours sur le laboratoire P4. Des spécialistes consultés par le quotidien indiquent que ces travaux universitaires remettent en question le nombre et la nature des coronavirus conservés par la structure.
Des doutes existent notamment à l'égard du désormais fameux RaTG13, le coronavirus le plus proche du SARS-CoV-2 connu à ce jour. En juillet 2020, quelques mois après la publication de la séquence génétique de ce virus, la virologue Shi Zhengli, patronne du laboratoire de haute sécurité du WIV, avait affirmé dans Science qu'il s'agissait en fait d'un virus déjà connu : Ra4991. Ce dernier avait été prélevé il y a plus de sept ans et son génome avait été partagé en 2016. Or, le plus récent des travaux universitaires mis au jour sur Twitter contredit aujourd'hui ses propos. Des différences seraient localisées sur la fameuse protéine "Spike" qui permet au virus de pénétrer dans les cellules de son hôte, rappelle Le Monde. "Cela représente une variation de 1 % à 1,5 % sur ce segment du génome, ce qui est significatif et correspond à entre 10 et 15 mutations, sur un domaine jouant un rôle-clé pour l'infectivité du virus", précise le virologue Etienne Decroly, du CNRS, au quotidien.
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Il y a pire. Les trois mémoires mentionnent l'existence d'un autre coronavirus, prélevé en même temps que le RaTG13 - très proche du SARS-CoV-2 rappelons-le - et qui n'a jamais été révélé. Le laboratoire affirmait jusqu'ici détenir huit autres séquences collectées en même temps que RaTG13 dans une mine désaffectée de la province du Yunnan, qui ne sont d'ailleurs toujours pas publiées. L'Institut de virologie de Wuhan soutenait enfin que les trois ouvriers décédés au cours de cette expédition scientifique, entamée en 2012, avaient succombé à un champignon pathogène. Une information remise en cause par les travaux universitaires, note Le Monde, qui font état de bien plus d'analyses effectuées par le WIV qu'officiellement divulguées.
Manipulations de coronavirus dès 2013
Comme nous le révélions fin avril, le laboratoire de Wuhan travaillait dès 2013 sur des coronavirus de chauve-souris "ayant un potentiel de passage à l'Homme car possédant la faculté de se fixer sur le récepteur des cellules humaines ACE2", selon un article exhumé dans la revue Science. Parmi ces virus baptisés W1V1, 3367 et SHCO14, W1V1 est cultivé en cellules et a le potentiel pour "passer directement à l'Homme sans hôte intermédiaire", est-il écrit. "Nous sommes en 2013 !", s'exclame le virologue Hervé Fleury. En 2015, une autre publication dans Nature Medecine (fruit d'une collaboration entre la même équipe chinoise de Wuhan et une équipe américaine de Caroline du Nord) met en avant la création de "chimères", notamment à partir d'un virus de type SARS adapté à la souris, et dans lequel ils ont introduit le gène Spike (ou spicule) du SHC014. Enfin, en 2016, l'équipe américaine lance l'alerte sur des virus de chauve-souris comme W1V1 qui pourraient passer directement à l'Homme.