[size=42]D’où vient le bouddhisme radical ?[/size]
En Asie du Sud et du Sud-Est, la montée de l’extrémisme religieux n’épargne pas les bouddhistes, théoriquement pacifistes.
LE MONDE | 02.12.2017 à 09h53 • Mis à jour le 03.12.2017 à 06h39 |Par Adrien Le Gal
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Découvert en Occident au XIXe siècle, à travers des textes religieux, le bouddhisme y est perçu avant tout comme une philosophie globale et non violente, voire un mode de vie reposant sur des pratiques spirituelles comme la méditation. Le bouddhisme asiatique, avec ses 500 millions d’adeptes, correspond à une réalité bien différente.
Les trois grandes écoles correspondent à trois zones géographiques. L’école Theravada, ou « bouddhisme du Petit Véhicule » est implantée en Birmanie, au Cambodge, au Laos, au Sri Lanka, en Thaïlande et sur une partie du Vietnam. L’école Mahayana ou « bouddhisme du Grand Véhicule » est pratiquée en Corée, en Chine, au Japon, et au Vietnam, tandis que l’école Vajrayana, très minoritaire, correspond au bouddhisme tibétain, le plus connu en Occident. Dans les pays de tradition Theravada, les nations se sont souvent constituées en s’appuyant sur la légitimité religieuse, d’où un clergé politisé, prompt à embrasser les différentes causes nationalistes.
Lire aussi : Bouddhisme : les trois grandes écoles
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Le précepte de non-violence (ahimsa) est central dans le bouddhisme, mais il s’efface systématiquement derrière la raison d’Etat, partout où le clergé est fortement encadré par le pouvoir politique. Par exemple, en 1976, un moine thaïlandais affirmait dans la presse que « tuer des communistes n’est pas un péché », donnant le feu vert au massacre des étudiants de l’université Thammasat, à Bangkok, la même année.
Dès les années 1990, une théorie se développe, notamment en Birmanie : celle d’un bouddhisme s’étendant historiquement de l’Afghanistan à la Malaisie, mais en recul du fait de la pression de l’islam. Pour les adeptes de cette pensée, la destruction des bouddhas de Bamiyan, en mars 2001, par les talibans afghans, est un électrochoc. De telles idées, maintenues sous cloche pendant la dictature militaire birmane, s’expriment librement à partir de 2014, lorsque des réformes politiques et la démocratisation sont mises en œuvre.
Lire aussi : Birmanie : « Voir les événements comme un conflit religieux empêche de voir les choses telles qu’elles sont »
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En 2012, des moines sri-lankais créent le parti Bodu Bala Sena (BBS), « Force du pouvoir bouddhiste », qui développe une rhétorique violente à l’encontre des minorités religieuses, notamment l’islam, et, dans une moindre mesure, le christianisme. La même année, en Birmanie, le bonze Wirathu (objet d’un documentaire de Barbet Schroeder, Le Vénérable W.) lance des appels à la haine contre la minorité Rohingya et crée la campagne « 969 », puis le mouvement Ma Ba Tha (Association pour la protection de la race et de la religion), nationaliste et islamophobe – aujourd’hui interdit. Le BBS et Ma Ba Tha s’affichent comme deux formations sœurs : en 2014, Wirathu est accueilli en triomphe à Colombo par les moines radicaux sri-lankais.
Leurs idées trouvent aussi de l’écho en Thaïlande, marquée par une rebellion séparatiste musulmane, dans le sud du pays, où les bonzes sont régulièrement pris pour cible. En 2015, le moine thaïlandais Banjob Bannaruji lance une campagne visant à faire du bouddhisme la « religion d’Etat », au motif que celui-ci serait « mis en danger par l’islam ». D’autres moines se sont saisis des événements en Birmanie pour lancer des diatribes haineuses à l’encontre des musulmans séparatistes, appelant à leur réserver « le même sort qu’aux Rohingya, des enfants aux personnes âgées » et à brûler des mosquées.
Lire aussi : La haine couleur safran
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Les mouvements nationalistes bouddhistes multiplient les initiatives pour imposer des lois, en général dirigées contre les musulmans. En 2015, avant l’accession au pouvoir d’Aung San Suu Kyi, plusieurs textes ont été adoptés en Birmanie sur « la race et la religion », encadrant les mariages interreligieux et les conversions à l’islam, et permettant d’exercer un contrôle accru des naissances chez les musulmans – sans les mentionner explicitement.
Plus largement, les bouddhistes extrémistes, en montant en épingle des faits divers (comme des viols commis sur des femmes bouddhistes), entretiennent un climat islamophobe et justifient les violences et les discriminations contre les musulmans. Fin septembre, au Sri Lanka, des extrémistes bouddhistes ont même attaqué un foyer administré par l’ONU de réfugiés Rohingya ayant fui la Birmanie.
Les bouddhistes extrémistes présentent généralement leurs adversaires musulmans comme des djihadistes, mais cette accusation est loin d’être partout une réalité, notamment au Sri Lanka, où l’islam radical n’a pas pris pied. En Thaïlande, une partie de la rébellion séparatiste utilise la rhétorique djihadiste – [url=https://d2071andvip0wj.cloudfront.net/Draft Pre-release Jihadism in Southern Thailand-A Phantom Menace.pdf]sans se réclamer, toutefois, d’une organisation transnationale[/url]. En Birmanie, une attaque a été menée le 25 août contre des postes militaires dans l’Arakan du Nord, par les insurgés de l’Armée du salut des Rohingya de l’Arakan (ARSA), qui nient être un groupe djihadiste mais sur lesquels les informations disponibles sont très parcellaires.
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Présenté à tort en Occident comme un « pape bouddhiste », le dalaï-lama n’a pas d’autorité réelle sur les bouddhistes de Birmanie, du Sri Lanka et de Thaïlande, même s’il compte des admirateurs dans ces pays. En juillet 2014, le chef spirituel des bouddhistes tibétains a condamné, dans un même discours, le BBS et Ma Ba Tha. Mais ses paroles ont eu peu d’écho au Sri Lanka, pays dont les autorités ne lui ont jamais accordé de visa, afin de ne pas froisser Pékin. Le dalaï-lama, qui a rencontré plusieurs fois Aung San Suu Kyi lorsqu’elle était une opposante politique, ne s’est jamais non plus rendu en Birmanie. En septembre 2017, il a explicitement pris la défense des Rohingya, estimant que « Bouddha aurait aidé ces pauvres musulmans ».[/size]
En Asie du Sud et du Sud-Est, la montée de l’extrémisme religieux n’épargne pas les bouddhistes, théoriquement pacifistes.
LE MONDE | 02.12.2017 à 09h53 • Mis à jour le 03.12.2017 à 06h39 |Par Adrien Le Gal
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En Birmanie, au Sri Lanka ou encore en Thaïlande, des groupes constitués de moines bouddhistes ont développé une rhétorique violente, en général dirigée contre les musulmans. Longtemps considérées comme marginales, ces organisations ont acquis une forte visibilité en raison des atrocités commises contre les Rohingya musulmans de l’Etat d’Arakan, en Birmanie.
- Quelles sont les racines du nationalisme bouddhiste ?
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Découvert en Occident au XIXe siècle, à travers des textes religieux, le bouddhisme y est perçu avant tout comme une philosophie globale et non violente, voire un mode de vie reposant sur des pratiques spirituelles comme la méditation. Le bouddhisme asiatique, avec ses 500 millions d’adeptes, correspond à une réalité bien différente.
Les trois grandes écoles correspondent à trois zones géographiques. L’école Theravada, ou « bouddhisme du Petit Véhicule » est implantée en Birmanie, au Cambodge, au Laos, au Sri Lanka, en Thaïlande et sur une partie du Vietnam. L’école Mahayana ou « bouddhisme du Grand Véhicule » est pratiquée en Corée, en Chine, au Japon, et au Vietnam, tandis que l’école Vajrayana, très minoritaire, correspond au bouddhisme tibétain, le plus connu en Occident. Dans les pays de tradition Theravada, les nations se sont souvent constituées en s’appuyant sur la légitimité religieuse, d’où un clergé politisé, prompt à embrasser les différentes causes nationalistes.
Lire aussi : Bouddhisme : les trois grandes écoles
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- Comment est-il devenu radical ?
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Le précepte de non-violence (ahimsa) est central dans le bouddhisme, mais il s’efface systématiquement derrière la raison d’Etat, partout où le clergé est fortement encadré par le pouvoir politique. Par exemple, en 1976, un moine thaïlandais affirmait dans la presse que « tuer des communistes n’est pas un péché », donnant le feu vert au massacre des étudiants de l’université Thammasat, à Bangkok, la même année.
Dès les années 1990, une théorie se développe, notamment en Birmanie : celle d’un bouddhisme s’étendant historiquement de l’Afghanistan à la Malaisie, mais en recul du fait de la pression de l’islam. Pour les adeptes de cette pensée, la destruction des bouddhas de Bamiyan, en mars 2001, par les talibans afghans, est un électrochoc. De telles idées, maintenues sous cloche pendant la dictature militaire birmane, s’expriment librement à partir de 2014, lorsque des réformes politiques et la démocratisation sont mises en œuvre.
Lire aussi : Birmanie : « Voir les événements comme un conflit religieux empêche de voir les choses telles qu’elles sont »
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- Quels sont ses foyers dans la région ?
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En 2012, des moines sri-lankais créent le parti Bodu Bala Sena (BBS), « Force du pouvoir bouddhiste », qui développe une rhétorique violente à l’encontre des minorités religieuses, notamment l’islam, et, dans une moindre mesure, le christianisme. La même année, en Birmanie, le bonze Wirathu (objet d’un documentaire de Barbet Schroeder, Le Vénérable W.) lance des appels à la haine contre la minorité Rohingya et crée la campagne « 969 », puis le mouvement Ma Ba Tha (Association pour la protection de la race et de la religion), nationaliste et islamophobe – aujourd’hui interdit. Le BBS et Ma Ba Tha s’affichent comme deux formations sœurs : en 2014, Wirathu est accueilli en triomphe à Colombo par les moines radicaux sri-lankais.
Leurs idées trouvent aussi de l’écho en Thaïlande, marquée par une rebellion séparatiste musulmane, dans le sud du pays, où les bonzes sont régulièrement pris pour cible. En 2015, le moine thaïlandais Banjob Bannaruji lance une campagne visant à faire du bouddhisme la « religion d’Etat », au motif que celui-ci serait « mis en danger par l’islam ». D’autres moines se sont saisis des événements en Birmanie pour lancer des diatribes haineuses à l’encontre des musulmans séparatistes, appelant à leur réserver « le même sort qu’aux Rohingya, des enfants aux personnes âgées » et à brûler des mosquées.
Lire aussi : La haine couleur safran
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- Quels sont ses objectifs politiques et ses rapports avec les autres nationalismes religieux ?
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Les mouvements nationalistes bouddhistes multiplient les initiatives pour imposer des lois, en général dirigées contre les musulmans. En 2015, avant l’accession au pouvoir d’Aung San Suu Kyi, plusieurs textes ont été adoptés en Birmanie sur « la race et la religion », encadrant les mariages interreligieux et les conversions à l’islam, et permettant d’exercer un contrôle accru des naissances chez les musulmans – sans les mentionner explicitement.
Plus largement, les bouddhistes extrémistes, en montant en épingle des faits divers (comme des viols commis sur des femmes bouddhistes), entretiennent un climat islamophobe et justifient les violences et les discriminations contre les musulmans. Fin septembre, au Sri Lanka, des extrémistes bouddhistes ont même attaqué un foyer administré par l’ONU de réfugiés Rohingya ayant fui la Birmanie.
Les bouddhistes extrémistes présentent généralement leurs adversaires musulmans comme des djihadistes, mais cette accusation est loin d’être partout une réalité, notamment au Sri Lanka, où l’islam radical n’a pas pris pied. En Thaïlande, une partie de la rébellion séparatiste utilise la rhétorique djihadiste – [url=https://d2071andvip0wj.cloudfront.net/Draft Pre-release Jihadism in Southern Thailand-A Phantom Menace.pdf]sans se réclamer, toutefois, d’une organisation transnationale[/url]. En Birmanie, une attaque a été menée le 25 août contre des postes militaires dans l’Arakan du Nord, par les insurgés de l’Armée du salut des Rohingya de l’Arakan (ARSA), qui nient être un groupe djihadiste mais sur lesquels les informations disponibles sont très parcellaires.
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- Quelle est la position du dalaï-lama ?
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Présenté à tort en Occident comme un « pape bouddhiste », le dalaï-lama n’a pas d’autorité réelle sur les bouddhistes de Birmanie, du Sri Lanka et de Thaïlande, même s’il compte des admirateurs dans ces pays. En juillet 2014, le chef spirituel des bouddhistes tibétains a condamné, dans un même discours, le BBS et Ma Ba Tha. Mais ses paroles ont eu peu d’écho au Sri Lanka, pays dont les autorités ne lui ont jamais accordé de visa, afin de ne pas froisser Pékin. Le dalaï-lama, qui a rencontré plusieurs fois Aung San Suu Kyi lorsqu’elle était une opposante politique, ne s’est jamais non plus rendu en Birmanie. En septembre 2017, il a explicitement pris la défense des Rohingya, estimant que « Bouddha aurait aidé ces pauvres musulmans ».[/size]