[size=38]Histoire : excommunier pour préserver[/size]
Confrontées à l’hérésie, au blasphème et aux comportements idolâtres, les églises des premiers siècles pratiquent une excommunication qui se décline sous trois formes : la malédiction, l’exil et la rupture du lien social. Elles visent la repentance et la réintégration des fautifs. Explications de Marie-Françoise Baslez, historienne.
- Recueilli par Gilles Donada,
- le 01/07/2021 à 15:08
- Modifié le 05/07/2021 à 06:00
Cyprien de Carthage, de son vrai nom Thascius Caecilius Cyprianus, né vers 200 et mort en martyr le 14 septembre 258 sous la persécution de Valérien, est un Berbère converti au christianisme, évêque de Carthage et Père de l'Église. WIKICOMMComment les premières communautés chrétiennes envisageaient-elles la question de l’excommunication ?
Marie-Françoise Baslez (1) : Il faut prendre garde à l’anachronisme du mot « excommunication ». Ce terme n’existait pas en grec (la langue parlée par les premières communautés chrétiennes) et le droit canon (le droit de l’Église) n’existait pas non plus.Lemot latin excommunicatio et le verbeexcommunicare apparaissent en 250 chezCyprien de Carthage,avec le double sens d’exclusion de la communauté et de la communion eucharistique. L’excommunication interroge le lien social qui unit les membres de la communauté. Dans le monde gréco-romain, le sens de la communauté est très développé : la cité est comme un corps dont les citoyens sont les membres. Pour éviter au corps d’être souillé ou contaminé, il faut retrancher, amputer le membre malade. Cette conception est partagée par les chrétiens. L’objectif est d’expulser le mal pour rendre son intégrité au corps social. Chez les chrétiens, elle n’est pas définitive.
Quels sont les motifs d’excommunication ?
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D’abord, être une occasion de division et de scandale au sein de la communauté (cf. Mt 18,6-9, 1 Co 10,32). Mais il y a aussi des raisons morales : avoir des relations sexuelles avec sa belle-mère, pratiquer l’avortement… Puis l’hérésie, qui devient la cause principale d’excommunication au IV
e siècle, et les transgressions rituelles.
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L'espace du débat libre et respectueuxTOUS LES SAMEDISQuelles formes prenait l’excommunication à l’époque ?Il y avait trois formes d’excommunication : la malédiction, l’expulsion (plus tard l’exil), la rupture du lien social. La malédiction est un rituel qui s’ajoute à la condamnation pénale. Elle représente une mort symbolique. Chez saint Paul, la malédiction est sous-entendue dans l’expression « livré à Satan » (1 Co 5,5 ; 1Tm 1,20). Puisque le coupable est rejeté hors de la communauté, il ne peut plus compter sur la prière de ses frères pour progresser sur la Voie du salut. Mais cette forme d’excommunication n’est pas définitive, comme elle l’est chez les juifs et les païens. Ce temps de rejet est un temps de repentance.
En quoi consiste l’expulsion ou l’exil ?C’est une adaptation de l’antique pratique du bouc émissaire. Le fautif est expulsé hors du lieu de réunion commun des citoyens (l’agora) ou de celui des chrétiens (le local eucharistique). On trouve cette sanction dans des lettres d’évêques du II
e et III
e siècles. Parce qu’il a ordonné une répression sanglante à Thessalonique, l’empereur Théodose (autour de 390) se verra interdire par saint Ambroise l’accès de l’église. L’exil, qui se met en place avec le concile de Nicée (325), est une nouvelle adaptation pénale quand l’Église entre dans le cadre politique de l’Empire.
Et la rupture du lien social ?Elle apparaît au moment des conciles et synodes à la fin du II
e siècle et au III
e siècle. À la condamnation disciplinaire s’ajoute la rupture du lien social. L’évêque Paul de Samosate est excommunié pour n’être pas conforme au modèle épiscopal dominant et secondairement pour hérésie (268). Il n’appartient plus au réseau chrétien. Il est expulsé de la « maison de l’Église », qu’il occupe. On ne communiquera plus avec lui. Ses lettres ne sont plus lues au sein des communautés et lui-même ne reçoit plus aucune lettre. Cette rupture peut être durable : une lettre de l’évêque d’Alexandrie, au III
e siècle, précise que le coupable devra rester sur le seuil de l’église ; il sera réintégré le jour de sa mort.
Quelles sont les sanctions en vigueur contre ceux qui, en période de répression, rallient une communauté païenne ?On les appelle les
lapsi , « ceux qui sont tombés »: ils n’ont jamais abjuré leur foi, mais ont participé à des rituels païens pour rester dans leurs réseaux sociaux, familiaux, amicaux ou politiques. Ils sont expulsés pour un temps. Ils ne peuvent plus participer à l’eucharistie. Le but de la sanction est cependant de favoriser leur réintégration. Le temps de marginalisation est temporaire, pour laisser émerger une repentance. On ne se focalise pas sur la réaction face à un danger conjoncturel, on cherche à prendre en considération la vie entière du croyant.