[size=39]"Une température de 50 °C à Paris ? Oui, peut-être au milieu du siècle"[/size]
Boris Thiolay 26/05/2024, 20:23 - modified 27/05/2024, 12:48 EnvironnementVOIR LE DIAPORAMA
La limite de 1,5 °C d'augmentation des températures fixée par les Accords de Paris ? Elle sera très probablement dépassée durant la prochaine décennie, et l'année dernière a été la plus chaude de tous les temps, explique Robert Vautard, chercheur français qui occupe des fonctions éminentes au GIEC. La bonne nouvelle : il est encore temps d'agir. Tour d'horizon.
En 2023, l'année la plus chaude enregistrée dans le monde, António Guterres, le secrétaire général de l’ONU, déclarait : "L’effondrement climatique a commencé." La partie serait-elle déjà perdue ?
Absolument pas. Cette lutte commence véritablement à l’échelle planétaire, et elle consiste à limiter les effets du changement climatique qui, lui, est irréversible. La hausse des températures ne pourra pas être inversée, en tout cas pas de façon simple et connue à ce jour. Les enjeux sont donc de limiter cette hausse globale et, par voie de conséquence, de limiter tous les effets dommageables qui en découlent. Les observations actuelles sur le changement climatique correspondent à ce qui a été prédit jusqu’à présent par la communauté scientifique.
"La crise climatique est entrée en régime de croisière"
[size][size]
Certes, il y a chez certains groupes de pression une tentative d’essayer de minimiser ses impacts, pour sauvegarder certaines activités productrices de gaz à effet de serre. Mais il n’existe aucun climatoscepticisme au sein des délégations internationales que j’ai l’occasion de rencontrer. Les 195 États membres du GIEC ont signé toutes les conclusions de nos études et de nos rapports.
[/size][/size]
La "transition vers l’abandon des énergies fossiles" a été inscrite dans le rapport final de la dernière COP 28, à Dubaï, mais sans fixer d’objectifs chiffrés. Voyez-vous cela comme une marque d’impuissance ?
[size][size]
En tant que scientifique membre du GIEC, je suis obligé de faire preuve d’une certaine réserve. À titre strictement personnel, je pense qu’il aurait été préférable d’annoncer des objectifs chiffrés. C’est plus contraignant pour les États, mais cela rend plus facile de vérifier, après coup, si l’on a respecté et atteint ces objectifs.
Les COP doivent déboucher sur des accords diplomatiques pour lesquels les gouvernements ont encore du mal à s’engager. Dans chaque grande région du monde, les pays ont des objectifs économiques et écologiques différents. Mais il faut retenir l’aspect positif : trouver un accord, même non chiffré, sur l’abandon des énergies fossiles, c’est déjà une avancée.
[/size][/size]
Quelles sont aujourd’hui les prévisions sur la hausse globale des températures à la fin du siècle ?
[size][size]
Il faut être très clair : la limite de 1,5 °C d’augmentation des températures, fixée dans les accords de Paris (2015), sera très probablement dépassée durant la prochaine décennie, entre 2030 et 2040. À court terme, l’enjeu va donc être de diminuer rapidement et suffisamment les gaz à effet de serre pour que cet objectif de 1,5 °C ne soit pas trop dépassé.
Avec les politiques actuellement mises en place, les trajectoires de réchauffement d’ici à la fin du siècle, mentionnées dans le rapport du GIEC publié l’année dernière, mènent à environ 3 °C de réchauffement global. Et 3 °C, cela implique entre 50 centimètres et un mètre d’élévation du niveau des mers d’ici à la fin du siècle, et beaucoup plus ensuite.
Cela provoquera des crises climatiques et, pour chaque dixième de degré supplémentaire, des cas d’effondrements de certains écosystèmes, comme les coraux, en particulier les coraux tropicaux qui subissent déjà de gros dégâts.
[/size][/size]
"Parler de 1 ou 2 °C de plus, c’est trop théorique, cela ne signifie pas grand chose au quotidien"
[size][size]
Même chose pour les risques de rupture du système des calottes polaires, pour lesquels nous ne connaissons pas encore suffisamment, à quelques dixièmes de degré près, les points d’irréversibilité. On pourrait ainsi dépasser ces points de bascule pour la calotte polaire, au Groenland et en Antarctique, plus particulièrement l’Antarctique de l’Ouest.
Les conséquences à très long terme seront considérables, puisque cela entraîne un risque d’élévation de plusieurs mètres du niveau des mers. Cette menace concerne plutôt les siècles prochains, mais elle aura des impacts sur la vie de milliards d’êtres humains.
[/size][/size]
À quelles conséquences devons-nous nous attendre dans les prochaines décennies ?
[size][size]
Nous sommes en train de prendre la mesure et de vivre le changement climatique dans sa "vitesse de croisière". Et nous découvrons à quel point ses impacts sont forts. J’estime pour ma part que l’on a beaucoup parlé des chiffres d’augmentation globale de température, mais d’une façon trop théorique : 1 °C de plus, 2 °C de plus, cela ne signifie pas grand-chose au quotidien. Pourtant, avec l’augmentation actuelle de 1,2 à 1,3 °C, nous assistons déjà à des phénomènes climatiques extrêmes et nous constatons l’ampleur de leurs conséquences.
Nous allons faire face à des événements extrêmes combinés : vagues de chaleur simultanées dans plusieurs régions du monde, pluies torrentielles associées à des surcotes du niveau des mers, ce qui provoquera des inondations côtières très importantes. Ou bien encore des sécheresses combinées à des vagues de chaleur engendrant des risques considérables de feux à très grande échelle, comme cela s’est produit au Canada l’année dernière.
[/size][/size]
Réduire notre consommation d’énergies fossiles est une urgence. Comment procéder ?
[size][size]
La transition énergétique est en effet une urgence pour obtenir une atténuation des conséquences du changement climatique. Le processus sera différencié selon les pays mais, en France, les rapports du Haut Conseil pour le climat donnent des pistes précises qui concernent en premier lieu les transports, le logement, l’industrie et l’agriculture.
La priorité, ce sont les transports, domaine où il faut à la fois des efforts de sobriété et des efforts technologiques. D’abord, en remplaçant les transports émetteurs de gaz à effet de serre par des transports qui le sont moins. Il faut échanger au maximum la voiture avec des modes de "circulation douce", les transports en commun, le train… Et passer le plus possible à la voiture électrique. Mais, tant que l’on n’a pas en tête certains chiffres ou ordres de grandeur, on a du mal à imaginer la nécessité de ces changements.
[/size][/size]
"Un aller-retour Paris-New York en avion représente deux tonnes de CO2"
[size][size]
En France, l’émission de CO2 sur le territoire national, par habitant et par an, est en moyenne de six tonnes. C’est une donnée différente de "l’empreinte carbone", qui inclut aussi ce que nous émettons en consommant des produits fabriqués ailleurs sur la planète. L'empreinte carbone annuelle moyenne en France est de neuf tonnes par habitant, c’est-à-dire une fois et demie l’émission territoriale moyenne. Or quand on fait un aller-retour Paris-New York en avion, cela représente deux tonnes de CO2 : on a consommé un tiers du "budget carbone" annuel moyen d’un Français.
Autre exemple : un Français qui fait un plein d’essence par mois, en moyenne, génère deux tonnes de CO2 chaque année : s’il est seul dans sa voiture, cela fait deux tonnes pour une personne, s’il transporte un passager, cela divise cette quantité par deux. Il faut avoir ces petits indicateurs en tête quand on fait un voyage à travers la France, par exemple. Connaître ces ordres de grandeur peut permettre de faire des arbitrages, de prendre une décision en connaissance de cause. Le même type de raisonnement et d’arbitrage est valable pour les entreprises et les collectivités.
[/size][/size]
C’est en ville qu’il faut mener les plus gros changements ?
[size][size]
Oui. L’adaptation au changement climatique, et l’atténuation de ses causes, sont nécessaires dans tous les domaines. Mais plus particulièrement dans les villes, et notamment dans le secteur de l’habitat : isolation des bâtiments, désimperméabilisation des sols pour permettre l’infiltration des eaux de pluie et une évacuation plus efficace…
On voit encore des communes qui rénovent leur place principale avec des matériaux totalement imperméables. C’est absurde, voire irresponsable ! Nous ne pouvons plus rénover un espace public comme avant, car nous ne sommes plus dans le même monde… Ceci entraîne un coût plus important au départ, mais la facture des dommages futurs risque d’être bien plus élevée.
[/size][/size]
"Une température de 50 °C à Paris ? Oui, peut-être au milieu du siècle, c’est un scénario réaliste... "
[size][size]
Dans le cadre du Groupe régional d’expertise sur le changement climatique (GREC) en Île-de-France, nous avons travaillé en 2022 avec la Ville de Paris sur l’hypothèse d’une température avoisinant les 50 °C dans la capitale. Est-ce que ces scénarios sont réalistes ou non ? Oui : avec un réchauffement supérieur à 2 °C, celui vers lequel on se dirige, c’est possible.
La Ville de Paris a fait l’année dernière un exercice de crise à partir de ce scénario. Les simulations ne sont pas parfaites, mais il faut s’y attendre. Peut-être pas tout de suite, mais à partir du milieu du siècle.
[/size][/size]
"Les situations extrêmes de demain auront plus d’effets que les situations extrêmes de 2024"
[size][size]
Ce n’est d’ailleurs pas étonnant : en 2019, on a eu des températures qui sont montées localement à 43 °C dans Paris. Or, ce genre de réflexion n’est pas encore intégrée dans les politiques publiques, à l’échelle locale, notamment dans les appels d’offres pour les travaux de rénovation et de construction. Heureusement, le troisième Plan national d’adaptation au changement climatique, lancé en novembre dernier par le gouvernement, prend enfin le problème dans sa globalité, en imaginant un monde où la température globale est supérieure de 3 °C et ce contre quoi il faut se prémunir en France.
De plus, le septième cycle du GIEC, dont le rapport sera rendu en 2029, va nous apporter des repères locaux, des mesures plus précises, car il va traiter de la question du changement climatique et des villes. Une ville reste à l’échelle humaine, et la moitié de la population mondiale vit aujourd’hui en zone urbaine.
[/size][/size]
Inondations d’ampleur, incendies difficiles à maîtriser, canicules, sécheresses prolongées… La France connaît des événements climatiques violents. Faut-il s’y habituer ?
[size][size]
Encore une fois, l’action doit être menée selon deux grandes directions : l’adaptation et l’atténuation. La nécessité d’adaptation est urgente, car nous allons devoir faire face à des phénomènes extrêmes, de très grande ampleur. Les épisodes climatiques extrêmes de demain auront plus d’effets que les plus extrêmes d’aujourd’hui ! Les inondations liées aux débordements de rivières, et plus encore les inondations de ruissellement, vont augmenter. Le problème ne sera plus seulement lié au débordement des cours d’eau et les zones inondables, mais à la difficulté d’évacuer les eaux de ruissellement dans des milieux très imperméabilisés.
Nous allons affronter des épisodes de pluies extrêmes, particulièrement en été et en automne, très dommageables dans les villes. Or les inondations causent des dommages très importants. Il y a toute une réflexion à mener au niveau de la gestion de l’eau, aussi bien pour le surplus que pour le manque.
[/size][/size]
"En Europe comme ailleurs, ce sont les personnes les plus démunies qui sont les plus exposées"
[size][size]
Car la France connaît aussi un problème important de sécheresse, qui cause de gros dégâts sur les bâtiments. Leur stabilité est menacée par le retrait et le gonflement des argiles. Cela représente une charge considérable pour les assurances [le secteur prévoit un coût annuel de 1,5 milliard d’euros en 2050], et la question de l’"assurabilité" se pose en termes de viabilité économique. Quand un risque n’est plus un risque, mais un problème récurrent, il n’est plus assurable.
Par ailleurs, avec des températures plus élevées, l’évapotranspiration très importante cause un assèchement des sols plus rapide. Il faut donc aussi penser et mettre en place une agriculture mieux adaptée.
[/size][/size]
L’Europe, avec des climats plus tempérés, est-elle mieux préservée que le reste de la planète ?
[size][size]
Notre continent n’est pas à l’abri des impacts forts du changement climatique, mais il est moins vulnérable et plus résilient, car nous avons la chance de vivre dans des régions économiquement favorisées, avec davantage de moyens pour nous prémunir des aléas climatiques et pour en absorber les chocs.
Mais, comme dans le reste du monde, l’Europe connaît de grandes inégalités : les personnes les plus démunies subissent plus durement les effets. Les gens vivant dans des appartements sous les toits subissent de plein fouet les canicules et ils n’ont pas forcément les moyens d’isoler leur logement.
Dans les pays en développement, lorsque des événements extrêmes surviennent, les gens perdent tout. Les grandes inondations en Afrique de l’Est, à l’automne dernier, ont occasionné deux millions de réfugiés, leurs maisons ayant été détruites.
[/size][/size]
Face à ces inégalités, comment convaincre les pays du Sud de modérer leur consommation d’énergies fossiles ?
[size][size]
Si les pays du Nord se contentent de leur dire "il faut être sobre", ce n’est tout simplement pas audible ! Nous devons prendre en compte l’histoire du développement économique dans le monde. Le Nord s’est développé grâce aux énergies fossiles et, aujourd’hui, il demande aux pays du Sud de renoncer à se développer grâce à ces énergies. Or chaque pays évalue sa politique de développement à travers son propre prisme. Les pays du Nord doivent demander aux pays du Nord d’être sobres.
Le Sud global a très peu de responsabilités dans le changement climatique, donc c’est au Nord de faire cet effort initial. D’une manière générale, les pays du Sud sont très conscients du fait que l’utilisation des énergies fossiles mène non seulement à l’augmentation globale des gaz à effet de serre, mais aussi à des problèmes locaux de qualité de l’air.
[/size][/size]
"Les pays du Nord ne peuvent pas se contenter de demander au Sud d’être plus sobres"
[size][size]
La Chine a subi frontalement ce problème, et s’est engagée à enclencher une diminution des gaz à effet de serre à la fin de cette décennie. La Chine et l’Inde [respectivement responsables de 30,6 % et 7,6 % des émissions mondiales de CO2 , contre 13,6 % pour les États-Unis et 7,43 % pour l’Union européenne] sont des pays clés pour l’avenir du climat. La phase actuelle de ralentissement de l’augmentation des gaz à effet de serre doit déboucher sur une diminution réelle globale.
Les pays développés réduisent leurs volumes d’émissions. En Europe, c’est aujourd’hui 31 % de moins qu’en 1990, et l’objectif est de 55 % de moins d’ici à 2030, pour parvenir à une neutralité climatique en 2050. Mais le rythme mondial actuel reste encore insuffisant pour préserver la planète.
➤ Entretien paru dans le magazine GEO n°543 de mai 2024, Prendre le temps de vivre au Portugal en kiosque à partir du 24 avril 2024.➤ Pour voir tous les numéros de GEO disponibles à l’unité, c’est par ici ! Vous êtes déjà fidèle au contenu GEO ? Alors pour ne rien manquer, découvrez nos formules d'abonnement pour recevoir chaque mois GEO chez vous en toute simplicité.[/size]
GEO
[/size]
LIRE LE CONTENU DE L'ARTICLE
[size]
Getty Images[/size]