Le catholicisme de demain sera diasporique ou ne sera pas »
Selon la sociologue Danièle Hervieu-Léger, pour survivre, l’Eglise doit sortir de son système d’autorité centralisatrice et remettre en cause la sacralité du prêtre. Elle « n’échappera sans doute pas à cette leçon de la Réforme protestante », assure-t-elle dans un entretien au « Monde ».
Propos recueillis par Cyprien Mycinski
Publié le 26 juin 2022 à 09h00, mis à jour hier à 02h23
Depuis cinquante ans, Danièle Hervieu-Léger scrute l’évolution du catholicisme, notamment occidental. Directrice d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), elle publie avec le sociologue Jean-Louis Schlegel Vers l’implosion ? Entretiens sur le présent et l’avenir du catholicisme (Seuil, 400 pages, 23,50 euros) ainsi qu’un ouvrage plus personnel sur son parcours, Religion, utopie et mémoire (Editions de l’EHESS, 168 pages, 9,80 euros), sous la forme d’un entretien avec l’historien Pierre-Antoine Fabre. Alors que le catholicisme français connaît une actualité mouvementée (consultation des fidèles en vue du synode sur la synodalité, suspension des ordinations dans le Var, etc.), elle délivre un diagnostic sans concession sur l’état de l’Eglise.
Il y a quelques mois, le rapport Sauvé a révélé l’ampleur des agressions sexuelles au sein de l’Eglise catholique française. Selon vous, que signifie cette crise ?
Cette crise est gravissime pour l’Eglise. Elle ne témoigne pas de l’existence de problèmes temporaires que l’on pourrait résoudre : elle révèle une faillite générale du système romain. La spécificité de cette crise est en effet qu’elle met au jour la dérive d’un système de pouvoir dans l’Eglise. C’est pour cela que l’on a souligné le caractère « systémique » des abus, qui ne peuvent être réduits aux errances de quelques individus.
L’Eglise catholique, au moins depuis le concile de Trente (1545-1563), s’est construite sur la sacralisation de la figure du prêtre. Celui-ci a un statut distinct des fidèles, il appartient à un état supérieur. Cette séparation d’avec le commun des baptisés implique le corps du prêtre, à travers le célibat, auquel il est astreint depuis la réforme grégorienne (1073-1085), et qui fait de lui un être à part.
Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Pédocriminalité dans l’Eglise : « Le rapport Sauvé a mis en pleine lumière les ravages de la sacralité excessive placée sur le prêtre »
La fonction sacerdotale, dans l’Eglise catholique, n’est donc pas fondée d’abord sur la capacité d’un homme à répondre aux besoins spirituels d’une communauté de croyants. Elle manifeste l’élection divine du prêtre, ce qui le place au-dessus de cette communauté et lui donne un pouvoir gigantesque. Le prêtre est le médiateur privilégié, sinon unique, de la relation des fidèles catholiques au divin : le Christ est présent dans les gestes sacramentaires que pose le prêtre.
Il faut comprendre que cette sacralisation du prêtre limite considérablement la possibilité de s’opposer à un abus qu’il commet. Comment peut-on se révolter contre un tel acte, comment même peut-on se percevoir comme une victime quand l’agresseur se prévaut d’une relation à la puissance divine ? Les abus sexuels, dans ce contexte, sont donc toujours aussi des abus spirituels et des abus de pouvoir.
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https://www.lemonde.fr/le-monde-des-religions/article/2022/06/26/daniele-hervieu-leger-le-catholicisme-de-demain-sera-diasporique-ou-ne-sera-pas_6132079_6038514.html
Selon la sociologue Danièle Hervieu-Léger, pour survivre, l’Eglise doit sortir de son système d’autorité centralisatrice et remettre en cause la sacralité du prêtre. Elle « n’échappera sans doute pas à cette leçon de la Réforme protestante », assure-t-elle dans un entretien au « Monde ».
Propos recueillis par Cyprien Mycinski
Publié le 26 juin 2022 à 09h00, mis à jour hier à 02h23
Depuis cinquante ans, Danièle Hervieu-Léger scrute l’évolution du catholicisme, notamment occidental. Directrice d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), elle publie avec le sociologue Jean-Louis Schlegel Vers l’implosion ? Entretiens sur le présent et l’avenir du catholicisme (Seuil, 400 pages, 23,50 euros) ainsi qu’un ouvrage plus personnel sur son parcours, Religion, utopie et mémoire (Editions de l’EHESS, 168 pages, 9,80 euros), sous la forme d’un entretien avec l’historien Pierre-Antoine Fabre. Alors que le catholicisme français connaît une actualité mouvementée (consultation des fidèles en vue du synode sur la synodalité, suspension des ordinations dans le Var, etc.), elle délivre un diagnostic sans concession sur l’état de l’Eglise.
Il y a quelques mois, le rapport Sauvé a révélé l’ampleur des agressions sexuelles au sein de l’Eglise catholique française. Selon vous, que signifie cette crise ?
Cette crise est gravissime pour l’Eglise. Elle ne témoigne pas de l’existence de problèmes temporaires que l’on pourrait résoudre : elle révèle une faillite générale du système romain. La spécificité de cette crise est en effet qu’elle met au jour la dérive d’un système de pouvoir dans l’Eglise. C’est pour cela que l’on a souligné le caractère « systémique » des abus, qui ne peuvent être réduits aux errances de quelques individus.
L’Eglise catholique, au moins depuis le concile de Trente (1545-1563), s’est construite sur la sacralisation de la figure du prêtre. Celui-ci a un statut distinct des fidèles, il appartient à un état supérieur. Cette séparation d’avec le commun des baptisés implique le corps du prêtre, à travers le célibat, auquel il est astreint depuis la réforme grégorienne (1073-1085), et qui fait de lui un être à part.
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La fonction sacerdotale, dans l’Eglise catholique, n’est donc pas fondée d’abord sur la capacité d’un homme à répondre aux besoins spirituels d’une communauté de croyants. Elle manifeste l’élection divine du prêtre, ce qui le place au-dessus de cette communauté et lui donne un pouvoir gigantesque. Le prêtre est le médiateur privilégié, sinon unique, de la relation des fidèles catholiques au divin : le Christ est présent dans les gestes sacramentaires que pose le prêtre.
Il faut comprendre que cette sacralisation du prêtre limite considérablement la possibilité de s’opposer à un abus qu’il commet. Comment peut-on se révolter contre un tel acte, comment même peut-on se percevoir comme une victime quand l’agresseur se prévaut d’une relation à la puissance divine ? Les abus sexuels, dans ce contexte, sont donc toujours aussi des abus spirituels et des abus de pouvoir.
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