Le livre de Josué est la clôture de l’histoire patriarcale. La famille d’Abraham, devenue un peuple durant son séjour en Égypte, a été mise en possession du lieu de repos que Dieu avait promis à ses pères et où ce peuple devra servir désormais à préparer le salut du monde. Avant de le suivre dans la manière dont il a accompli cette tâche, relevons encore trois objections que l’on a faites fréquemment contre la moralité ou la vérité du récit contenu dans ce livre.
On s’est scandalisé de la guerre d’extermination que Dieu doit avoir ordonnée à son peuple. Mais pour comprendre cette mesure sévère on doit tenir compte de deux choses : la première que dès le temps d’Abraham l’existence de ces peuples, livrés déjà à la plus affreuse corruption (exemple de Sodome et Gomorrhe), n’était plus qu’une affaire de tolérance, comparez Genèse 15.10 où Dieu dit : L’iniquité des Amorrhéens n’est pas encore arrivée à son comble. Elle avait atteint le degré fatal. Puis il faut considérer que dans l’état d’infirmité morale où était encore Israël, avec ses dispositions à l’idolâtrie, à l’impureté et aux autres vices dans lesquels croupissaient les Cananéens, Dieu ne pouvait exposer son peuple à une communauté de vie avec eux sans perdre le premier, tout en ne sauvant pas les derniers ; comparez Deutéronome 7.2-4 : Tu ne t’allieras point avec eux, tu ne prendras point leurs filles pour tes fils car elles détourneraient tes fils de mon service et ils serviraient d’autres dieux et la colère de l’Éternel s’allumerait contre vous et il t’exterminerait aussitôt. C’est l’idolâtrie et la corruption que Dieu extirpe et non les ennemis d’Israël, puisqu’il extirpera Israël lui-même, si celui-ci vient à se livrer aux mêmes péchés. Ce qui le prouve encore, c’est que Dieu distingue expressément, Deutéronome 20.10 et suivants, entre la manière de procéder avec les villes des Cananéens et celles des ennemis étrangers. Un père interdit à son fils la société intime d’un camarade corrompu. Dieu n’avait pas d’autre moyen d’empêcher la communauté de vie entre Israël et les Cananéens, qui occupaient le pays destiné au premier, que de les détruire. Et il avait laissé écouler quatre siècles, jusqu’à ce que le jugement fût complètement mérité. Voilà le vrai sens des documents.
On signale en second lieu une contradiction dans le récit. D’un côté il semble parfois que la conquête soit absolument achevée, de l’autre il est dit qu’il reste encore beaucoup à conquérir ; comparez par exemple Josué 21.43-45 et Josué 23.1 avec Josué 23.4. Mais remarquons que deux de ces passages, que l’on dit contradictoires, se trouvent dans le même discours de Josué. Il est donc impossible qu’ils se contredisent réellement. Il faut seulement ne pas exagérer le sens des expressions employées. En un sens la conquête a eu un caractère soudain et complet, c’est-à-dire que les deux grandes batailles, avec les expéditions qui ont suivi immédiatement, ont livré en une seule fois le pays au pouvoir d’Israël, dans le sens, par exemple, où l’Algérie était au pouvoir de la France à la suite des premières expéditions par lesquelles fut conquis le pays. Était-ce à dire que la soumission fût complète ? Non, car les, tribus arabes ont bien des fois depuis lors relevé la tête et la guerre a dû recommencer à plusieurs reprises. De même la conquête de Canaan, à côté de son caractère soudain et immédiat, a eu aussi un caractère progressif. Les Cananéens s’étaient maintenus dans certaines villes fortifiées qu’il fallut prendre et reprendre et dans certains districts difficilement accessibles aux Israélites et lors même que ces districts avaient été assignés à telle ou telle tribu, ils étaient loin d’être complètement soumis. La guerre générale concernant tout le pays et tout le peuple était achevée ; mais les guerres particulières concernant les tribus et leurs districts devaient recommencer bientôt après le premier établissement, à moins qu’Israël ne faillit à sa mission.
Enfin l’on découvre une contradiction dans les trois explications différentes qui sont données du fait que Dieu laissa subsister une partie des Cananéens au milieu d’Israël : d’une part il est dit que ce fut pour empêcher la multiplication des bêtes sauvages dans un pays qui autrement fût resté en partie inhabité (Exode 23.29) ; dans d’autres passages ce fait est mis sur le compte de la lâcheté et de l’indolence d’Israël, dans d’autres enfin il est dit que Dieu voulait se servir de la présence de ces peuples pour exercer la fidélité morale et développer les capacités militaires de son peuple. On s’explique le premier motif quand on considère qu’à peu près un quart du peuple s’était fixé à l’orient du Jourdain et quand on se rappelle ce qui est raconté de la multiplication des bêtes féroces dans la Samarie à la suite de la prise du pays par les Assyriens (2 Rois 17.25).Quant au second et au troisième motif, ils ne se contredisent pas en ce sens que la tolérance des Israélites à l’égard des Cananéens dépassa de beaucoup la mesure dans laquelle l’Éternel aurait consenti à laisser subsister quelques peuplades de ces derniers sur les confins du pays de Canaan et comme voisins d’Israël. Le peuple aurait dû les détruire dans son propre sein, mais il devait demeurer moralement et militairement en lutte avec eux comme ennemis extérieurs. Malgré l’existence reconnue de documents divers au moyen desquels a été composé le récit, aucune contradiction réelle ne nous paraît compromettre la vérité des faits racontés dans ce livre.