Les dirigeants d’entreprises face au retour du religieux
Alain Guillemoles, le 30/08/2017 à 14h20 Envoyer par email
L’université d’été du Medef, à Jouy-en-Josas, accueillait une table ronde sur le retour de la religion. Les dirigeants d’entreprises cherchent à comprendre ce qui explique la montée des phénomènes intégristes et la façon de les gérer au sein d’une entreprise.
Les dirigeants d’entreprises cherchent à comprendre ce qui explique la montée des phénomènes intégristes et la façon de les gérer au sein d’une entreprise.
D’où vient le puissant retour du religieux qui s’observe dans nos sociétés développées et dont la gestion se voudrait pourtant de plus en plus rationnelle ? Comment l’entreprise, lieu de vie, peut faire face à la diversité des pratiques et aux crispations qui peuvent en résulter au quotidien ? Ces questions faisaient l’objet d’une table ronde, mardi 29 août, dans le cadre de l’université d’été de Medef, qui tous les ans n’hésite pas à aller sur le terrain sociétal, en plus des multiples débats portant sur l’économie.
Cette table ronde réunissait l’évêque du Havre Mgr Jean-Luc Brunin, le rabbin Rivon Krygier, le vice-président du Conseil français du culte musulman (CFCM) Anouar Kbibech, la consultante Fatima Achouri et Laurent Bataille, dirigeant de Poclain Hydraulics et président de l’association des Entrepreneurs et dirigeants chrétiens (EDC). Elle était animée par Guillaume Goubert, directeur de La Croix.
« Identité en kit »
Pour le rabbin Rivon Krygier, le regain de pratique qui s’observe au sein d’une partie de la jeunesse doit plus à un phénomène identitaire qu’à une véritable soif spirituelle. « Beaucoup de ceux qui reviennent à la religion restent ignorants des textes. Ce qu’ils cherchent est un repère, une expérience intense qu’ils ne trouvent pas ailleurs », a-t-il jugé.
Constat partagé par Mgr Brunin qui évoque, lui, le « risque que les religions fournissent une identité en kit à des individus à la marge », qui seraient ainsi conduits vers la radicalité par des prêcheurs agissant en dehors des cultes institués, lesquels souffrent aujourd’hui d’un certain discrédit.
L’évêque du Havre a cependant souligné qu’il existe aujourd’hui une aspiration au spirituel largement partagée, « liée à une existence enfermée dans la rationalité technique qui produit un épuisement chez nos contemporains ».
Des vidéos pour contrer les djihadistes
C’est également ainsi qu’Anouar Kbibech a expliqué le renouveau de pratique chez les jeunes musulmans français. De plus, il est dû, selon lui, à l’action d’un certain nombre de penseurs qui, au début du XXe siècle, ont « relancé la réflexion sur l’islam » en lui donnant un nouveau souffle.
Ce renouveau se traduit, en France, par une plus grande observation du Ramadan et une participation des jeunes au pèlerinage à la Mecque de plus en plus importante. Il y a ajouté le fait que « les discriminations dans les quartiers » poussent un certain nombre de jeunes à se revendiquer musulman et redécouvrir la religion, mais avec le risque d’une « mauvaise lecture des textes ».
Pour contenir ce phénomène, le CFCM s’efforce de « reconquérir l’Internet, qui est le lieu de l’embrigadement ». Il se prépare à diffuser sur les réseaux sociaux des vidéos de 2 à 3 minutes ayant pour but de « produire un contre-discours » face aux djihadistes et « d’immuniser les jeunes contre le dévoiement des textes sacrés ».
À LIRE : Respect de la laïcité à la RATP : « Les cas litigieux sont très marginaux »
Dialoguer avec les collaborateurs
Pour l’entreprise, ce retour à la religion peut être une source de problèmes qu’il faut gérer. Consultante et intervenante dans les entreprises, Fatima Achouri incite à dédramatiser. « Il est contre-productif de nier le fait religieux tant que cela ne nuit pas à l’organisation, dit-elle. En revanche, il faut refuser ce qui nuit à la cohésion des équipes, par exemple la séparation entre hommes et femmes. »
Pour elle, la réponse passe par le dialogue avec le salarié, afin de voir s’il est possible de lui permettre de vivre sa foi sans peser sur les nécessités du travail. Cela passe aussi par la formation des dirigeants, pour les aider à mieux appréhender le fait religieux.
Dans tous les cas, les intervenants se sont accordés à dire qu’il ne faut pas voir la religion seulement sous l’angle du phénomène intégriste, mais aussi sous celui de l’enrichissement qu’il peut apporter au quotidien, et dans l’entreprise.
Patron chrétien et Français
À la tête d’un groupe international, Laurent Bataille en témoigne. « Patron chrétien », il raconte en souriant qu’il n’y a qu’en France que l’expression surprend. Pour lui, sa foi est une incitation à « oser la confiance à ses collaborateurs ». « Et cela donne de bons résultats, car si l’on fait confiance à nos collaborateurs ils sont prêts à déplacer des montagnes », relève-t-il.
De plus, la foi est une façon de donner du sens. Et c’est la principale question qui est adressée aujourd’hui aux dirigeants d’entreprise : « Les nouveaux collaborateurs ne me demandent pas : comment faire telle ou telle chose ? Mais pourquoi le faire ? Ils demandent du sens », rapportait Laurent Bataille.
C’est particulièrement vrai des jeunes qui interrogent davantage leur action, et qui sont donc plus sensibles à la notion de « bien commun » que ne l’étaient sans doute leurs aînés. Or cette notion est également présente dans toutes les religions, de façon plus ou moins importante.
http://www.la-croix.com/Religion/Laicite/Les-dirigeants-dentreprises-face-au-retour-du-religieux-2017-08-30-1200873015?from_univers=lacroix
Alain Guillemoles, le 30/08/2017 à 14h20 Envoyer par email
L’université d’été du Medef, à Jouy-en-Josas, accueillait une table ronde sur le retour de la religion. Les dirigeants d’entreprises cherchent à comprendre ce qui explique la montée des phénomènes intégristes et la façon de les gérer au sein d’une entreprise.
Les dirigeants d’entreprises cherchent à comprendre ce qui explique la montée des phénomènes intégristes et la façon de les gérer au sein d’une entreprise.
D’où vient le puissant retour du religieux qui s’observe dans nos sociétés développées et dont la gestion se voudrait pourtant de plus en plus rationnelle ? Comment l’entreprise, lieu de vie, peut faire face à la diversité des pratiques et aux crispations qui peuvent en résulter au quotidien ? Ces questions faisaient l’objet d’une table ronde, mardi 29 août, dans le cadre de l’université d’été de Medef, qui tous les ans n’hésite pas à aller sur le terrain sociétal, en plus des multiples débats portant sur l’économie.
Cette table ronde réunissait l’évêque du Havre Mgr Jean-Luc Brunin, le rabbin Rivon Krygier, le vice-président du Conseil français du culte musulman (CFCM) Anouar Kbibech, la consultante Fatima Achouri et Laurent Bataille, dirigeant de Poclain Hydraulics et président de l’association des Entrepreneurs et dirigeants chrétiens (EDC). Elle était animée par Guillaume Goubert, directeur de La Croix.
« Identité en kit »
Pour le rabbin Rivon Krygier, le regain de pratique qui s’observe au sein d’une partie de la jeunesse doit plus à un phénomène identitaire qu’à une véritable soif spirituelle. « Beaucoup de ceux qui reviennent à la religion restent ignorants des textes. Ce qu’ils cherchent est un repère, une expérience intense qu’ils ne trouvent pas ailleurs », a-t-il jugé.
Constat partagé par Mgr Brunin qui évoque, lui, le « risque que les religions fournissent une identité en kit à des individus à la marge », qui seraient ainsi conduits vers la radicalité par des prêcheurs agissant en dehors des cultes institués, lesquels souffrent aujourd’hui d’un certain discrédit.
L’évêque du Havre a cependant souligné qu’il existe aujourd’hui une aspiration au spirituel largement partagée, « liée à une existence enfermée dans la rationalité technique qui produit un épuisement chez nos contemporains ».
Des vidéos pour contrer les djihadistes
C’est également ainsi qu’Anouar Kbibech a expliqué le renouveau de pratique chez les jeunes musulmans français. De plus, il est dû, selon lui, à l’action d’un certain nombre de penseurs qui, au début du XXe siècle, ont « relancé la réflexion sur l’islam » en lui donnant un nouveau souffle.
Ce renouveau se traduit, en France, par une plus grande observation du Ramadan et une participation des jeunes au pèlerinage à la Mecque de plus en plus importante. Il y a ajouté le fait que « les discriminations dans les quartiers » poussent un certain nombre de jeunes à se revendiquer musulman et redécouvrir la religion, mais avec le risque d’une « mauvaise lecture des textes ».
Pour contenir ce phénomène, le CFCM s’efforce de « reconquérir l’Internet, qui est le lieu de l’embrigadement ». Il se prépare à diffuser sur les réseaux sociaux des vidéos de 2 à 3 minutes ayant pour but de « produire un contre-discours » face aux djihadistes et « d’immuniser les jeunes contre le dévoiement des textes sacrés ».
À LIRE : Respect de la laïcité à la RATP : « Les cas litigieux sont très marginaux »
Dialoguer avec les collaborateurs
Pour l’entreprise, ce retour à la religion peut être une source de problèmes qu’il faut gérer. Consultante et intervenante dans les entreprises, Fatima Achouri incite à dédramatiser. « Il est contre-productif de nier le fait religieux tant que cela ne nuit pas à l’organisation, dit-elle. En revanche, il faut refuser ce qui nuit à la cohésion des équipes, par exemple la séparation entre hommes et femmes. »
Pour elle, la réponse passe par le dialogue avec le salarié, afin de voir s’il est possible de lui permettre de vivre sa foi sans peser sur les nécessités du travail. Cela passe aussi par la formation des dirigeants, pour les aider à mieux appréhender le fait religieux.
Dans tous les cas, les intervenants se sont accordés à dire qu’il ne faut pas voir la religion seulement sous l’angle du phénomène intégriste, mais aussi sous celui de l’enrichissement qu’il peut apporter au quotidien, et dans l’entreprise.
Patron chrétien et Français
À la tête d’un groupe international, Laurent Bataille en témoigne. « Patron chrétien », il raconte en souriant qu’il n’y a qu’en France que l’expression surprend. Pour lui, sa foi est une incitation à « oser la confiance à ses collaborateurs ». « Et cela donne de bons résultats, car si l’on fait confiance à nos collaborateurs ils sont prêts à déplacer des montagnes », relève-t-il.
De plus, la foi est une façon de donner du sens. Et c’est la principale question qui est adressée aujourd’hui aux dirigeants d’entreprise : « Les nouveaux collaborateurs ne me demandent pas : comment faire telle ou telle chose ? Mais pourquoi le faire ? Ils demandent du sens », rapportait Laurent Bataille.
C’est particulièrement vrai des jeunes qui interrogent davantage leur action, et qui sont donc plus sensibles à la notion de « bien commun » que ne l’étaient sans doute leurs aînés. Or cette notion est également présente dans toutes les religions, de façon plus ou moins importante.
http://www.la-croix.com/Religion/Laicite/Les-dirigeants-dentreprises-face-au-retour-du-religieux-2017-08-30-1200873015?from_univers=lacroix