Qui sont les nouveaux chercheurs spirituels ?
JEAN-FRANÇOIS BARBIER-BOUVET
C'est la plus grande enquête jamais réalisée sur le profil, les pratiques et les attentes des nouveaux chercheurs spirituels. Empathiques, dans la modernité, en quête de « ce qui fait unité »... En dressant le profil type de ces personnes en quête de sens, le travail mené auprès de 6000 personnes par le Gerpse (1), de l'université de Strasbourg, ouvre des perspectives pour l'avenir du christianisme. Le sociologue Jean-François Barbier-Bouvet présente une synthèse de l’étude.
L’enquête sur les chercheurs spirituels contredit bien des clichés. On entend ainsi souvent parler d’égocentrisme, voire de nombrilisme pour qualifier ces démarches. Fondamentalement centrées sur l’individu, elles ne débouchent pas pour autant sur l’individualisme. Concrètement, les personnes interrogées pratiquent ou recherchent l’empathie, la possibilité de dialoguer avec l’autre. Elles croient à l’exemplarité. Elles se disent solidaires de l’ensemble de la communauté des hommes et de la planète, se sentent profondément reliées au monde et au cosmos. Solidarité non prosélyte : il ne s’agit pas nécessairement de militer pour changer le monde, il faut travailler d’abord à se changer soi-même.
Pas hors du monde mais dans la modernité
Autre idée toute faite : la recherche spirituelle serait un refuge. En réalité, l’enquête montre que ce besoin personnel de rééquilibrage par rapport à l’air du temps n’est pas un retrait ou un repli. Il ne débouche généralement ni sur une démarche réactionnaire (revenir à), ni sur une démarche résistante (maintenir contre), mais sur une acceptation assumée de la modernité (vivre avec, mais autrement). La démarche spirituelle ne consiste pas à fuir le monde, mais à donner de l’épaisseur au monde, à s’en extraire pour y replonger ensuite, plus riche.
> Infographie : Pratiques corporelles et méditation : les nouvelles entrées spirituelles
Pas des bricoleurs ni des zappeurs
S’agit-il d’une forme de « bricolage spirituel » ? Certes les chercheurs spirituels ne se privent pas de revisiter d’autres cultures que les leurs, et de s’adonner à d’autres pratiques que celles qui leur ont été transmises. Mais l’expression ne renvoie pas au « zapping », défini comme une démarche superficielle qui se pose et qui repart sans creuser ni se fixer. Ce sont au contraire des comportements fortement investis, même si leur objet peut évoluer au fil d’une vie (et certains itinéraires spirituels sont parfois peu linéaires), ou peut porter simultanément sur plusieurs univers spirituels à la fois, en apparence éloignés.
Pas de syncrétisme mais un enrichissement
Il est clair que beaucoup de ces chercheurs ont quitté les rives de l’orthodoxie religieuse, de la même manière que nos contemporains se sont éloignés des grands modèles explicatifs uniques que sont les idéologies politiques constituées. Ils peuvent associer plusieurs traditions, ou au sein d’une seule tradition n’en retenir qu’une partie. Non pas « ce qui les arrange », comme on le dit trop souvent, mais ce qui leur paraît essentiel, ce qui est tout à fait autre chose et implique un discernement (le mot ou la notion sont d’ailleurs souvent évoqués). Les chercheurs spirituels distinguent clairement ce qui pour eux est au centre et ce qui est à la périphérie, ce qui relève du fondamental et ce qui relève de l’accessoire.
Cette démarche, qu’on peut qualifier de « recomposition spirituelle » et non de syncrétisme, se caractérise donc à la fois par une ouverture et par une convergence : même ceux qui ne puisent plus à une source unique sont fondamentalement à la recherche de ce qui fait unité. Quitte à faire cohabiter des choses éloignées. Loin d’un monde spirituel où il faut être ou dedans ou dehors, ils peuvent être à la fois dedans et dehors ; loin d’un univers religieux où il faut être ou d’une appartenance ou d’une autre, ils peuvent être simultanément chrétiens et bouddhistes par exemple ; loin d’une représentation psychologique où les tempéraments s’excluent, ils peuvent être en même temps préoccupés de leur moi et soucieux de partager.
L’enquête fait apparaître que la grande majorité des chercheurs spirituels ne viennent pas de « nulle part », si on peut dire. Ils ont été élevés pour l’essentiel dans le christianisme. Et les deux tiers d’entre eux se reconnaissent encore explicitement comme chrétiens. Même ceux qui ont pris leurs distances avec les dogmes et qui ne se sentent plus tenus de suivre les rites. Leur quête, en les faisant passer par la connaissance d’autres filiations spirituelles et par l’expérience d’autres formes de recherche personnelle, leur fait souvent réinvestir leur tradition d’origine, mais d’une manière qui leur est propre, enrichie et reformulée.
> Infographie : Dans la généalogie religieuse, on ne reproduit pas toujours la religion de ses parents
Et les prochaines générations ?
Telle est la situation aujourd’hui, mais qu’en sera-t-il dans les générations suivantes ? La méconnaissance religieuse, repérée dans tous les sondages, nationaux comme européens, cache en fait deux phénomènes relativement différents : l’oubli (je l’ai su, mais je ne m’en souviens plus, ou alors de manière déformée) et l’ignorance (je ne l’ai jamais su). On peut faire l’hypothèse qu’elle est en train de changer progressivement de nature, et pas seulement d’élargir son territoire : au fil des générations, nous sommes en train de passer d’une situation dominante d’oubli (où il est encore possible de réactiver la mémoire) à une situation dominante d’ignorance. Les générations montantes sont le produit d’un chaînon de transmission manquant. Si elles sont autant que les précédentes sensibles à la recherche spirituelle, les voies qu’elles emprunteront risquent d’être profondément différentes, puisque tout leur sera initiation, dans toutes les traditions religieuses, y compris celle qui a nourri leur propre société.
(1) La méthode d'enquête
> Deux ans de travail de chercheurs du Gerpse en lien avec l'université de Strasbourg
> 23 centres spirituels associés à l'enquête
> 50 000 questionnaires envoyés à des personnes ayant suivi un stage, une session ou une formation depuis moins de cinq ans
> 6000 réponses analysées reflétant l'expérience et les attentes spirituelles d'aujourd'hui
JEAN-FRANÇOIS BARBIER-BOUVET
C'est la plus grande enquête jamais réalisée sur le profil, les pratiques et les attentes des nouveaux chercheurs spirituels. Empathiques, dans la modernité, en quête de « ce qui fait unité »... En dressant le profil type de ces personnes en quête de sens, le travail mené auprès de 6000 personnes par le Gerpse (1), de l'université de Strasbourg, ouvre des perspectives pour l'avenir du christianisme. Le sociologue Jean-François Barbier-Bouvet présente une synthèse de l’étude.
L’enquête sur les chercheurs spirituels contredit bien des clichés. On entend ainsi souvent parler d’égocentrisme, voire de nombrilisme pour qualifier ces démarches. Fondamentalement centrées sur l’individu, elles ne débouchent pas pour autant sur l’individualisme. Concrètement, les personnes interrogées pratiquent ou recherchent l’empathie, la possibilité de dialoguer avec l’autre. Elles croient à l’exemplarité. Elles se disent solidaires de l’ensemble de la communauté des hommes et de la planète, se sentent profondément reliées au monde et au cosmos. Solidarité non prosélyte : il ne s’agit pas nécessairement de militer pour changer le monde, il faut travailler d’abord à se changer soi-même.
Pas hors du monde mais dans la modernité
Autre idée toute faite : la recherche spirituelle serait un refuge. En réalité, l’enquête montre que ce besoin personnel de rééquilibrage par rapport à l’air du temps n’est pas un retrait ou un repli. Il ne débouche généralement ni sur une démarche réactionnaire (revenir à), ni sur une démarche résistante (maintenir contre), mais sur une acceptation assumée de la modernité (vivre avec, mais autrement). La démarche spirituelle ne consiste pas à fuir le monde, mais à donner de l’épaisseur au monde, à s’en extraire pour y replonger ensuite, plus riche.
> Infographie : Pratiques corporelles et méditation : les nouvelles entrées spirituelles
Pas des bricoleurs ni des zappeurs
S’agit-il d’une forme de « bricolage spirituel » ? Certes les chercheurs spirituels ne se privent pas de revisiter d’autres cultures que les leurs, et de s’adonner à d’autres pratiques que celles qui leur ont été transmises. Mais l’expression ne renvoie pas au « zapping », défini comme une démarche superficielle qui se pose et qui repart sans creuser ni se fixer. Ce sont au contraire des comportements fortement investis, même si leur objet peut évoluer au fil d’une vie (et certains itinéraires spirituels sont parfois peu linéaires), ou peut porter simultanément sur plusieurs univers spirituels à la fois, en apparence éloignés.
Pas de syncrétisme mais un enrichissement
Il est clair que beaucoup de ces chercheurs ont quitté les rives de l’orthodoxie religieuse, de la même manière que nos contemporains se sont éloignés des grands modèles explicatifs uniques que sont les idéologies politiques constituées. Ils peuvent associer plusieurs traditions, ou au sein d’une seule tradition n’en retenir qu’une partie. Non pas « ce qui les arrange », comme on le dit trop souvent, mais ce qui leur paraît essentiel, ce qui est tout à fait autre chose et implique un discernement (le mot ou la notion sont d’ailleurs souvent évoqués). Les chercheurs spirituels distinguent clairement ce qui pour eux est au centre et ce qui est à la périphérie, ce qui relève du fondamental et ce qui relève de l’accessoire.
Cette démarche, qu’on peut qualifier de « recomposition spirituelle » et non de syncrétisme, se caractérise donc à la fois par une ouverture et par une convergence : même ceux qui ne puisent plus à une source unique sont fondamentalement à la recherche de ce qui fait unité. Quitte à faire cohabiter des choses éloignées. Loin d’un monde spirituel où il faut être ou dedans ou dehors, ils peuvent être à la fois dedans et dehors ; loin d’un univers religieux où il faut être ou d’une appartenance ou d’une autre, ils peuvent être simultanément chrétiens et bouddhistes par exemple ; loin d’une représentation psychologique où les tempéraments s’excluent, ils peuvent être en même temps préoccupés de leur moi et soucieux de partager.
L’enquête fait apparaître que la grande majorité des chercheurs spirituels ne viennent pas de « nulle part », si on peut dire. Ils ont été élevés pour l’essentiel dans le christianisme. Et les deux tiers d’entre eux se reconnaissent encore explicitement comme chrétiens. Même ceux qui ont pris leurs distances avec les dogmes et qui ne se sentent plus tenus de suivre les rites. Leur quête, en les faisant passer par la connaissance d’autres filiations spirituelles et par l’expérience d’autres formes de recherche personnelle, leur fait souvent réinvestir leur tradition d’origine, mais d’une manière qui leur est propre, enrichie et reformulée.
> Infographie : Dans la généalogie religieuse, on ne reproduit pas toujours la religion de ses parents
Et les prochaines générations ?
Telle est la situation aujourd’hui, mais qu’en sera-t-il dans les générations suivantes ? La méconnaissance religieuse, repérée dans tous les sondages, nationaux comme européens, cache en fait deux phénomènes relativement différents : l’oubli (je l’ai su, mais je ne m’en souviens plus, ou alors de manière déformée) et l’ignorance (je ne l’ai jamais su). On peut faire l’hypothèse qu’elle est en train de changer progressivement de nature, et pas seulement d’élargir son territoire : au fil des générations, nous sommes en train de passer d’une situation dominante d’oubli (où il est encore possible de réactiver la mémoire) à une situation dominante d’ignorance. Les générations montantes sont le produit d’un chaînon de transmission manquant. Si elles sont autant que les précédentes sensibles à la recherche spirituelle, les voies qu’elles emprunteront risquent d’être profondément différentes, puisque tout leur sera initiation, dans toutes les traditions religieuses, y compris celle qui a nourri leur propre société.
(1) La méthode d'enquête
> Deux ans de travail de chercheurs du Gerpse en lien avec l'université de Strasbourg
> 23 centres spirituels associés à l'enquête
> 50 000 questionnaires envoyés à des personnes ayant suivi un stage, une session ou une formation depuis moins de cinq ans
> 6000 réponses analysées reflétant l'expérience et les attentes spirituelles d'aujourd'hui