Quand l’Onu nous met le voile
Publié le 23/10/2018 à 18h06 - Modifié le 23/10/2018 à 18h25Jean-Pierre Denis, directeur de la rédaction
Baptiste FENOUIL/REA
Le comité des Droits de l’homme de l’Onu vient de condamner la France. Notre pays aurait eu tort de verbaliser deux femmes portant le voile intégral, ou niqab, un vêtement qui masque l’intégralité du visage, ne laissant apparaître que les yeux. La loi votée sous Nicolas -Sarkozy est jugée liberticide. Elle porterait atteinte« de manière disproportionnée » au droit de « librement manifester sa religion ». Cet avis concocté par des experts originaires de différents pays ne tient pas compte du contexte national. Cela n’a pas grande importance, dira-t-on, puisque le texte n’a pas de portée juridique contraignante.
Politiquement, par contre, il offre un formidable cadeau aux islamistes qui se répandent dans certains quartiers et sur les réseaux sociaux. Ils y verront de quoi alimenter leur logique à la fois conquérante et victimaire. Ils en tireront argument pour mieux mobiliser ou enrôler certains jeunes trop malléables. On peut prévoir aussi que l’extrême droite en profitera pour souligner, une nouvelle fois, les menaces qui pèseraient sur un pays menacé d’islamisation galopante à cause de la lâcheté des élites mondialisées. Il est à craindre que d’autres se croient autorisés à prôner un nouveau tour de vis contre « les religions », terme d’ailleurs aussi générique qu’hypocrite.
L’Onu et ses comités plus ou moins Théodule ne sont pas forcément crédibles pour parler de droits de l’homme. Nombre d’instances sont phagocytées par des pays dont le comportement est tout sauf exemplaire. Il y a bien d’autres combats à mener au nom de l’universalité des droits humains et bien d’autres contrevenants à épingler, à l’heure où l’Arabie saoudite assassine un de ses ressortissants dans son propre consulat, à l’heure où la Chine en vient à enlever ses propres dirigeants alors même qu’ils dirigent une instance internationale, comme cela vient d’arriver au président d’Interpol. Donald Trump affiche son mépris du multilatéralisme. Le chef de l’État philippin vante ses exécutions extrajudiciaires. Le probable futur président brésilien fait l’éloge de la dictature et de la torture. Dans ce contexte, on a envie de renvoyer le comité d’experts à de plus urgents travaux que de condamner notre pays, surtout quand il cherche à contenir un phénomène sectaire.
Notre peuple chérit le cadre laïc progressivement mis en place au cours du dernier siècle.
Mais l’avis du comité n’en est pas moins intéressant. Il met le doigt sur un conflit dont on n’a pas fini d’entendre parler. Celui-ci oppose les absolutistes de la liberté religieuse et les partisans d’une sécularisation de plus en plus contraignante. L’islam s’installe en Occident au moment où une partie de nos sociétés sortent de la religion ou s’en veulent débarrassées. Décalages, frictions et polémiques vont donc se multiplier. Déjà des affaires surgissent régulièrement, et elles concernent à tour de rôle toutes les religions. Aux États-Unis, un pâtissier chrétien peut-il refuser de faire un gâteau de mariage pour deux homosexuels ? En France, les médecins peuvent-il continuer à exercer leur objection de conscience en matière d’avortement ? En Allemagne, la circoncision des petits garçons juifs est-elle une maltraitance ? En Grande-Bretagne, des parents peuvent-ils s’opposer à ce que l’on « débranche » leur enfant en fin de vie ? Autant de pays, autant de situations, autant de cultures juridiques. Et autant de déchirements.
En France, nous n’avons pas de meilleur outil que celui qui a été inventé lors de la séparation des Églises et de l’État. La loi contre le voile intégral est approuvée par les Français et ne fait pas débat. Plus généralement, notre peuple chérit le cadre laïc progressivement mis en place au cours du siècle dernier, moyennant des ajustements occasionnels qui n’en ont pas changé la substance. Cet équilibre fragile et perpétuellement insatisfaisant entre la liberté religieuse et les autres droits humains ou entre la liberté religieuse et l’ordre public est notre bien commun.
Publié le 23/10/2018 à 18h06 - Modifié le 23/10/2018 à 18h25Jean-Pierre Denis, directeur de la rédaction
Baptiste FENOUIL/REA
Le comité des Droits de l’homme de l’Onu vient de condamner la France. Notre pays aurait eu tort de verbaliser deux femmes portant le voile intégral, ou niqab, un vêtement qui masque l’intégralité du visage, ne laissant apparaître que les yeux. La loi votée sous Nicolas -Sarkozy est jugée liberticide. Elle porterait atteinte« de manière disproportionnée » au droit de « librement manifester sa religion ». Cet avis concocté par des experts originaires de différents pays ne tient pas compte du contexte national. Cela n’a pas grande importance, dira-t-on, puisque le texte n’a pas de portée juridique contraignante.
Politiquement, par contre, il offre un formidable cadeau aux islamistes qui se répandent dans certains quartiers et sur les réseaux sociaux. Ils y verront de quoi alimenter leur logique à la fois conquérante et victimaire. Ils en tireront argument pour mieux mobiliser ou enrôler certains jeunes trop malléables. On peut prévoir aussi que l’extrême droite en profitera pour souligner, une nouvelle fois, les menaces qui pèseraient sur un pays menacé d’islamisation galopante à cause de la lâcheté des élites mondialisées. Il est à craindre que d’autres se croient autorisés à prôner un nouveau tour de vis contre « les religions », terme d’ailleurs aussi générique qu’hypocrite.
L’Onu et ses comités plus ou moins Théodule ne sont pas forcément crédibles pour parler de droits de l’homme. Nombre d’instances sont phagocytées par des pays dont le comportement est tout sauf exemplaire. Il y a bien d’autres combats à mener au nom de l’universalité des droits humains et bien d’autres contrevenants à épingler, à l’heure où l’Arabie saoudite assassine un de ses ressortissants dans son propre consulat, à l’heure où la Chine en vient à enlever ses propres dirigeants alors même qu’ils dirigent une instance internationale, comme cela vient d’arriver au président d’Interpol. Donald Trump affiche son mépris du multilatéralisme. Le chef de l’État philippin vante ses exécutions extrajudiciaires. Le probable futur président brésilien fait l’éloge de la dictature et de la torture. Dans ce contexte, on a envie de renvoyer le comité d’experts à de plus urgents travaux que de condamner notre pays, surtout quand il cherche à contenir un phénomène sectaire.
Notre peuple chérit le cadre laïc progressivement mis en place au cours du dernier siècle.
Mais l’avis du comité n’en est pas moins intéressant. Il met le doigt sur un conflit dont on n’a pas fini d’entendre parler. Celui-ci oppose les absolutistes de la liberté religieuse et les partisans d’une sécularisation de plus en plus contraignante. L’islam s’installe en Occident au moment où une partie de nos sociétés sortent de la religion ou s’en veulent débarrassées. Décalages, frictions et polémiques vont donc se multiplier. Déjà des affaires surgissent régulièrement, et elles concernent à tour de rôle toutes les religions. Aux États-Unis, un pâtissier chrétien peut-il refuser de faire un gâteau de mariage pour deux homosexuels ? En France, les médecins peuvent-il continuer à exercer leur objection de conscience en matière d’avortement ? En Allemagne, la circoncision des petits garçons juifs est-elle une maltraitance ? En Grande-Bretagne, des parents peuvent-ils s’opposer à ce que l’on « débranche » leur enfant en fin de vie ? Autant de pays, autant de situations, autant de cultures juridiques. Et autant de déchirements.
En France, nous n’avons pas de meilleur outil que celui qui a été inventé lors de la séparation des Églises et de l’État. La loi contre le voile intégral est approuvée par les Français et ne fait pas débat. Plus généralement, notre peuple chérit le cadre laïc progressivement mis en place au cours du siècle dernier, moyennant des ajustements occasionnels qui n’en ont pas changé la substance. Cet équilibre fragile et perpétuellement insatisfaisant entre la liberté religieuse et les autres droits humains ou entre la liberté religieuse et l’ordre public est notre bien commun.