Fabrice Hadjadj : « La plus grande urgence est d’évangéliser les chrétiens »
PROPOS RECUEILLIS PAR MARIE-LUCILE KUBACKI
CRÉÉ LE 27/03/2013 / MODIFIÉ LE 27/03/2013 À 12H48
Le philosophe Fabrice Hadjadj vient de remporter le prix Spiritualités d'aujourd'hui 2013, pour son ouvrage Comment parler de Dieu aujourd’hui ? Anti-manuel d’évangélisation (paru chez Salvator). Nous l'avions rencontré au moment de la sortie de ce livre.
Créé par André Chouraqui il y a 13 ans, le prix Spiritualités d'aujourd'hui a pour but de récompenser des ouvrages qui favorisent le dialogue entre divers courants religieux. Fabrice Hadjadj, à qui il est attribué cette année, succède ainsi à Alexandre Adler, lauréat en 2012 avec Le Peuple-Monde, destins d'Israël (Albin Michel). Il recevra officiellement le prix le 28 septembre prochain, dans le cadre du Festival "Lire en Méditerranée" organisé par le Centre méditerranéen de littérature.
Dans Comment parler de Dieu aujourd’hui ? Anti-manuel d’évangélisation, ouvrage incontournable et impertinent, le philosophe met en garde contre une dérive de la nouvelle évangélisation qui consisterait à se focaliser davantage sur la forme que sur le fond.
Annoncer l’Évangile est-il plus difficile aujourd’hui qu’autrefois ?
Il ne s’agit plus d’annoncer la Bonne Nouvelle à des non-chrétiens, mais à des déchristianisés. Le déchristianisé vit sur un patrimoine dont il a perdu conscience. « Ah, oui ! Jésus, c’est bon, nous avons déjà deux crucifix à la cave… » Voilà la pire des ignorances. On croit savoir – alors qu’on ne sait pas – et dès lors on ne cherche plus à apprendre. Mais il y a pire que le déchristianisé : c’est le chrétien lui-même, du moins celui qui croit qu’il possède à fond la loi de Dieu, et que l’évangélisation ne concerne que les autres. Il était très difficile d’annoncer la Bonne Nouvelle dans nos chrétientés d’antan. L’état de chrétien y était un état civil. On parlait de Dieu comme on parlait d’impôt ou de pâté en croûte. C’était une sécularisation par confusion, contraire à la sécularisation d’aujourd’hui, qui se fait par séparation. Dans un cas comme dans l’autre, on n’entend plus le caractère toujours surprenant, toujours exigeant de la parole du Christ. Au fond, la Bonne Nouvelle est toujours nouvelle. Qu’on soit pour ou contre, croire que c’est un truc dont on a fait le tour, c’est n’avoir même
pas commencé à l’écouter. La plus grande urgence est donc que les chrétiens se laissent évangéliser eux-mêmes.
Dans votre livre, vous vous montrez très critique envers une dérive qui consisterait à se focaliser sur les techniques de communication. Ne doit-on pas investir Internet et les réseaux sociaux ?
Les moyens désincarnés ne sont pas les plus aptes à dire le mystère de l’Incarnation. Plus on se perdra dans le virtuel, plus la nouveauté se trouvera dans la proximité physique. L’avenir n’est pas dans l’iPad, mais dans la chair. La plus haute technologie de communication est celle donnée par la nature : être face à face, ou côte à côte. Tous les amoureux le savent. Le christianisme ne vient pas délivrer qu’un message ou une information. Si tel était le cas, il faudrait préférer les mass media à la messe. Le christianisme vient manifester une présence.
Mais le langage chrétien n’est-il pas devenu inaudible à la société faute de références communes ?
Les références communes sont là, comme une source souterraine. D’ailleurs, il n’y a pas que le langage chrétien qui est devenu inaudible. C’est le langage, en général. Séduit par la sophistique contemporaine, celle du technicisme, du marketing, de la « com », qui conçoit le langage comme un instrument de pouvoir, on n’écoute même plus sa propre parole quotidienne. Or cette parole appelle une espérance. Elle prie, qu’on le veuille ou pas. Par exemple, lorsque nous disons simplement « bonjour ». Nous nous souhaitons déjà un jour limpide, envahi par la bonté, ce que les prophètes appellent le « jour du Seigneur »
http://www.lavie.fr/religion/catholicisme/fabrice-hadjadj-la-plus-grande-urgence-est-d-evangeliser-les-chretiens-27-03-2013-38441_16.php
PROPOS RECUEILLIS PAR MARIE-LUCILE KUBACKI
CRÉÉ LE 27/03/2013 / MODIFIÉ LE 27/03/2013 À 12H48
Le philosophe Fabrice Hadjadj vient de remporter le prix Spiritualités d'aujourd'hui 2013, pour son ouvrage Comment parler de Dieu aujourd’hui ? Anti-manuel d’évangélisation (paru chez Salvator). Nous l'avions rencontré au moment de la sortie de ce livre.
Créé par André Chouraqui il y a 13 ans, le prix Spiritualités d'aujourd'hui a pour but de récompenser des ouvrages qui favorisent le dialogue entre divers courants religieux. Fabrice Hadjadj, à qui il est attribué cette année, succède ainsi à Alexandre Adler, lauréat en 2012 avec Le Peuple-Monde, destins d'Israël (Albin Michel). Il recevra officiellement le prix le 28 septembre prochain, dans le cadre du Festival "Lire en Méditerranée" organisé par le Centre méditerranéen de littérature.
Dans Comment parler de Dieu aujourd’hui ? Anti-manuel d’évangélisation, ouvrage incontournable et impertinent, le philosophe met en garde contre une dérive de la nouvelle évangélisation qui consisterait à se focaliser davantage sur la forme que sur le fond.
Annoncer l’Évangile est-il plus difficile aujourd’hui qu’autrefois ?
Il ne s’agit plus d’annoncer la Bonne Nouvelle à des non-chrétiens, mais à des déchristianisés. Le déchristianisé vit sur un patrimoine dont il a perdu conscience. « Ah, oui ! Jésus, c’est bon, nous avons déjà deux crucifix à la cave… » Voilà la pire des ignorances. On croit savoir – alors qu’on ne sait pas – et dès lors on ne cherche plus à apprendre. Mais il y a pire que le déchristianisé : c’est le chrétien lui-même, du moins celui qui croit qu’il possède à fond la loi de Dieu, et que l’évangélisation ne concerne que les autres. Il était très difficile d’annoncer la Bonne Nouvelle dans nos chrétientés d’antan. L’état de chrétien y était un état civil. On parlait de Dieu comme on parlait d’impôt ou de pâté en croûte. C’était une sécularisation par confusion, contraire à la sécularisation d’aujourd’hui, qui se fait par séparation. Dans un cas comme dans l’autre, on n’entend plus le caractère toujours surprenant, toujours exigeant de la parole du Christ. Au fond, la Bonne Nouvelle est toujours nouvelle. Qu’on soit pour ou contre, croire que c’est un truc dont on a fait le tour, c’est n’avoir même
pas commencé à l’écouter. La plus grande urgence est donc que les chrétiens se laissent évangéliser eux-mêmes.
Dans votre livre, vous vous montrez très critique envers une dérive qui consisterait à se focaliser sur les techniques de communication. Ne doit-on pas investir Internet et les réseaux sociaux ?
Les moyens désincarnés ne sont pas les plus aptes à dire le mystère de l’Incarnation. Plus on se perdra dans le virtuel, plus la nouveauté se trouvera dans la proximité physique. L’avenir n’est pas dans l’iPad, mais dans la chair. La plus haute technologie de communication est celle donnée par la nature : être face à face, ou côte à côte. Tous les amoureux le savent. Le christianisme ne vient pas délivrer qu’un message ou une information. Si tel était le cas, il faudrait préférer les mass media à la messe. Le christianisme vient manifester une présence.
Mais le langage chrétien n’est-il pas devenu inaudible à la société faute de références communes ?
Les références communes sont là, comme une source souterraine. D’ailleurs, il n’y a pas que le langage chrétien qui est devenu inaudible. C’est le langage, en général. Séduit par la sophistique contemporaine, celle du technicisme, du marketing, de la « com », qui conçoit le langage comme un instrument de pouvoir, on n’écoute même plus sa propre parole quotidienne. Or cette parole appelle une espérance. Elle prie, qu’on le veuille ou pas. Par exemple, lorsque nous disons simplement « bonjour ». Nous nous souhaitons déjà un jour limpide, envahi par la bonté, ce que les prophètes appellent le « jour du Seigneur »
http://www.lavie.fr/religion/catholicisme/fabrice-hadjadj-la-plus-grande-urgence-est-d-evangeliser-les-chretiens-27-03-2013-38441_16.php