À l’attitude de l’homme en face de la nature, on peut juger de sa position vis-à-vis de Dieu. En dehors de la révélation biblique, l’esprit humain oscille entre un panthéisme par lequel il emprisonne Dieu dans son œuvre et un déisme par lequel il l’en sépare d’une manière absolue, l’une et l’autre tendance aboutit à reléguer le Créateur au second plan, quand on n’en vient pas à le mettre entièrement de côté, pour faire du monde l’objet unique de l’admiration et de l’adoration humaines. Notre psaume, comme en général les parties poétiques de la Bible qui traitent de la nature, exprime parfois avec une singulière hardiesse la relation intime et profonde qui existe entre la créature et l’Esprit créateur. Nous y voyons tous les êtres s’attendre à Dieu, lui parler à leur manière, recevoir de lui leur subsistance, vivre du souffle qu’il leur communique (versets 21, 27, 29) ; le soleil, la mer, les vents, la foudre obéissent si ponctuellement à ses ordres que, soit leurs courses régulières et infaillibles, soit leurs mouvements violents et inattendus, sont les manifestations mêmes de la volonté de Dieu (versets 4, 5, 9, 19). Et pourtant comme Jéhovah est distinct de son œuvre ! Comme il la domine, comme elle tremble à son regard (verset 32) ! Notre psaume admet le cours régulier des lois et des forces de la nature. Mais ce Dieu reste le maître de toutes choses, il reste Dieu et par là même aussi l’homme reste homme, responsable du trouble qu’il introduit parfois dans l’œuvre divine (verset 35) et en même temps capable de bénir Celui de qui il reçoit tout, autorisé à attendre de lui secours et délivrance. Le Dieu de la nature (Psaume 104) est aussi celui de la grâce (Psaume 103).
Le Psaume 104 est le poème de la création, poème qui n’a pas son pareil dans toute la littérature profane (C.H. Cornill). Le savant Humboldt fait observer que dans ce seul psaume se reflète l’image du monde entier… On est étonné, dit-il, de voir décrit en quelques grands traits, dans une composition lyrique de si peu d’étendue l’univers entier, le ciel et la terre. Fidèle au récit de Genèse chapitre 1, notre psaume en suit les grandes lignes dans de splendides développements ; tout en parlant de l’œuvre créatrice accomplie une fois pour toutes, il montre le travail divin se prolongeant, se continuant en quelque sorte d’une manière permanente, par les soins que la Providence divine donne à ses créatures. Ses sept strophes ne correspondent pas exactement aux sept journées du récit de la Genèse ; les œuvres des deux premiers jours sont résumées en une strophe (versets 1 à 4) ; celle du troisième jour n’en occupe pas moins de trois (versets 5 à 18) ; puis viennent, dans la cinquième strophe, l’œuvre du quatrième jour (versets 19 à 23), dans la sixième, celle des deux derniers jours (versets 24 à 30). La strophe finale est tout entière consacrée à l’adoration (versets 31 à 35) Si la formation de l’homme n’est pas spécialement racontée, on peut dire néanmoins que l’homme, qui connaît et admire l’œuvre divine, en en recueillant les fruits, occupe la place centrale, au-dessous de Dieu toutefois, car du commencement à la fin, Jéhovah apparaît dans sa gloire de Créateur.