Le quatrième Livre des Psaumes
Ce livre devait, dans la pensée des rédacteurs définitifs du psautier, correspondre au quatrième livre de la Loi. Il s’ouvre par un cantique qui se rapporte précisément au séjour de quarante ans d’Israël au désert, dont parle le livre des Nombres. Et le nom mis en tête de ce psaume est celui de Moïse lui-même. Tous les cantiques qui forment le reste du livre sont anonymes, à l’exception de deux, qui sont attribués à David.
Psaume 90 — Cantique de Moïse
Sous les yeux du Dieu qui subsiste éternellement, l’homme passe comme un songe (versets 1 à 6). Combien est triste le sort d’une génération qui voit cette course vers la mort accélérée encore et assombrie pour elle par la colère divine (versets 7 à 12) ! Notre psaume donne expression à cette tristesse. Et pourtant nous y trouvons moins une plainte qu’une prière confiante : la tristesse sera changée en joie, quand l’Éternel reviendra de sa colère (versets 13 à 17). Bien différent en effet des grands poètes païens, le psalmiste ne se débat pas contre un destin aveugle et impitoyable : il prie le Dieu vivant. La grandeur infinie de ce Dieu et la condamnation dont il frappe le péché sembleraient devoir être pour lui un sujet d’effroi ; mais non, c’est de l’Éternel qu’il attend sa joie et c’est auprès de lui qu’il se retire.
On est surpris que, parlant, comme il le fait des générations qui disparaissent, le psalmiste ne cherche pas à percer le voile de l’au-delà et ne mentionne pas même le Schéol. Évidemment, sa préoccupation n’est pas de suivre les destinées mystérieuses des milliers d’hommes emportés loin de la scène de ce monde. Il pense aux vivants, à ce peuple décimé qui vit au milieu de la mort, qui a devant lui une grande œuvre à accomplir (verset 17) et auquel Dieu a promis d’accomplir lui-même une œuvre en sa faveur (verset 16). C’est pour ce peuple qu’il parle et prie, s’identifiant avec lui. Tel fut le rôle de Moïse, auquel une antique tradition attribue le cantique.
Le psaume, par sa pensée inspiratrice, aussi bien que par la manière en laquelle il l’exprime, est digne d’une telle origine. La simplicité saisissante du langage, le sentiment si profond de la condamnation portée par la sainteté divine contre les fautes connues et cachées de l’homme, l’inébranlable confiance en ce Dieu qui frappe et qui pourtant veut bénir : ce sont là des traits bien conformes à la grande figure de Moïse. Chacun reconnaît d’ailleurs que les sentiments exprimés ici ont dû être ceux du grand serviteur de Dieu, alors qu’a chaque étape du désert on devait creuser de nombreux tombeaux, alors surtout que, de ses propres mains, il dut ensevelir son frère Aaron (Nombres 20.27-29). Enfin l’étude détaillée du psaume confirme absolument cette impression générale. Ce qui est dit de la culpabilité du peuple (verset 7), de ses malheurs exceptionnels (verset 15), de la mortalité précoce (verset 10), de l’inattention générale en face des jugements de Dieu (verset 11), est de nature à lever tous les doutes que l’on pourrait avoir, quant à l’origine du psaume.
On a objecté qu’un tel poème, s’il eût été composé par Moïse, aurait trouvé place dans le Pentateuque. Pas nécessairement, car ce cantique exprime des impressions personnelles qui n’étaient pas directement en relation avec l’histoire ou la législation consignées dans le Pentateuque. Nous savons par Nombres 21.14, qu’il existait à l’époque de Moïse un ou des recueils de récits et de poèmes dont le Pentateuque ne nous donne que de courts extraits ; notre psaume a pu être conservé dans l’un d’eux. Quant à l’objection tirée du fait que la langue de Moïse devait différer beaucoup plus que celle de notre psaume de l’hébreu parlé mille ou douze cents ans plus tard, elle ne paraît pas décisive. Nous aurons à examiner, dans nos conclusions de la fin de ce volume, cette question de l’uniformité relative du langage des Psaumes. Bornons-nous, à signaler ici une particularité propre à notre psaume : à chaque verset, pour ainsi dire, on y rencontre des formes grammaticales ou des rapprochements de mots qui se trouvent dans le cantique et dans la bénédiction de Moïse (Deutéronome chapitres 32 et 33). Ces ressemblances sont si nombreuses que nous devons renoncer à les indiquer toutes. Elles établissent une parenté d’origine bien évidente entre notre cantique et ces divers morceaux.