[size=40]Sixième vague du Covid-19 : pourquoi on ne l’avait pas vue venir 16h03 , le 11 mars 2022[/size]
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Chaque semaine, le journaliste Vincent Glad signe une chronique sur le site du JDD consacrée au suivi de l'épidémie de Covid-19. Ce vendredi, il s'interroge sur la sixième vague du coronavirus. Autotest, photo d'illustration. (AFP)Ce virus ne finira jamais de nous surprendre. Alors qu’on était passé à autre chose, les yeux rivés sur la guerre en Ukraine, rassurés par l’immunité acquise par la déferlante Omicron, la sixième vague pointe déjà le bout de son nez. Jeudi, les cas étaient en hausse de 26 % par rapport à la semaine dernière, contrariant la levée du port du masque et du passe vaccinal prévue la semaine prochaine. Nul ne sait s’il s’agira d’une réelle vague ou simplement d’une vaguelette mais son irruption plus tôt que prévue, de façon simultanée dans toute l’Europe de l’Ouest, interroge une nouvelle fois sur notre incapacité à prévoir les cycles de ce virus.
BA.2 ou fin des vacances ?
Plusieurs explications sont avancées pour expliquer cette soudaine reprise. D’abord la prise de pouvoir du variant BA.2, petit frère d’Omicron (qui était lui
« BA.1 »). Ce sous-lignage est un peu plus contagieux que son prédécesseur et est ainsi susceptible de relancer la machine. D’après les derniers chiffres de Santé Publique France, BA.2 est devenu majoritaire en France à la fin février. Ce scénario était prévu, la reprise épidémique que l’on observe nettement moins : l’Institut Pasteur avait fait tourner ses machines il y a quelques semaines et estimait que ce sous-variant n’était pas susceptible à lui seul de relancer une véritable vague, comme
« écrasé par la vague de BA.1 qui l’a précédée ».Lire aussi - Covid-19 : faut-il craindre un nouveau rebond épidémique ?Un facteur n’avait pas été pris en compte par l’Institut Pasteur : la possibilité que les personnes déjà infectées avec BA.1 se recontaminent avec BA.2.
« Le très haut niveau de contaminations d’Omicron a entraîné une immunité collective qui a permis de faire reculer l'épidémie. Est-ce qu’en seulement en un mois et demi cette immunité pourrait déjà s'estomper ? C'est la question centrale des semaines à venir », s’interroge à voix haute l’épidémiologiste Antoine Flahault, directeur de l’Institut de santé globale de l’université de Genève. Une première étude publiée au Danemark se montre plutôt rassurante à ce sujet : les réinfections avec BA.2 sont possibles mais relativement rares.
Autre explication avancée : la fin des vacances.
« La carte de la reprise épidémique est très corrélée avec la rentrée scolaire », relève Antoine Flahault. La sixième vague a pris son envol dans toute la partie Nord de la France, exactement celle qui a repris les cours dès le 21 février. L’explication est séduisante mais pas totalement convaincante : en observant les chiffres des tous derniers jours, la reprise épidémique est en train de gagner toute la France, y compris la zone C, retournée en classe lundi.
Synchronicité européenne
L’Institut Pasteur avance une dernière hypothèse : la reprise serait liée à un relâchement des gestes barrière.
« La courbe des cas est proche des projections obtenues sous l’hypothèse qu’à partir du 22 février, les Français ont augmenté leurs contacts d’environ 40% par rapport aux niveaux de janvier-février », écrivent les scientifiques dans une mise à jour de leurs calculs. Que s’est-il donc passé le 22 février pour que les Français se mettent subitement à sociabiliser en masse ? C’est toute la limite des explications purement théoriques, les yeux rivés sur les modèles.
Lire aussi - Le Covid-19 est-il devenu une grippe comme une autre ?Le mystère de cette sixième vague s’épaissit encore un peu plus si l’on regarde les courbes européennes. Supposons que les Français aient fait les fous à partir du 22 février, mais que dire alors des Hollandais (+84 % en une semaine) ou des Suisses (+48 %) ? La reprise épidémique s’observe dans tous les pays d’Europe de l’Ouest, de l’Angleterre à l’Italie, en passant par l’Allemagne.
« Quand on évoque le relâchement de la population pour expliquer la remontée des contaminations, on voit bien que la différence n’est pas très flagrante entre les pays qui ont retiré toutes les restrictions comme le Royaume-Uni et d’autres pays comme la France qui ont moins desserré la bride », remarque Antoine Flahault. Une nouvelle fois, une vague Covid-19 nous surprend par sa synchronicité à l’échelle du sous-continent. Le même phénomène avait été observé pour la vague estivale de Delta et la récente vague d’Omicron, tendant à relativiser les arguments concernant le respect des gestes barrière ou l’influence des dates de rentrée scolaire.
Mécanisme mystérieux
En vérité, après deux ans de pandémie, et pas moins de six vagues, le mécanisme de montée et de reflux de celles-ci reste toujours aussi mystérieux. La science a formidablement progressé pendant ces deux longues années, que ce soit pour la conception des vaccins à ARN messager ou pour la compréhension de la contamination aérosol, mais il reste un domaine profondément décevant : l’explication des courbes épidémiques.
« Un embarras pour les théories actuelles », n’hésite pas à écrire l’épidémiologiste d’Harvard Marc Lipsitch. Nous pouvons dans une certaine mesure anticiper les vagues mais il reste toujours une large part d’inattendu.
« Nous en sommes encore à l'âge des cavernes pour ce qui est de comprendre comment les virus émergent, comment ils se propagent, comment ils démarrent et s'arrêtent, pourquoi ils font ce qu'ils font », déclare au
New York Times Michael Osterholm, épidémiologiste à l'université du Minnesota.
Lire aussi - Que restera-t-il du masque après le 14 mars ?En France, le reflux rapide de la troisième vague en mai dernier, malgré le déconfinement, avait surpris de nombreux observateurs qui prévoyaient une reprise certaine. Un des mouvements les plus inexpliqués reste le recul de la vague américaine en février 2021. En plein hiver, alors que les restrictions étaient minimales dans de nombreux États, les contaminations se sont effondrées dans tous les États-Unis, laissant les épidémiologistes circonspects. Toutes les explications ont alors été avancées, mais rien ne tenait vraiment : les Américains se seraient mis subitement à respecter les gestes barrière (sans commentaire), la saisonnalité (dès février, vraiment ?), l’immunité collective (l'avenir prouvera que non) et les vaccins qui font leur effet (mais n’empêcheront pas une terrible vague quelques mois plus tard). Tout se passe comme si le virus se moquait bien de nos calculs savants, semblant parfois répondre à sa logique propre.