Les États riches sont engagés dans une course aux accords avec les laboratoires, menaçant les tentatives d'instaurer un système plus coopératif. Un calcul à courte vue.
En matière de nationalisme vaccinal, l'Europe n'a guère de leçons à donner aux États-Unis. Le président américain, Donald Trump, a choqué la planète entière avec ses "America first" et ses diatribes contre l'Organisation mondiale de la santé. Mais derrière leurs grands discours sur le vaccin contre le Covid "bien public mondial", l'accès universel et l'éthique, les dirigeants européens se montrent presque aussi redoutables que les Américains dans la bataille pour réserver leurs futurs approvisionnements. "D'ici à la fin de septembre, nous aurons sécurisé 1 milliard de doses pour les citoyens de l'Union", s'est ainsi félicité Clemens Martin Auer, un membre de l'équipe chargée de négocier avec les fabricants, lors d'une récente conférence en ligne. Bien sûr, a-t-il aussitôt indiqué, "les 28 apporteront des moyens à l'OMS pour acheter des injections pour le reste du monde". À condition toutefois qu'il reste des doses disponibles...
Deux chiffres montrent à eux seuls l'ampleur des tensions qui auront lieu dans le monde le jour où une immunisation sera mise sur le marché. D'un côté, les capacités de production mondiales : elles sont évaluées à 3 à 4 milliards de doses d'ici à la fin de 2021, selon une étude de la Cepi, coalition pour la préparation aux épidémies. De l'autre, le volume des réservations déjà passées par un petit club de pays riches (USA, Royaume-Uni, UE, Japon, Australie...) : 5 milliards de doses selon la Fédération internationale des fabricants (lFPMA ). "Les capacités de production peuvent augmenter et toutes les précommandes ne seront pas forcément honorées, car certains produits ne seront pas efficaces. Mais il n'empêche : la part du gâteau réservée aux autres pays se réduit au fur et à mesure que se multiplient les accords bilatéraux", déplore Suerie Moon, codirectrice du Global Health Center (Genève, Suisse).