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Un optimisme tempéré. L'épidémiologiste Dominique Costagliola, Grand Prix de l'Inserm en 2020, répond dans L'Express à ses détracteurs qui aiment à la présenter comme une "enfermiste" ou une "prophète de malheur"... La scientifique assure qu'elle n'a aucun problème à reconnaître s'être trompée sur l'amélioration rapide de la situation épidémiologique en France : "Les données ont toujours raison". Mais l'erreur serait de se croire sorti d'affaire. Si elle salue la prise de parole "relativement équilibrée" de Jean Castex mercredi, la chercheuse invite ainsi à rester prudent et à surveiller l'essor du variant Delta, comme le prouve l'exemple britannique. Selon Dominique Costagliola, la France pourrait aussi faire plus d'efforts pédagogiques en matière d'aération. Mais le message principal est de ne surtout pas relâcher la vaccination, notre meilleur espoir pour échapper à une quatrième vague. Entretien.
L'Express : Vous avez dit que ne vous attendiez pas à ce que la situation s'améliore aussi vite : est-ce une sorte de mea culpa après des prévisions trop sombres ?
Dominique Costagliola : Il est vrai que j'ai été surprise par la baisse rapide du nombre de nouveaux cas positifs. J'avais dit que la probabilité qu'il en soit ainsi était petite, mais je n'avais pas dit que c'était impossible. Je n'ai toutefois aucun problème à reconnaître que je me suis trompée. Certains se sont montrés extrêmement violents à mon égard pour cette raison. Pourtant, ce n'est pas comme si plein de gens ne s'étaient pas trompés durant cette épidémie, sans toujours d'ailleurs reconnaître leurs erreurs... L'un d'entre eux (NDLR Martin Blachier) a même raconté à l'automne dernier que c'étaient les données qui étaient fausses, et pas son modèle ! Mais les données ont toujours raison...
Comment expliquez-vous cette baisse très rapide ?
Par un mélange de différents facteurs : la vaccination, le confinement, la fermeture des écoles... Beaucoup mettent en avant la météo, mais je ne suis pas sûre que ce soit une explication suffisante : au Royaume-Uni, le nombre de cas est reparti à la hausse malgré un temps tout aussi favorable que chez nous actuellement. Quand un virus plus transmissible circule, il se transmet, même si la météo est belle. Il y a sans doute un petit ralentissement lié au fait que l'on vit davantage dehors, où le risque de contamination est moindre. Il faudra conduire des études prenant en compte tous ces facteurs pour déterminer que part de la baisse on peut expliquer pas ces facteurs
Néanmoins, Emmanuel Macron paraît bel et bien avoir gagné son pari contre les épidémiologistes...
Pour analyser la gestion de la crise, il va falloir attendre qu'elle soit finie. Et elle n'est pas finie. Les décisions prises n'ont pas été sans conséquences, que ce soit en termes de mortalité, de nombre de Covid longs, de patients marqués par des séjours en réanimation. Il faudra faire aussi le bilan économique, se demander s'il aurait possible de faire mieux... Pour avoir un avis éclairé, de nombreux facteurs sont à prendre en compte : la structure d'âge de la population, sa densité, la proportion de personnes âgées résidant en Ephad, le niveau socio-économique... Tout cela joue sur les effets de l'épidémie, on ne peut pas se contenter d'une comparaison internationale des taux bruts de mortalité, qui ont de grandes chances d'être erronés selon les pays.
"J'ai peur que les gens se demandent pourquoi se vacciner si l'épidémie leur semble finie..."
En France, en tout cas, la situation semble désormais très favorable...
L'allègement des mesures au mois de mai n'a pas eu d'effet négatif, et on ne peut que s'en réjouir. Nous entrons à présent dans la période où nous allons commencer à voir si la réouverture complète des restaurants et des salles de sport va avoir un impact. Ces activités se trouvent quand même un peu plus à risque. Dans les deux cas, le port du masque n'est pas possible, et il n'y a pas eu de consignes claires sur l'aération, alors qu'il s'agit d'un point important pour la prévention de la transmission en intérieur. L'autre inconnue, c'est le niveau réel de circulation du variant Delta dans notre pays. Nous savons qu'il est là, qu'il cause des clusters. Le ministre de la Santé Olivier Véran estime qu'il représente déjà de 2% à 4% des nouvelles contaminations, sur la base des outils de screening qui commencent à être déployés. Sa vitesse de diffusion va être la variable la plus importante à suivre dans les prochaines semaines.