[size=38]En Russie, l’influence croissante de l’Église orthodoxe dans les affaires nucléaires[/size]
Analyse
Un prêtre orthodoxe bénit les nouvelles recrues, à Moscou, en Russie, le 15 juin 2012.[size=12]SERGEI ILNITSKY/EPA[/size]
Dans l’ancien pays des tsars, on ne compte plus le nombre de photographies immortalisant les bénédictions, par des prêtres orthodoxes, de soldats, de navires de guerre, de bombardiers, de chars, de missiles balistiques ou autres armes atomiques. Ailleurs dans le monde, ces images continuent pourtant de défrayer la chronique et d’interroger : comment la puissante institution religieuse est-elle parvenue, ces dernières années, à étendre aussi stratégiquement son influence dans les rangs, étroitement surveillés, de la communauté militaire russe ?
Lors d’une table ronde organisée vendredi 20 septembre au Centre de recherches internationales (CERI) de Sciences-Po pour présenter son dernier ouvrage (1), le chercheur Dmitry Adamsky, professeur au centre interdisciplinaire de l’université Herzlya en Israël, a analysé cette profonde imbrication entre les deux entités.
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« Depuis la chute du régime soviétique, l’orthodoxie est devenue un élément fondamental de l’identité nationale russe. L’Église est ainsi parvenue à réaffirmer avec force son autorité, sa place, dans la société et dans les affaires publiques du pays », a notamment expliqué le spécialiste, devant une salle comble.
Entre l’État et l’Église, les relations n’ont pourtant pas toujours été au beau fixe tout au long de la tumultueuse histoire russe, comme le rappelle l’ouvrage de Dmitry Adamsky. Après la révolution bolchevique et la création d’un État athée, elles ont même atteint leur niveau le plus bas.
« Depuis la fin de l’ère soviétique, trois différentes périodes ont présidé à cet essor de l’influence de l’Église dans les affaires militaires : la "décennie de la genèse" qui a vu s’enraciner le phénomène de 1991 à l’aube des années 2000, puis la "décennie de la conversion", avec les premiers mandats du président Vladimir Poutine, et enfin la "décennie de l’opérationnalisation", à l’aune notamment des conflits en Ukraine ou encore en Syrie », a précisé le chercheur.
Depuis son accession au pouvoir, Vladimir Poutine a lui-même largement encouragé cette percée, tout en fortifiant clairement son autorité pour prévenir une quelconque contestation, par l’institution, des politiques stratégiques défendues par Moscou.
D’après le travail scientifique de Dmitry Adamsky, l’Église continue ainsi d’appuyer le Kremlin en matière d’utilisation nucléaire, ou de contrôle et d’acquisition de ses programmes d’armement. Sans être ouvertement sollicitée sur les questions opérationnelles ou théoriques, concernant l’utilisation des armes de destruction massive.
« Une forme de sacerdoce nucléaire a bien émergé ces dernières décennies en Russie », affirme Dmitry Adamsky, qui cite notamment « la bénédiction des armes, mais aussi par la construction de chapelles, de salles de prières dans les complexes militaires, d’églises portatives dans les sous-marins nucléaires, de processions durant les parades ou les défilés de l’armée… »
Ce « sacerdoce nucléaire » fait toutefois débat dans l’Église russe. Ainsi, une commission spécialisée du Patriarcat de Moscou a émis pour la première fois, en juin, un avis défavorable contre la pratique de bénédiction des armes nucléaires.
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Pour autant, estime encore le spécialiste, « la pénétration de la foi, de l’influence de l’Église dans la sphère politique de Russie est si profonde et recoupe tellement d’intérêts, que ce phénomène d’orthodoxie nucléaire perdurera même après le départ du président Poutine ».
(1) L’Orthodoxie nucléaire russe : religion, politique et stratégie (Ed. Stanford University Press, avril 2019).
Analyse
Professeur à l’université Herzlya en Israël, Dmitry Adamsky a présenté, vendredi 20 septembre au CERI Sciences-Po,son dernier ouvrage portant sur l’influence croissante, dans le pays, de l’institution orthodoxe, jusque dans le secteur des armes nucléaires.
- Malo Tresca,
- le 22/09/2019 à 11:33
Un prêtre orthodoxe bénit les nouvelles recrues, à Moscou, en Russie, le 15 juin 2012.[size=12]SERGEI ILNITSKY/EPA[/size]
Dans l’ancien pays des tsars, on ne compte plus le nombre de photographies immortalisant les bénédictions, par des prêtres orthodoxes, de soldats, de navires de guerre, de bombardiers, de chars, de missiles balistiques ou autres armes atomiques. Ailleurs dans le monde, ces images continuent pourtant de défrayer la chronique et d’interroger : comment la puissante institution religieuse est-elle parvenue, ces dernières années, à étendre aussi stratégiquement son influence dans les rangs, étroitement surveillés, de la communauté militaire russe ?
Lors d’une table ronde organisée vendredi 20 septembre au Centre de recherches internationales (CERI) de Sciences-Po pour présenter son dernier ouvrage (1), le chercheur Dmitry Adamsky, professeur au centre interdisciplinaire de l’université Herzlya en Israël, a analysé cette profonde imbrication entre les deux entités.
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Le patriarche Kirill, l’autre voix de la Russie
« Depuis la chute du régime soviétique, l’orthodoxie est devenue un élément fondamental de l’identité nationale russe. L’Église est ainsi parvenue à réaffirmer avec force son autorité, sa place, dans la société et dans les affaires publiques du pays », a notamment expliqué le spécialiste, devant une salle comble.
Percée encouragée par Vladimir Poutine
Entre l’État et l’Église, les relations n’ont pourtant pas toujours été au beau fixe tout au long de la tumultueuse histoire russe, comme le rappelle l’ouvrage de Dmitry Adamsky. Après la révolution bolchevique et la création d’un État athée, elles ont même atteint leur niveau le plus bas.
« Depuis la fin de l’ère soviétique, trois différentes périodes ont présidé à cet essor de l’influence de l’Église dans les affaires militaires : la "décennie de la genèse" qui a vu s’enraciner le phénomène de 1991 à l’aube des années 2000, puis la "décennie de la conversion", avec les premiers mandats du président Vladimir Poutine, et enfin la "décennie de l’opérationnalisation", à l’aune notamment des conflits en Ukraine ou encore en Syrie », a précisé le chercheur.
Depuis son accession au pouvoir, Vladimir Poutine a lui-même largement encouragé cette percée, tout en fortifiant clairement son autorité pour prévenir une quelconque contestation, par l’institution, des politiques stratégiques défendues par Moscou.
D’après le travail scientifique de Dmitry Adamsky, l’Église continue ainsi d’appuyer le Kremlin en matière d’utilisation nucléaire, ou de contrôle et d’acquisition de ses programmes d’armement. Sans être ouvertement sollicitée sur les questions opérationnelles ou théoriques, concernant l’utilisation des armes de destruction massive.
« Sacerdoce nucléaire »
« Une forme de sacerdoce nucléaire a bien émergé ces dernières décennies en Russie », affirme Dmitry Adamsky, qui cite notamment « la bénédiction des armes, mais aussi par la construction de chapelles, de salles de prières dans les complexes militaires, d’églises portatives dans les sous-marins nucléaires, de processions durant les parades ou les défilés de l’armée… »
Ce « sacerdoce nucléaire » fait toutefois débat dans l’Église russe. Ainsi, une commission spécialisée du Patriarcat de Moscou a émis pour la première fois, en juin, un avis défavorable contre la pratique de bénédiction des armes nucléaires.
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L’Église russe envisage de ne plus bénir les bombes atomiques
Pour autant, estime encore le spécialiste, « la pénétration de la foi, de l’influence de l’Église dans la sphère politique de Russie est si profonde et recoupe tellement d’intérêts, que ce phénomène d’orthodoxie nucléaire perdurera même après le départ du président Poutine ».
(1) L’Orthodoxie nucléaire russe : religion, politique et stratégie (Ed. Stanford University Press, avril 2019).