LIVRE
Les religions sont-elles dangereuses?
Mikael Corre - publié le 11/07/2011
C’est le titre du dernier ouvrage de Keith Ward, théologien et philosophe anglais, qui entend montrer l’absurdité de l’idée selon laquelle la religion serait la « racine de tous les maux ».
Des terroristes d’Al-Qaïda aux chartreux qui vivent dans le silence et la contemplation, la religion se donne à voir sous des formes pour le moins diverses. Keith Ward commence par montrer l’aporie d’une définition unique de la religion, pointant du doigt la diversité à laquelle l’observateur doit s’ouvrir pour appréhender le fait religieux de manière satisfaisante.
Son livre s’ouvre sur une critique des premières tentatives anthropologiques et sociologiques qui entendaient étudier la religion en remontant à ses formes primitives - souvent fantasmées. A propos de travaux comme ceux d’Emile Durkheim (Les Formes élémentaires de la vie religieuse : le système totémique en Australie), Keith Ward parle d’un « point de vue dépourvu d’objectivité et peu susceptible de susciter de la sympathie pour la religion ».
Un nouveau « Pari de Pascal »
S’il critique la posture de recherche de ces « premiers anthropologues non-religieux », il reconnaît tout de même dans leur entreprise la tentative d’étudier scientifiquement la religion ; tentative dans laquelle il tente d’inscrire son propos. « Jusqu’à présent, j’ai argumenté que la foi en Dieu, ou en un idéal moral objectif, supérieur à l’humanité, auquel les hommes peuvent accorder leur loyauté sans partage, est parfaitement rationnelle. »
Ce sera sa conclusion : la foi est de l’ordre du rationnel. On sort de ce livre avec un nouveau « Pari de Pascal », mais sans le pari : ce n’est plus ici l’acte de croire qui est présenté comme rationnel, mais la foi en tant que telle. Dans sa critique des travaux d’Emile Durkheim, Keith Ward pointe avec justesse que son étude du système totémique en Australie souffre de nombreuses failles. Le père de la sociologie française demeure pourtant un pionnier des études religieuses.
« L’homme en prière, cet arbre de gestes »
Les premières études anthropologiques sur la religion - décriées par l’auteur – ne se limitent pas à un travail spéculatif sur les croyances et apportent des descriptions précieuses de « l’homme en prière » dans plusieurs cultes, insistant sur les différences mais également sur les pratiques communes entre les religions.
Michel de Certeau, observateur plus tardif des religions, entendait décrire et comprendre « l’homme en prière, cet arbre de gestes » ; ne serait-ce pas plutôt cela une approche scientifique de la religion? Une approche qui met à distance la théologie et s’attache à décrire les gestes, les rituels, mais également les lieux de culte, les totems, les statuts, les vêtements cérémoniaux, sans oublier les chants, les danses, jusqu’aux états les plus mystiques.
Une approche qui interroge différents croyants (ou non-croyants) afin de comprendre comment et pourquoi la religion fait sens (ou non) pour eux. Keith Ward termine son livre par ces quelques mots empruntés - non sans humour - à Karl Marx : « La religion est le cœur compatissant de ce qui ressemblerait autrement à un monde froid et sans cœur » ; un monde froid et sans cœur auquel il manquerait, sans doute, une part d’irrationnel.
Pour aller plus loin
Keith Ward, Les Religions sont-elles dangereuses? (Empreinte du temps présent, 212 p., 15 euros).
Les religions sont-elles dangereuses?
Mikael Corre - publié le 11/07/2011
C’est le titre du dernier ouvrage de Keith Ward, théologien et philosophe anglais, qui entend montrer l’absurdité de l’idée selon laquelle la religion serait la « racine de tous les maux ».
Des terroristes d’Al-Qaïda aux chartreux qui vivent dans le silence et la contemplation, la religion se donne à voir sous des formes pour le moins diverses. Keith Ward commence par montrer l’aporie d’une définition unique de la religion, pointant du doigt la diversité à laquelle l’observateur doit s’ouvrir pour appréhender le fait religieux de manière satisfaisante.
Son livre s’ouvre sur une critique des premières tentatives anthropologiques et sociologiques qui entendaient étudier la religion en remontant à ses formes primitives - souvent fantasmées. A propos de travaux comme ceux d’Emile Durkheim (Les Formes élémentaires de la vie religieuse : le système totémique en Australie), Keith Ward parle d’un « point de vue dépourvu d’objectivité et peu susceptible de susciter de la sympathie pour la religion ».
Un nouveau « Pari de Pascal »
S’il critique la posture de recherche de ces « premiers anthropologues non-religieux », il reconnaît tout de même dans leur entreprise la tentative d’étudier scientifiquement la religion ; tentative dans laquelle il tente d’inscrire son propos. « Jusqu’à présent, j’ai argumenté que la foi en Dieu, ou en un idéal moral objectif, supérieur à l’humanité, auquel les hommes peuvent accorder leur loyauté sans partage, est parfaitement rationnelle. »
Ce sera sa conclusion : la foi est de l’ordre du rationnel. On sort de ce livre avec un nouveau « Pari de Pascal », mais sans le pari : ce n’est plus ici l’acte de croire qui est présenté comme rationnel, mais la foi en tant que telle. Dans sa critique des travaux d’Emile Durkheim, Keith Ward pointe avec justesse que son étude du système totémique en Australie souffre de nombreuses failles. Le père de la sociologie française demeure pourtant un pionnier des études religieuses.
« L’homme en prière, cet arbre de gestes »
Les premières études anthropologiques sur la religion - décriées par l’auteur – ne se limitent pas à un travail spéculatif sur les croyances et apportent des descriptions précieuses de « l’homme en prière » dans plusieurs cultes, insistant sur les différences mais également sur les pratiques communes entre les religions.
Michel de Certeau, observateur plus tardif des religions, entendait décrire et comprendre « l’homme en prière, cet arbre de gestes » ; ne serait-ce pas plutôt cela une approche scientifique de la religion? Une approche qui met à distance la théologie et s’attache à décrire les gestes, les rituels, mais également les lieux de culte, les totems, les statuts, les vêtements cérémoniaux, sans oublier les chants, les danses, jusqu’aux états les plus mystiques.
Une approche qui interroge différents croyants (ou non-croyants) afin de comprendre comment et pourquoi la religion fait sens (ou non) pour eux. Keith Ward termine son livre par ces quelques mots empruntés - non sans humour - à Karl Marx : « La religion est le cœur compatissant de ce qui ressemblerait autrement à un monde froid et sans cœur » ; un monde froid et sans cœur auquel il manquerait, sans doute, une part d’irrationnel.
Pour aller plus loin
Keith Ward, Les Religions sont-elles dangereuses? (Empreinte du temps présent, 212 p., 15 euros).