[size=33]Violences sexuelles dans l'Église : « pas tous coupables mais tous responsables »[/size]
Propos recueillis par Jérôme Cordelier
Publié le 13/03/2019 à 11:09 | Le Point.fr
Monseigneur Luc Ravel présent à la fin de la messe dominicale de l'église Saint-Antoine de Reiningue, le 25 novembre 2018.
© Vincent Voegtlin / MAXPPP MAXPPP / PHOTOPQR/L'ALSACE/MAXPPP PHOTOP
Ancien évêque aux armées, Mgr Luc Ravel est, depuis février 2017, archevêque de Strasbourg. Ce polytechnicien à la silhouette sportive est un bon « puncheur » aussi par les mots, n'hésitant pas à intervenir sur des sujets d'actualité brûlante dans des petits textes incisifs. Il publie ces jours-ci Comme un cœur qui écoute (Artège), un livre sur les abus sexuels, « afin de rendre service aux victimes ». Face à la crise actuelle de l'Église, le prélat monte en première ligne pour que « lumière soit faite ». Entretien « cash ».
Le Point : Comment vivez-vous personnellement la crise actuelle que traverse l'Église ?
Luc Ravel : C'est une douleur forte en tant que chrétien, mais aussi, évidemment, en tant qu'évêque. Je suis responsable et je ne peux pas être autrement qu'en première ligne sur ce sujet. Impossible de me dire qu'un vicaire, un vicaire général ou un spécialiste traitera du dossier. Mais cette douleur est aussi nécessaire. Elle agit comme une purification. Quand on a les yeux abîmés par l'obscurité, ça fait mal de sortir à la lumière. Il faut que l'Église ou du moins l'institution ecclésiale se réhabitue à la lumière. Au début, nous étions comme des hommes qui sortent d'une caverne, qui sont éblouis et qui mettent leurs petites mains pour se protéger les yeux. Nous avons accusé les médias d'être méchants, agressifs. Il faut arrêter ce cinéma et reconnaître les faits.
Avez-vous vu le film de François Ozon, « Grâce à Dieu » ?
Non seulement je l'ai vu, mais je l'ai beaucoup aimé. C'est un film d'auteur greffé sur un fond de réalité. J'en ai discuté toute une soirée avec le réalisateur. Il décrit avec finesse et précision la souffrance et le réveil progressif des victimes.
Avez-vous vu aussi le documentaire d'Arte sur les religieuses abusées sexuellement par des prêtres ?
Oui, et ce documentaire ne fait qu'étendre la question des abus sexuels aux majeurs. C'est un même phénomène qui est à l'œuvre, le même mécanisme de violence par une autorité spirituelle. Récemment, deux femmes, des jeunes novices, sont venues me voir pour me confier qu'elles avaient été abusées dans le cadre du sacrement de réconciliation. L'argument est le même que dans les cas de pédo-criminalité : l'homme qui a un pouvoir spirituel en profite pour assouvir ses pulsions en utilisant la parole de Dieu et son aura de prêtre. Que les victimes soient mineures ou majeures, la trentaine de cas que je suis actuellement dans mon diocèse répondent toujours aux mêmes ressorts.
Partagez-vous le constat de l'archevêque de Rouen Dominique Lebrun qui a dénoncé dans un texte « une pourriture » au sein de l'Église ?
J'emploie une autre image médicale, celle du cancer, mais le constat est similaire. La libération de la parole et les investigations journalistiques nous ont servi de scanner ou d'I.R.M. pour diagnostiquer les tumeurs qui ne sont pas localisées. C'est pourquoi je parle de cancer ou d'épidémie. Ces affaires ne sont pas cantonnées à un diocèse, une communauté, un pays ; elles concernent tous les continents. Certains évêques africains ont voulu nous faire croire qu'elles étaient le produit de « l'Occident dévoyé ». Mais les premières révélations sont apparues ici, parce que les pouvoirs judiciaire, politique et médiatique sont séparés, ce qui empêche les blocages. J'attends de voir comment ça va se passer en Afrique. Il va y avoir des révélations catastrophiques.
Pourquoi avoir attendu si longtemps pour sortir de cet « épais silence qui fait tant de bruit », comme vous le qualifiez dans votre livre ?
Nous avons une incapacité à voir la gangrène se développer dans notre Église et atteindre les plus petits, les plus faibles. Nous avons été pris d'un aveuglement collectif, y compris au sein des communautés chrétiennes. Il est trop facile de dire que nous sommes tous pêcheurs. Nous n'avons pas voulu voir que le pouvoir spirituel et l'aura culturelle des prêtres pouvaient créer des situations d'abus monstrueux. Nous avons manqué de vigilance, ce mot biblique qui signifie veiller et prier. Si je vous confère un pouvoir particulier pour agir sur les autres, il faut mettre en place un système de contrôle, comme en politique, sinon on tombe dans la tyrannie. L'institution a fait preuve d'autoprotection. Sans pression extérieure, il n'y aurait pas eu ce travail que nous accomplissons aujourd'hui. Mais c'est toute la société qui a sous-estimé l'impact psychologique de ses abus sur les victimes. Et je constate qu'aucune institution n'est capable d'être elle-même, de voir la vérité en face.
Lire aussi Mgr Georges Pontier : « La société civile ne s'organise plus par rapport aux repères chrétiens »
Vous qui êtes évêque, considérez-vous que les responsables de l'Église ont failli ?
Il me semble que nous ne sommes pas tous coupables, mais tous responsables. Cette phrase est tristement célèbre, mais, en l'occurrence, elle est tout à fait exacte. Je suis responsable de la gestion globale de ces actes même s'ils ont eu lieu sous le mandat de deux ou trois évêques avant moi. On ne peut pas s'en laver les mains. Nous avons à assumer une responsabilité de corps. La souffrance des victimes est imprescriptible. Parce que tel fait est prescrit par le droit, je n'aurais plus à m'en occuper, voyons ! La crédibilité de l'Église est largement entamée, c'est un euphémisme, j'en suis responsable. Et je sais que nous en avons pour longtemps.
[size=33]Pédophilie, religieuses abusées... L'archevêque de Strasbourg Mgr Luc Ravel se confie sans détour au « Point ». Il appelle à une prise de conscience générale.[/size]
Propos recueillis par Jérôme Cordelier
Publié le 13/03/2019 à 11:09 | Le Point.fr
Monseigneur Luc Ravel présent à la fin de la messe dominicale de l'église Saint-Antoine de Reiningue, le 25 novembre 2018.
© Vincent Voegtlin / MAXPPP MAXPPP / PHOTOPQR/L'ALSACE/MAXPPP PHOTOP
Ancien évêque aux armées, Mgr Luc Ravel est, depuis février 2017, archevêque de Strasbourg. Ce polytechnicien à la silhouette sportive est un bon « puncheur » aussi par les mots, n'hésitant pas à intervenir sur des sujets d'actualité brûlante dans des petits textes incisifs. Il publie ces jours-ci Comme un cœur qui écoute (Artège), un livre sur les abus sexuels, « afin de rendre service aux victimes ». Face à la crise actuelle de l'Église, le prélat monte en première ligne pour que « lumière soit faite ». Entretien « cash ».
Le Point : Comment vivez-vous personnellement la crise actuelle que traverse l'Église ?
Luc Ravel : C'est une douleur forte en tant que chrétien, mais aussi, évidemment, en tant qu'évêque. Je suis responsable et je ne peux pas être autrement qu'en première ligne sur ce sujet. Impossible de me dire qu'un vicaire, un vicaire général ou un spécialiste traitera du dossier. Mais cette douleur est aussi nécessaire. Elle agit comme une purification. Quand on a les yeux abîmés par l'obscurité, ça fait mal de sortir à la lumière. Il faut que l'Église ou du moins l'institution ecclésiale se réhabitue à la lumière. Au début, nous étions comme des hommes qui sortent d'une caverne, qui sont éblouis et qui mettent leurs petites mains pour se protéger les yeux. Nous avons accusé les médias d'être méchants, agressifs. Il faut arrêter ce cinéma et reconnaître les faits.
Avez-vous vu le film de François Ozon, « Grâce à Dieu » ?
Non seulement je l'ai vu, mais je l'ai beaucoup aimé. C'est un film d'auteur greffé sur un fond de réalité. J'en ai discuté toute une soirée avec le réalisateur. Il décrit avec finesse et précision la souffrance et le réveil progressif des victimes.
Avez-vous vu aussi le documentaire d'Arte sur les religieuses abusées sexuellement par des prêtres ?
Oui, et ce documentaire ne fait qu'étendre la question des abus sexuels aux majeurs. C'est un même phénomène qui est à l'œuvre, le même mécanisme de violence par une autorité spirituelle. Récemment, deux femmes, des jeunes novices, sont venues me voir pour me confier qu'elles avaient été abusées dans le cadre du sacrement de réconciliation. L'argument est le même que dans les cas de pédo-criminalité : l'homme qui a un pouvoir spirituel en profite pour assouvir ses pulsions en utilisant la parole de Dieu et son aura de prêtre. Que les victimes soient mineures ou majeures, la trentaine de cas que je suis actuellement dans mon diocèse répondent toujours aux mêmes ressorts.
Partagez-vous le constat de l'archevêque de Rouen Dominique Lebrun qui a dénoncé dans un texte « une pourriture » au sein de l'Église ?
J'emploie une autre image médicale, celle du cancer, mais le constat est similaire. La libération de la parole et les investigations journalistiques nous ont servi de scanner ou d'I.R.M. pour diagnostiquer les tumeurs qui ne sont pas localisées. C'est pourquoi je parle de cancer ou d'épidémie. Ces affaires ne sont pas cantonnées à un diocèse, une communauté, un pays ; elles concernent tous les continents. Certains évêques africains ont voulu nous faire croire qu'elles étaient le produit de « l'Occident dévoyé ». Mais les premières révélations sont apparues ici, parce que les pouvoirs judiciaire, politique et médiatique sont séparés, ce qui empêche les blocages. J'attends de voir comment ça va se passer en Afrique. Il va y avoir des révélations catastrophiques.
Pourquoi avoir attendu si longtemps pour sortir de cet « épais silence qui fait tant de bruit », comme vous le qualifiez dans votre livre ?
Nous avons une incapacité à voir la gangrène se développer dans notre Église et atteindre les plus petits, les plus faibles. Nous avons été pris d'un aveuglement collectif, y compris au sein des communautés chrétiennes. Il est trop facile de dire que nous sommes tous pêcheurs. Nous n'avons pas voulu voir que le pouvoir spirituel et l'aura culturelle des prêtres pouvaient créer des situations d'abus monstrueux. Nous avons manqué de vigilance, ce mot biblique qui signifie veiller et prier. Si je vous confère un pouvoir particulier pour agir sur les autres, il faut mettre en place un système de contrôle, comme en politique, sinon on tombe dans la tyrannie. L'institution a fait preuve d'autoprotection. Sans pression extérieure, il n'y aurait pas eu ce travail que nous accomplissons aujourd'hui. Mais c'est toute la société qui a sous-estimé l'impact psychologique de ses abus sur les victimes. Et je constate qu'aucune institution n'est capable d'être elle-même, de voir la vérité en face.
Lire aussi Mgr Georges Pontier : « La société civile ne s'organise plus par rapport aux repères chrétiens »
Vous qui êtes évêque, considérez-vous que les responsables de l'Église ont failli ?
Il me semble que nous ne sommes pas tous coupables, mais tous responsables. Cette phrase est tristement célèbre, mais, en l'occurrence, elle est tout à fait exacte. Je suis responsable de la gestion globale de ces actes même s'ils ont eu lieu sous le mandat de deux ou trois évêques avant moi. On ne peut pas s'en laver les mains. Nous avons à assumer une responsabilité de corps. La souffrance des victimes est imprescriptible. Parce que tel fait est prescrit par le droit, je n'aurais plus à m'en occuper, voyons ! La crédibilité de l'Église est largement entamée, c'est un euphémisme, j'en suis responsable. Et je sais que nous en avons pour longtemps.