Face à la baisse (inédite) du denier, l’Église réfléchit à son avenir financier
Publié le 18/12/2018 à 15h20 - Modifié le 18/12/2018 à 16h05Sixtine Chartier
6 novembre 2018 : évêques se rendant sur l'esplanade lors de la photo officielle. Assemblée plénière des évêques de France. Lourdes (65), France. Bruno LEVY/CIRIC
C’est une première. Alors qu’il progressait encore légèrement ces dernières années, le denier de l’Église accuse en 2018 un recul de 2,2 % au niveau national, d’après les chiffres arrêtés au 30 septembre dernier.
Une baisse très problématique pour les intendants de l’Église de France, car le denier de l’Église – autrefois appelé « denier du culte » – sert à rémunérer les clercs (14.000 prêtres en activité) et les laïcs salariés des diocèses (entre 10.000 et 15.000 personnes, le plus souvent à temps partiel). Il s’agit surtout de la principale source de revenus des diocèses et des paroisses, à hauteur de 40% des ressources globales de l’Église. Les autres dons proviennent, par ordre d’importance, de la quête, des legs, du casuel (les sommes demandées pour la célébration d’un baptême, d’un mariage ou d’un enterrement) et des offrandes de messe (dons attribués à une paroisse pour la célébration d’une messe à une intention particulière). Au total, l’Église catholique recueille plus de 600 millions d’euros par an, dont environ 250 millions en provenance du denier. Une somme qui demeure importante. « Nous ne sommes pas les plus mal lotis », rappelle Ambroise Laurent, nouveau secrétaire général adjoint en charge des finances à la CEF, qui salue « la fidélité étonnante de nos donateurs ».
Pour autant, cette baisse des dons en 2018 n’est pas vraiment une surprise. En effet, depuis au moins une dizaine d’années, on observe une baisse régulière du nombre de donateurs : en 2017, on comptait 1,1 millions de donateurs, soit 25% de moins que dix ans plus tôt. Cela correspond à une « situation de déclin » de l’Église, visible dans la baisse du nombre de prêtres en activité et du nombre de baptêmes, explique la CEF. Mais cette tendance de fond est accompagnée d’une hausse constante du montant moyen du don (232 € en 2017), qui a progressé de 60% en dix ans. Jusqu’à présent, cette dynamique avait permis de compenser la baisse du nombre de donateurs.
Le retentissement médiatique des rapports établis sur les abus sexuels commis par des clercs peut avoir un eu un effet sur la collecte du denier.
- Conférence des évêques de France
À ces données de fond, s’ajoutent des explications plus conjoncturelles. Tout d’abord, le contexte de réformes fiscales a suscité un recul des dons, constaté par presque toutes les associations qui dépendent de la générosité des Français. D’une part, le passage de l’ISF à l’IFI a suscité un recul de 55 % des dons qui arrivaient normalement par ce biais-là dans les caisses du denier. D’autre part, « le passage au prélèvement à la source au 1er janvier prochain entraine un attentisme de la part des donateurs, qui sont dans l’incertitude de ce que cette réforme va entrainer sur leur budget mensuel », relève la CEF.
La réforme de l'ISF fait chuter les dons
« Le retentissement médiatique des rapports établis sur les abus sexuels commis par des clercs peut avoir un eu un effet sur la collecte du denier », indique par ailleurs la CEF. Outre les affaires révélées aux États-Unis ou en Allemagne, « les affaires, passées ou plus récentes, révélées ou jugées en France ces derniers mois ont marqué les donateurs, qu’ils soient réguliers ou non ».
Pour expliquer le recul des dons, la CEF pointe enfin l’inquiétude des Français par rapport à leur situation économique ( « hausse des taxes, contribution sociale généralisée sur les retraites, etc. » ), traduite ces dernières semaines par le mouvement des gilets jaunes.
Face à cette « situation de fragilité », plusieurs actions ont été menées ou sont envisagées. En complément des actions de communication des différents diocèses, une campagne nationale de communication a été montée pour la toute fin d’année (du 20 au 31 décembre), une période cruciale pour les dons en général. Déclinée sur internet et dans plusieurs médias nationaux, catholiques et généralistes, cette « campagne balai » renverra vers un site unique de don, qui sera fermé à l’issue de la campagne.
La CEF compte aussi renforcer ses actions de formation des acteurs diocésains du denier, en particulier les économes, premiers responsables des finances des diocèses. Elle a organisé pour la première fois le 27 novembre dernier, une « journée nationale d’information et d’échanges » qui a réuni près de 160 participants. Une « nationalisation » de la problématique financière qui n’est pas évidente dans une Église de France dont le pouvoir est très largement décentralisé (tout se joue au niveau des diocèses, soit une centaine en France).
Cela fait des années que les finances sont serrées. Il n’y a pas de diocèses en faillite mais nul n’est à l’abri.
- Ambroise Laurent, responsable des finances à la CEF
L’amélioration de l’accès au don sur internet et au prélèvement automatique est également en ligne de mire. En effet, seuls 10 % des dons sont faits en ligne, selon la CEF. Par ce biais, explique-t-on à la conférence épiscopale, on peut sans doute espérer un recrutement de nouveaux donateurs, en particulier chez les plus jeunes, ainsi qu’une baisse des frais de gestion.
Le diocèse de Paris en pointe pour collecter les dons dématérialisés
Ce dernier point va d’ailleurs se révéler de plus en plus crucial dans bon nombre de diocèses, du fait de la baisse de leurs ressources. Autrement dit : les diocèses vont devoir se serrer la ceinture, ce qui passe par une réduction des salariés ou de certaines activités. Une situation déjà bien réelle dans bien des endroits. « Cela fait des années que les finances sont serrées, explique Ambroise Laurent. Il n’y a pas de diocèses en faillite mais nul n’est à l’abri. Dans 90 % des cas, les diocèses sont en déficit d’exploitation. » Cela signifie que les dépenses courantes ne sont pas couvertes par les ressources courantes et que les diocèses doivent compter sur des ressources extraordinaires, comme les legs ou les cessions d’actifs, pour boucler leur budget.
Ce panorama global en berne ne doit pourtant pas faire oublier les résultats positifs de certains diocèses, et pas forcément les plus gros ou les plus riches. « Une dynamique locale peut arriver à mobiliser les donateurs, notamment au-delà des pratiquants réguliers », souligne la CEF. Mais il faudra aussi que l’Église sache mobiliser au sein de son premier cercle, car « 50 % des catholiques pratiquants ne sont pas donateurs au denier ».
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6 novembre 2018 : évêques se rendant sur l'esplanade lors de la photo officielle. Assemblée plénière des évêques de France. Lourdes (65), France. Bruno LEVY/CIRIC
Le denier de l’Église catholique connaît « pour la première fois » une baisse en 2018, a annoncé la Conférence des évêques de France (CEF) le 18 décembre. Explications.
C’est une première. Alors qu’il progressait encore légèrement ces dernières années, le denier de l’Église accuse en 2018 un recul de 2,2 % au niveau national, d’après les chiffres arrêtés au 30 septembre dernier.
Une baisse très problématique pour les intendants de l’Église de France, car le denier de l’Église – autrefois appelé « denier du culte » – sert à rémunérer les clercs (14.000 prêtres en activité) et les laïcs salariés des diocèses (entre 10.000 et 15.000 personnes, le plus souvent à temps partiel). Il s’agit surtout de la principale source de revenus des diocèses et des paroisses, à hauteur de 40% des ressources globales de l’Église. Les autres dons proviennent, par ordre d’importance, de la quête, des legs, du casuel (les sommes demandées pour la célébration d’un baptême, d’un mariage ou d’un enterrement) et des offrandes de messe (dons attribués à une paroisse pour la célébration d’une messe à une intention particulière). Au total, l’Église catholique recueille plus de 600 millions d’euros par an, dont environ 250 millions en provenance du denier. Une somme qui demeure importante. « Nous ne sommes pas les plus mal lotis », rappelle Ambroise Laurent, nouveau secrétaire général adjoint en charge des finances à la CEF, qui salue « la fidélité étonnante de nos donateurs ».
25% de donateurs en moins en 10 ans
Pour autant, cette baisse des dons en 2018 n’est pas vraiment une surprise. En effet, depuis au moins une dizaine d’années, on observe une baisse régulière du nombre de donateurs : en 2017, on comptait 1,1 millions de donateurs, soit 25% de moins que dix ans plus tôt. Cela correspond à une « situation de déclin » de l’Église, visible dans la baisse du nombre de prêtres en activité et du nombre de baptêmes, explique la CEF. Mais cette tendance de fond est accompagnée d’une hausse constante du montant moyen du don (232 € en 2017), qui a progressé de 60% en dix ans. Jusqu’à présent, cette dynamique avait permis de compenser la baisse du nombre de donateurs.
Le retentissement médiatique des rapports établis sur les abus sexuels commis par des clercs peut avoir un eu un effet sur la collecte du denier.
- Conférence des évêques de France
À ces données de fond, s’ajoutent des explications plus conjoncturelles. Tout d’abord, le contexte de réformes fiscales a suscité un recul des dons, constaté par presque toutes les associations qui dépendent de la générosité des Français. D’une part, le passage de l’ISF à l’IFI a suscité un recul de 55 % des dons qui arrivaient normalement par ce biais-là dans les caisses du denier. D’autre part, « le passage au prélèvement à la source au 1er janvier prochain entraine un attentisme de la part des donateurs, qui sont dans l’incertitude de ce que cette réforme va entrainer sur leur budget mensuel », relève la CEF.
La réforme de l'ISF fait chuter les dons
« Le retentissement médiatique des rapports établis sur les abus sexuels commis par des clercs peut avoir un eu un effet sur la collecte du denier », indique par ailleurs la CEF. Outre les affaires révélées aux États-Unis ou en Allemagne, « les affaires, passées ou plus récentes, révélées ou jugées en France ces derniers mois ont marqué les donateurs, qu’ils soient réguliers ou non ».
Pour expliquer le recul des dons, la CEF pointe enfin l’inquiétude des Français par rapport à leur situation économique ( « hausse des taxes, contribution sociale généralisée sur les retraites, etc. » ), traduite ces dernières semaines par le mouvement des gilets jaunes.
Se serrer la ceinture
Face à cette « situation de fragilité », plusieurs actions ont été menées ou sont envisagées. En complément des actions de communication des différents diocèses, une campagne nationale de communication a été montée pour la toute fin d’année (du 20 au 31 décembre), une période cruciale pour les dons en général. Déclinée sur internet et dans plusieurs médias nationaux, catholiques et généralistes, cette « campagne balai » renverra vers un site unique de don, qui sera fermé à l’issue de la campagne.
La CEF compte aussi renforcer ses actions de formation des acteurs diocésains du denier, en particulier les économes, premiers responsables des finances des diocèses. Elle a organisé pour la première fois le 27 novembre dernier, une « journée nationale d’information et d’échanges » qui a réuni près de 160 participants. Une « nationalisation » de la problématique financière qui n’est pas évidente dans une Église de France dont le pouvoir est très largement décentralisé (tout se joue au niveau des diocèses, soit une centaine en France).
Cela fait des années que les finances sont serrées. Il n’y a pas de diocèses en faillite mais nul n’est à l’abri.
- Ambroise Laurent, responsable des finances à la CEF
L’amélioration de l’accès au don sur internet et au prélèvement automatique est également en ligne de mire. En effet, seuls 10 % des dons sont faits en ligne, selon la CEF. Par ce biais, explique-t-on à la conférence épiscopale, on peut sans doute espérer un recrutement de nouveaux donateurs, en particulier chez les plus jeunes, ainsi qu’une baisse des frais de gestion.
Le diocèse de Paris en pointe pour collecter les dons dématérialisés
Ce dernier point va d’ailleurs se révéler de plus en plus crucial dans bon nombre de diocèses, du fait de la baisse de leurs ressources. Autrement dit : les diocèses vont devoir se serrer la ceinture, ce qui passe par une réduction des salariés ou de certaines activités. Une situation déjà bien réelle dans bien des endroits. « Cela fait des années que les finances sont serrées, explique Ambroise Laurent. Il n’y a pas de diocèses en faillite mais nul n’est à l’abri. Dans 90 % des cas, les diocèses sont en déficit d’exploitation. » Cela signifie que les dépenses courantes ne sont pas couvertes par les ressources courantes et que les diocèses doivent compter sur des ressources extraordinaires, comme les legs ou les cessions d’actifs, pour boucler leur budget.
Ce panorama global en berne ne doit pourtant pas faire oublier les résultats positifs de certains diocèses, et pas forcément les plus gros ou les plus riches. « Une dynamique locale peut arriver à mobiliser les donateurs, notamment au-delà des pratiquants réguliers », souligne la CEF. Mais il faudra aussi que l’Église sache mobiliser au sein de son premier cercle, car « 50 % des catholiques pratiquants ne sont pas donateurs au denier ».
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