Les enfants de Luther confrontés à la diversité culturelle
SOPHIE LEBRUN publié le 18/10/2017
Le protestantisme français change de couleur, à travers la création d'églises « issues de l'immigration », mais aussi au sein des Églises historiques.
« Le protestantisme français est multicolore : plus seulement au sens "dénominationnel" mais aussi aux plans spirituel, ethnique, national. Cela nous fait pressentir une vraie mutation du visage protestant en France qui ne sera peut-être plus celui du Blanc, français, des Cévennes... que je suis ! » Le « pressentiment » du président de la Fédération protestante de France (FPF), François Clavairoly, exprimé à La Vie, est plus qu'un ressenti : les vagues successives de migrations, ces dernières décennies, bousculent les Églises et les paroisses protestantes de l'Hexagone. Elles accentuent la « coloration » du protestantisme français.
François Clavairoly : “Le protestantisme français devient multiculturel“
Et pour Jean-Paul Willaime, sociologue et directeur d'études émérite à l'École pratique des hautes études (EPHE), c'est un « bouleversement profond » : « Ces populations viennent avec leur façon d'être, leurs traditions avec une piété plus ostentatoire, voire exubérante, qui peut heurter l'ethos protestant traditionnel. La base sociale du protestantisme français se trouve aujourd'hui enrichie - et j'emploie ce mot à dessein - par toutes sortes d'apports de populations venant de la France d'outre-mer et d'autres pays. Ces changements bousculent certains aspects de l'identité du protestantisme français. »
Une explosion de créations
La question multiculturelle n'est pas nouvelle dans le protestantisme : depuis les années 1980 et l'apparition des premières églises africaines à Paris, se sont ouvertes des églises baptistes coréennes et chinoises, caraibéennes et haïtiennes, évangéliques guadeloupéennes... Mais ces dix dernières années, on observe une explosion de créations d'églises dites « issues de l'immigration ». En Île-de-France, mais aussi à Lyon, à Marseille, à Strasbourg ou à Rennes, des petits groupes de fidèles se rassemblent pour prier dans leur langue ou autour d'une culture francophone spécifique, en quête d'une ambiance comme dans leur pays d'origine. Elles s'ouvrent souvent sans bruit - disparaissent aussi parfois - et ne cherchent pas toujours à entrer en contact avec leurs voisines plus établies ou avec les institutions protestantes nationales. Ces dernières, elles, voudraient mieux les connaître.
On voudrait sortir du cycle où l'on n'entend parler de ces églises que quand il y a un drame, et pour ça, il faut aller vers elles.
– Clément Diedrichs, directeur du Cnef
C'est le rôle du projet Mosaïc de la FPF qui, depuis 10 ans, encourage les relations entre Églises et cherche à dissiper les préjugés. Certains présidents d'Églises « historiques » notent que cette augmentation de créations a peut-être un lien avec une difficulté d'intégration de leurs propres fidèles. « On voudrait sortir du cycle où l'on n'entend parler de ces églises que quand il y a un drame, et pour ça, il faut aller vers elles », souligne Clément Diedrichs, directeur du Cnef (Conseil national des évangéliques de France), en faisant référence à l'effondrement d'un plancher dans un lieu de culte à Stains (Seine-Saint-Denis), en 2012. Souvent, les rencontres se font pour des raisons pratiques : les « jeunes » églises ont du mal à trouver des locaux. Les pasteurs qui ont déjà un édifice religieux sont de plus en plus sollicités pour louer leur chapelle un après-midi de week-end. « Mais que veut-on, interroge Jane Stranz, responsable des relations oecuméniques à la FPF, que des chrétiens aient ensemble une relation de locataire-propriétaire ou un lien fraternel ? »
Le protestantisme du XXIe siècle peut s'appuyer sur ces succès : l'intégration au paysage français de la Communauté des églises d'expressions africaines en France (CEAF) et de l'Entente et coordination des oeuvres chrétiennes (ECOC), par exemple, qui sont présentes respectivement dans les lieux de décision de la FPF et du Cnef. Ou encore les multiples églises asiatiques bien implantées sur le territoire. Mais elles aussi changent : « Ce n'est pas parce qu'on ne voit que des Africains dans un culte qu'ils sont tous de la même culture, glisse André Pownall, pasteur évangélique et professeur de théologie à l'Institut biblique de Nogent-sur-Marne (Val-de-Marne) en retraite, faisant écho au président de l'ECOC, Jean-Sébastien Sampera : « Nous n'avons pas une seule église où tout le monde viendrait du même lieu, nos assemblées rassemblent des Africains de diverses régions ou encore des Antilles. Chez moi, le dimanche, il y a même des Alsaciens ! », plaisante ce pasteur strasbourgeois. Le bouleversement qui se prépare tient aussi à l'apparition d'une deuxième et d'une troisième génération dans les églises dites « ethniques » (rassemblées autour d'un culte dans une langue étrangère) avec des demandes inédites : leurs jeunes, bien intégrés à la société, veulent des cultes en français, mais sans quitter l'église de leurs parents. Ainsi, une communauté chinoise de Nogent-sur-Marne voit son culte français animé par... un pasteur congolais.
La multiculturalité des lieux de formation
Dans les lieux de formation au pastorat, la multiculturalité existe depuis plusieurs décennies. Elle donne lieu dans certains instituts évangéliques à des cursus spécifiques qui ont été peu à peu intégrés aux cours classiques, avec une attention particulière pour les pasteurs étrangers. À l'Institut protestant de théologie (IPT), une institution parisienne de l'Église protestante unie de France (EPUDF) accueillant des étudiants de toutes tendances, la diversité des profils a amené les professeurs à avoir « une attention à la dimension culturelle dans l'enseignement », souligne Pierre-Olivier Léchot, doyen de l'IPT. « Sans que cela change notre ambition académique ou vision théologique, cela les questionne et nous amène à intégrer de nouvelles dimensions culturelles. »
Et pour les futurs pasteurs, la première année peut entraîner quelques surprises. Entre Franck, luthérien malgache, et Paula, fille de pasteur, vivant en couple avec une femme, on devine que les discussions ont pu être tendues au début. Mais ils reconnaissent que leur formation leur a donné les outils pour dépasser un éventuel « choc des cultures », ethnique comme religieux. « Certains sujets de société ne peuvent pas faire l'objet de discussion dans l'Église malgache, or si je ne change pas d'avis, j'apprécie de savoir qu'une autre opinion existe et qu'elle a un fondement », explique le premier. « J'avais une image fermée des évangéliques et j'ai découvert à leur contact une capacité de dialogue et d'empathie », enchaîne la seconde. Elle ajoute : « Ils m'ont surpris par leur profondeur spirituelle : maintenant, je prie avec eux ! »
La multiculturalisation ne se retrouve pas seulement dans les Églises proches d'une sensibilité évangélique mais aussi libérale.
– Jean-Paul Willaime, sociologue
Malgré leurs différences, Franck et Paula veulent tous deux rester dans l'EPUDF. « Il y a une réelle multiculturalisation au sein des Églises, souligne Jean-Paul Willaime. Cela se retrouve dans les assemblées cultuelles, pas seulement dans les Églises proches d'une sensibilité traditionnellement évangélique mais aussi chez celles à la sensibilité libérale. » À Melun, l'anthropologue Bernard Coyault a enquêté sur une paroisse de l'EPUDF, « un de ces lieux de culte protestants franciliens ordinaires, d'implantation ancienne » où « l'on est passé en moins de 30 ans d'une absence de non-Européens à une minorité non européenne, puis à une majorité non européenne ».
Diversité et renouvellement
Au fil du temps, cette dernière a pris de plus en plus de responsabilités : dans le culte via la chorale, puis auprès des enfants et au conseil presbytéral. Non sans heurts : « Quand je suis arrivée en 2002, (...) il y avait d'un côté les Blancs et de l'autre les Noirs », se souvient une paroissienne congolaise. Quant aux velléités d'une chrétienne camerounaise de renforcer l'équipe de l'action sociale 10 ans plus tard, elles se sont vite envolées après qu'à deux reprises, les bénévoles ne l'ont pas reconnue... et l'ont prise pour une des bénéficiaires. « Finalement, ces dernières années, tout le monde dans la paroisse a compris combien cette mixité était positive », souligne Bernard Coyault. Souvent, insiste le chercheur, cette diversité multiculturelle peut renouveler une communauté.
Ils ont renouvelé notre pratique liturgique en l'enrichissant et en la rendant plus belle.
– Alain Spielewoy, pasteur
Ce fut même une renaissance pour l'église Terre nouvelle de Mulhouse, rattachée à l'Union des Églises protestantes d'Alsace et de Lorraine (UEPAL). Quand il arrive comme pasteur en 2005, Alain Spielewoy remarque qu'une communauté camerounaise célèbre son culte le dimanche après-midi dans sa chapelle. Il découvre, ébahi, que « les cantiques étaient ceux de mon enfance... chantés en boulou ! » et est marqué par un « culte très proche du nôtre », avec une tradition réformée. Sans hésitation, il leur propose d'intégrer l'Église, à part entière. « Ils y ont trouvé un cadre bienveillant et stable », raconte-t-il, se souvenant de tensions régulières dans la communauté camerounaise. « Mais eux ont renouvelé notre pratique liturgique en l'enrichissant et en la rendant plus belle. Sans compter que, d'une dizaine, nous sommes passés à une quarantaine de fidèles au culte avec près de 200 foyers autour de l'Église alors que nous étions en chute libre. »
Une « secousse » de la vision traditionnelle
Dans les Églises de tendance évangélique, nombreux sont les pasteurs qui s'exclament face à cette question du brassage des cultures : « Nous sommes 10, 20, 30 nationalités dans l'Église, et ce n'est pas nouveau ! » Mais les proportions ont changé. « Dans notre Église, la population issue de longues générations de Français de la métropole ne diminue pas... mais elle n'augmente pas, quand les fidèles d'origine étrangères sont de plus en plus nombreux », précise Simon Kéglo, pasteur baptiste à Massy-Palaiseau (Essonne).
Clément Diedrichs se souvient d'un couple lui avouant être parti de son Église face à « une inversion des proportions ». Christian Albecker ne peut s'empêcher de remarquer le vote Front national dans des villages alsaciens réputés protestants. Mais le directeur du Cnef comme le président de l'UEPAL tempèrent : quand il s'agit d'accueillir des réfugiés, ces mêmes chrétiens répondent oui sans hésiter. Ce serait plus une question de « culture du culte » que de personne, une « secousse » de la vision traditionnelle que certains membres de paroisses peuvent avoir gardée.
Cette culture française est ce qui nous rassemble, là où nous allons puiser pour tous.
– Simon Kéglo, pasteur
« À mon arrivée, il y a neuf ans, j'ai remarqué de la réticence au changement mais j'ai engagé un travail à ce niveau-là, et cela fonctionne bien aujourd'hui », relate Simon Kéglo. Ce Français d'origine togolaise reste marqué par son expérience pastorale aux Antilles : « Je suis tombé sur un culte exactement comme en France, alors que les carnets de cantiques créoles prenaient la poussière dans un coin. Un ancien m'a expliqué qu'on ne pouvait pas utiliser cette langue pour chanter Dieu : c'était considéré comme une bassesse. J'ai répondu : "Alors, soyons bas tous ensemble !" » Depuis, il sait que l'équilibre de l'Église dépend du pasteur. Pour lui, il ne peut se faire que sur un ancrage : celui de la culture du lieu où son église est installée. « Aujourd'hui, à Massy, nous sommes une Église française même si la majorité des membres est étrangère. Cette culture-là est ce qui nous rassemble, là où nous allons puiser pour tous. Sans nier l'apport des autres : à partir de l'an prochain, nous célébrerons un culte honorant les cultures de chaque continent une fois par an. »
Face à ce qui ressemble bien à un mouvement de plaques tectoniques dans l'univers protestant français, que sera demain ? « La minorité protestante française (3 % de la population) prend peu à peu conscience de la diversité des hommes et des femmes qui la constituent, et le protestantisme sera ce qu'en font et en feront les hommes et les femmes qui s'en réclament », conclut Jean-Paul Willaime.
http://www.lavie.fr/religion/protestantisme/les-enfants-de-luther-confrontes-a-la-diversite-culturelle-18-10-2017-85513_18.php
SOPHIE LEBRUN publié le 18/10/2017
Le protestantisme français change de couleur, à travers la création d'églises « issues de l'immigration », mais aussi au sein des Églises historiques.
« Le protestantisme français est multicolore : plus seulement au sens "dénominationnel" mais aussi aux plans spirituel, ethnique, national. Cela nous fait pressentir une vraie mutation du visage protestant en France qui ne sera peut-être plus celui du Blanc, français, des Cévennes... que je suis ! » Le « pressentiment » du président de la Fédération protestante de France (FPF), François Clavairoly, exprimé à La Vie, est plus qu'un ressenti : les vagues successives de migrations, ces dernières décennies, bousculent les Églises et les paroisses protestantes de l'Hexagone. Elles accentuent la « coloration » du protestantisme français.
François Clavairoly : “Le protestantisme français devient multiculturel“
Et pour Jean-Paul Willaime, sociologue et directeur d'études émérite à l'École pratique des hautes études (EPHE), c'est un « bouleversement profond » : « Ces populations viennent avec leur façon d'être, leurs traditions avec une piété plus ostentatoire, voire exubérante, qui peut heurter l'ethos protestant traditionnel. La base sociale du protestantisme français se trouve aujourd'hui enrichie - et j'emploie ce mot à dessein - par toutes sortes d'apports de populations venant de la France d'outre-mer et d'autres pays. Ces changements bousculent certains aspects de l'identité du protestantisme français. »
Une explosion de créations
La question multiculturelle n'est pas nouvelle dans le protestantisme : depuis les années 1980 et l'apparition des premières églises africaines à Paris, se sont ouvertes des églises baptistes coréennes et chinoises, caraibéennes et haïtiennes, évangéliques guadeloupéennes... Mais ces dix dernières années, on observe une explosion de créations d'églises dites « issues de l'immigration ». En Île-de-France, mais aussi à Lyon, à Marseille, à Strasbourg ou à Rennes, des petits groupes de fidèles se rassemblent pour prier dans leur langue ou autour d'une culture francophone spécifique, en quête d'une ambiance comme dans leur pays d'origine. Elles s'ouvrent souvent sans bruit - disparaissent aussi parfois - et ne cherchent pas toujours à entrer en contact avec leurs voisines plus établies ou avec les institutions protestantes nationales. Ces dernières, elles, voudraient mieux les connaître.
On voudrait sortir du cycle où l'on n'entend parler de ces églises que quand il y a un drame, et pour ça, il faut aller vers elles.
– Clément Diedrichs, directeur du Cnef
C'est le rôle du projet Mosaïc de la FPF qui, depuis 10 ans, encourage les relations entre Églises et cherche à dissiper les préjugés. Certains présidents d'Églises « historiques » notent que cette augmentation de créations a peut-être un lien avec une difficulté d'intégration de leurs propres fidèles. « On voudrait sortir du cycle où l'on n'entend parler de ces églises que quand il y a un drame, et pour ça, il faut aller vers elles », souligne Clément Diedrichs, directeur du Cnef (Conseil national des évangéliques de France), en faisant référence à l'effondrement d'un plancher dans un lieu de culte à Stains (Seine-Saint-Denis), en 2012. Souvent, les rencontres se font pour des raisons pratiques : les « jeunes » églises ont du mal à trouver des locaux. Les pasteurs qui ont déjà un édifice religieux sont de plus en plus sollicités pour louer leur chapelle un après-midi de week-end. « Mais que veut-on, interroge Jane Stranz, responsable des relations oecuméniques à la FPF, que des chrétiens aient ensemble une relation de locataire-propriétaire ou un lien fraternel ? »
Le protestantisme du XXIe siècle peut s'appuyer sur ces succès : l'intégration au paysage français de la Communauté des églises d'expressions africaines en France (CEAF) et de l'Entente et coordination des oeuvres chrétiennes (ECOC), par exemple, qui sont présentes respectivement dans les lieux de décision de la FPF et du Cnef. Ou encore les multiples églises asiatiques bien implantées sur le territoire. Mais elles aussi changent : « Ce n'est pas parce qu'on ne voit que des Africains dans un culte qu'ils sont tous de la même culture, glisse André Pownall, pasteur évangélique et professeur de théologie à l'Institut biblique de Nogent-sur-Marne (Val-de-Marne) en retraite, faisant écho au président de l'ECOC, Jean-Sébastien Sampera : « Nous n'avons pas une seule église où tout le monde viendrait du même lieu, nos assemblées rassemblent des Africains de diverses régions ou encore des Antilles. Chez moi, le dimanche, il y a même des Alsaciens ! », plaisante ce pasteur strasbourgeois. Le bouleversement qui se prépare tient aussi à l'apparition d'une deuxième et d'une troisième génération dans les églises dites « ethniques » (rassemblées autour d'un culte dans une langue étrangère) avec des demandes inédites : leurs jeunes, bien intégrés à la société, veulent des cultes en français, mais sans quitter l'église de leurs parents. Ainsi, une communauté chinoise de Nogent-sur-Marne voit son culte français animé par... un pasteur congolais.
La multiculturalité des lieux de formation
Dans les lieux de formation au pastorat, la multiculturalité existe depuis plusieurs décennies. Elle donne lieu dans certains instituts évangéliques à des cursus spécifiques qui ont été peu à peu intégrés aux cours classiques, avec une attention particulière pour les pasteurs étrangers. À l'Institut protestant de théologie (IPT), une institution parisienne de l'Église protestante unie de France (EPUDF) accueillant des étudiants de toutes tendances, la diversité des profils a amené les professeurs à avoir « une attention à la dimension culturelle dans l'enseignement », souligne Pierre-Olivier Léchot, doyen de l'IPT. « Sans que cela change notre ambition académique ou vision théologique, cela les questionne et nous amène à intégrer de nouvelles dimensions culturelles. »
Et pour les futurs pasteurs, la première année peut entraîner quelques surprises. Entre Franck, luthérien malgache, et Paula, fille de pasteur, vivant en couple avec une femme, on devine que les discussions ont pu être tendues au début. Mais ils reconnaissent que leur formation leur a donné les outils pour dépasser un éventuel « choc des cultures », ethnique comme religieux. « Certains sujets de société ne peuvent pas faire l'objet de discussion dans l'Église malgache, or si je ne change pas d'avis, j'apprécie de savoir qu'une autre opinion existe et qu'elle a un fondement », explique le premier. « J'avais une image fermée des évangéliques et j'ai découvert à leur contact une capacité de dialogue et d'empathie », enchaîne la seconde. Elle ajoute : « Ils m'ont surpris par leur profondeur spirituelle : maintenant, je prie avec eux ! »
La multiculturalisation ne se retrouve pas seulement dans les Églises proches d'une sensibilité évangélique mais aussi libérale.
– Jean-Paul Willaime, sociologue
Malgré leurs différences, Franck et Paula veulent tous deux rester dans l'EPUDF. « Il y a une réelle multiculturalisation au sein des Églises, souligne Jean-Paul Willaime. Cela se retrouve dans les assemblées cultuelles, pas seulement dans les Églises proches d'une sensibilité traditionnellement évangélique mais aussi chez celles à la sensibilité libérale. » À Melun, l'anthropologue Bernard Coyault a enquêté sur une paroisse de l'EPUDF, « un de ces lieux de culte protestants franciliens ordinaires, d'implantation ancienne » où « l'on est passé en moins de 30 ans d'une absence de non-Européens à une minorité non européenne, puis à une majorité non européenne ».
Diversité et renouvellement
Au fil du temps, cette dernière a pris de plus en plus de responsabilités : dans le culte via la chorale, puis auprès des enfants et au conseil presbytéral. Non sans heurts : « Quand je suis arrivée en 2002, (...) il y avait d'un côté les Blancs et de l'autre les Noirs », se souvient une paroissienne congolaise. Quant aux velléités d'une chrétienne camerounaise de renforcer l'équipe de l'action sociale 10 ans plus tard, elles se sont vite envolées après qu'à deux reprises, les bénévoles ne l'ont pas reconnue... et l'ont prise pour une des bénéficiaires. « Finalement, ces dernières années, tout le monde dans la paroisse a compris combien cette mixité était positive », souligne Bernard Coyault. Souvent, insiste le chercheur, cette diversité multiculturelle peut renouveler une communauté.
Ils ont renouvelé notre pratique liturgique en l'enrichissant et en la rendant plus belle.
– Alain Spielewoy, pasteur
Ce fut même une renaissance pour l'église Terre nouvelle de Mulhouse, rattachée à l'Union des Églises protestantes d'Alsace et de Lorraine (UEPAL). Quand il arrive comme pasteur en 2005, Alain Spielewoy remarque qu'une communauté camerounaise célèbre son culte le dimanche après-midi dans sa chapelle. Il découvre, ébahi, que « les cantiques étaient ceux de mon enfance... chantés en boulou ! » et est marqué par un « culte très proche du nôtre », avec une tradition réformée. Sans hésitation, il leur propose d'intégrer l'Église, à part entière. « Ils y ont trouvé un cadre bienveillant et stable », raconte-t-il, se souvenant de tensions régulières dans la communauté camerounaise. « Mais eux ont renouvelé notre pratique liturgique en l'enrichissant et en la rendant plus belle. Sans compter que, d'une dizaine, nous sommes passés à une quarantaine de fidèles au culte avec près de 200 foyers autour de l'Église alors que nous étions en chute libre. »
Une « secousse » de la vision traditionnelle
Dans les Églises de tendance évangélique, nombreux sont les pasteurs qui s'exclament face à cette question du brassage des cultures : « Nous sommes 10, 20, 30 nationalités dans l'Église, et ce n'est pas nouveau ! » Mais les proportions ont changé. « Dans notre Église, la population issue de longues générations de Français de la métropole ne diminue pas... mais elle n'augmente pas, quand les fidèles d'origine étrangères sont de plus en plus nombreux », précise Simon Kéglo, pasteur baptiste à Massy-Palaiseau (Essonne).
Clément Diedrichs se souvient d'un couple lui avouant être parti de son Église face à « une inversion des proportions ». Christian Albecker ne peut s'empêcher de remarquer le vote Front national dans des villages alsaciens réputés protestants. Mais le directeur du Cnef comme le président de l'UEPAL tempèrent : quand il s'agit d'accueillir des réfugiés, ces mêmes chrétiens répondent oui sans hésiter. Ce serait plus une question de « culture du culte » que de personne, une « secousse » de la vision traditionnelle que certains membres de paroisses peuvent avoir gardée.
Cette culture française est ce qui nous rassemble, là où nous allons puiser pour tous.
– Simon Kéglo, pasteur
« À mon arrivée, il y a neuf ans, j'ai remarqué de la réticence au changement mais j'ai engagé un travail à ce niveau-là, et cela fonctionne bien aujourd'hui », relate Simon Kéglo. Ce Français d'origine togolaise reste marqué par son expérience pastorale aux Antilles : « Je suis tombé sur un culte exactement comme en France, alors que les carnets de cantiques créoles prenaient la poussière dans un coin. Un ancien m'a expliqué qu'on ne pouvait pas utiliser cette langue pour chanter Dieu : c'était considéré comme une bassesse. J'ai répondu : "Alors, soyons bas tous ensemble !" » Depuis, il sait que l'équilibre de l'Église dépend du pasteur. Pour lui, il ne peut se faire que sur un ancrage : celui de la culture du lieu où son église est installée. « Aujourd'hui, à Massy, nous sommes une Église française même si la majorité des membres est étrangère. Cette culture-là est ce qui nous rassemble, là où nous allons puiser pour tous. Sans nier l'apport des autres : à partir de l'an prochain, nous célébrerons un culte honorant les cultures de chaque continent une fois par an. »
Face à ce qui ressemble bien à un mouvement de plaques tectoniques dans l'univers protestant français, que sera demain ? « La minorité protestante française (3 % de la population) prend peu à peu conscience de la diversité des hommes et des femmes qui la constituent, et le protestantisme sera ce qu'en font et en feront les hommes et les femmes qui s'en réclament », conclut Jean-Paul Willaime.
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