*** it-1 p. 133-134 Apocryphes ***
Le mot grec apokruphos est employé dans son sens premier dans trois textes bibliques pour désigner quelque chose de “ soigneusement dissimulé ” ou ‘ caché ’. (Mc 4:22 ; Lc 8:17 ; Col 2:3.) Quand il s’appliquait à des écrits, ce terme se rapportait à l’origine à ceux qui n’étaient pas lus en public, qui étaient donc ‘ dissimulés ’. Plus tard, il prit le sens de faux ou non canonique, et aujourd’hui il désigne généralement les écrits qui furent ajoutés au canon de la Bible par l’Église catholique romaine au concile de Trente (1546). Les écrivains catholiques qualifient ces livres de deutérocanoniques, ce qui signifie “ du second canon ” ou “ canon postérieur ”, les distinguant ainsi des livres protocanoniques.
Ces écrits ajoutés sont Tobie, Judith, la Sagesse (de Salomon), l’Ecclésiastique (à ne pas confondre avec l’Ecclésiaste), Baruch, 1 et 2 Maccabées, des additions au livre d’Esther et trois additions à celui de Daniel : le cantique des trois jeunes gens, l’histoire de Suzanne, et Bel et le Dragon. La date exacte de leur rédaction est incertaine, mais tout porte à croire qu’elle n’est pas antérieure au IIe ou IIIe siècle av. n. è.
Preuves qu’ils ne sont pas canoniques. Bien que quelques-uns de ces écrits aient une certaine valeur historique, les tentatives visant à prouver leur canonicité ne reposent sur aucun fondement solide. Les faits démontrent que le canon hébraïque fut achevé avec la rédaction des livres d’Ezra, de Nehémia et de Malaki au Ve siècle av. n. è. Les écrits apocryphes n’ont jamais été inclus dans le canon juif des Écritures divinement inspirées et ils n’en font pas davantage partie aujourd’hui.
Josèphe, historien juif du Ier siècle, montre que seuls les quelques livres (du canon hébraïque) tenus pour sacrés étaient reconnus ; il dit : “ Il n’existe pas chez nous une infinité de livres en désaccord et en contradiction, mais vingt-deux seulement [qui correspondent aux 39 des Écritures hébraïques selon leur division moderne] qui contiennent les annales de tous les temps et obtiennent une juste créance. ” Il indique ensuite très nettement qu’il n’ignore pas l’existence de livres apocryphes, qui n’étaient pas admis dans le canon hébraïque : “ Depuis Artaxerxès jusqu’à nos jours tous les événements ont été racontés, mais on n’accorde pas à ces écrits la même créance qu’aux précédents, parce que les prophètes ne se sont plus exactement succédé. ” — Contre Apion, I, 38, 41 [VIII].
Introduction dans la “ Septante ”. Ceux qui défendent la canonicité des écrits apocryphes invoquent généralement le fait qu’ils figurent dans de nombreuses copies anciennes de la Septante, traduction grecque des Écritures hébraïques qui fut commencée en Égypte vers 280 av. n. è. Mais comme il ne subsiste aucun original de la Septante, nul ne peut certifier que les livres apocryphes figuraient à l’origine dans cette version. On admet d’ailleurs que beaucoup, voire la plupart de ces écrits, furent rédigés après le commencement de cette traduction, donc qu’ils ne pouvaient évidemment pas être inclus dans la liste des livres bibliques que ce groupe de traducteurs se proposait de traduire au départ. Au mieux, ils ne peuvent être considérés que comme des additions à cette version.
D’autre part, si les Juifs d’Alexandrie, qui parlaient le grec, introduisirent finalement ces écrits apocryphes dans la Septante et s’ils jugeaient apparemment qu’ils faisaient partie d’un canon élargi des écrits sacrés, les propos de Josèphe cités plus haut attestent qu’ils ne furent jamais inclus dans le canon palestinien ou canon de Jérusalem. Tout au plus furent-ils considérés comme des écrits secondaires non inspirés par Dieu. C’est pourquoi le concile juif de Jamnia (vers 90 de n. è.) exclut nettement tous les écrits apocryphes du canon hébraïque.
L’apôtre Paul affirma clairement en Romains 3:1, 2 que la pensée des Juifs est à prendre en compte en la matière.
D’autres témoignages anciens. Le fait qu’aucun rédacteur chrétien de la Bible ne cite les livres apocryphes constitue un des principaux arguments externes à opposer à leur canonicité. Certes, cela n’est pas en soi une preuve décisive, car quelques livres, pourtant considérés comme canoniques, tels que Esther, l’Ecclésiaste et le Chant de Salomon, ne sont pas non plus cités par les écrivains chrétiens. Il est cependant significatif que ceux-ci ne citent aucun des livres apocryphes, pas même une fois.
Autre fait non négligeable, d’éminents biblistes et “ Pères de l’Église ” des premiers siècles de notre ère attribuaient en général aux apocryphes un rang inférieur à celui des écrits bibliques. Ainsi, après un examen minutieux de la question, Origène, qui vécut au début du IIIe siècle, fit une telle distinction entre les écrits apocryphes et ceux du véritable canon. Athanase, Cyrille de Jérusalem, Grégoire de Nazianze et Amphiloque, tous du IVe siècle, dressèrent des catalogues des écrits sacrés qui étaient conformes au canon hébraïque ; quant aux autres écrits, soit ils les ignoraient, soit ils les rangeaient dans une catégorie secondaire.
Jérôme, qui est regardé comme “ le meilleur hébraïsant ” de l’Église primitive et qui acheva la Vulgate en 405 de n. è., se déclara catégoriquement contre les livres apocryphes. C’est d’ailleurs lui qui, le premier, les qualifia explicitement d’“ apocryphes ” dans le sens de non canoniques. Ainsi, dans son prologue aux livres de Samuel et des Rois, il répertorie les livres inspirés composant les Écritures suivant le canon hébraïque (dans lequel les 39 livres sont regroupés en 22) puis il écrit : “ De cette façon, il y a [...] vingt-deux livres [...]. Ce Prologue des livres peut, comme un commencement armé de casque, convenir à tous les livres que nous traduisons de l’hébreu en latin, et nous faire savoir que tout ce qui est en dehors de là, doit être placé parmi les Apocryphes. ” (Œuvres choisies de S. Jérôme, par F.-Z. Collombet, Paris, 1842, p. 119, 121). Écrivant à une dame nommée Laeta à propos de l’éducation de sa fille, Jérôme lui donne ce conseil : “ Qu’elle se garde de tous les apocryphes, et si jamais elle veut les lire, non pour y chercher les dogmes authentiques, mais seulement le respect pour les symboles, qu’elle sache bien que ces livres n’appartiennent pas aux auteurs dont leur titre porte le nom, que bien des opinions fautives sont mêlées à leur texte, enfin qu’il faut user d’une grande prudence quand on cherche de l’or dans la boue. ” — Lettres, CVII.
Points de vue catholiques contradictoires. C’est surtout Augustin (354-430 de n. è.) qui fut à l’origine du mouvement visant à introduire des écrits apocryphes dans le canon de la Bible, même si, dans ses ouvrages postérieurs, il reconnut lui-même qu’il y avait une nette différence entre les livres du canon hébraïque et ces “ livres extérieurs ”. Cependant, suivant l’exemple d’Augustin, l’Église catholique ajouta ces écrits au canon des livres sacrés qui avait été établi au concile de Carthage en 397. Il fallut néanmoins attendre le concile de Trente, en 1546, pour que l’Église catholique romaine confirme catégoriquement l’introduction des apocryphes dans son catalogue des livres bibliques. Elle estima cette décision nécessaire du fait qu’à l’intérieur même de l’Église les opinions sur ces écrits demeuraient contradictoires. John Wycliffe, prêtre catholique et bibliste qui, par la suite, avec l’aide de Nicolas de Hereford, réalisa au XIVe siècle la première traduction de la Bible en anglais, inclut les apocryphes dans son œuvre. Toutefois, dans la préface de sa traduction, il déclara que ces écrits étaient “ dépourvus d’autorité en matière de croyance ”. Le cardinal Cajetan (1469-1534), dominicain et éminent théologien de son époque, que le pape Clément VII appela la “ lumière de l’Église ”, établit lui aussi une distinction entre les livres du véritable canon hébraïque et les apocryphes, se référant pour cela à l’autorité des écrits de Jérôme.
Notons également que le concile de Trente ne reconnut pas la canonicité de tous les écrits qui avaient été précédemment approuvés par le concile de Carthage. Il en rejeta trois : la Prière de Manassé ainsi que 1 et 2 Esdras (à ne pas confondre avec 1 et 2 Esdras qui, par exemple dans la Bible de Glaire et Vigouroux, version catholique, correspondent à Ezra et à Nehémia). C’est ainsi que furent exclus du canon de la Bible trois écrits qui, pendant plus de 11 siècles, avaient figuré dans la Vulgate, la version officielle.
Preuves intrinsèques. Plus encore que les preuves extrinsèques, les preuves intrinsèques montrent avec force que ces écrits apocryphes ne sont pas canoniques.