Huit questions sur les fermetures de mosquées soupçonnées de radicalisation
Par Caroline Piquet Mis à jour le 21/04/2017 à 11:38 Publié le 21/04/2017 à 11:06
Huit questions sur les fermetures de mosquées soupçonnées de radicalisation
À quelques semaines d'intervalle, l'État a ordonné la fermeture de plusieurs lieux de cultes musulmans. Combien de temps peuvent-ils rester fermés ? Pourquoi ces fermetures sont-elles contestées ? Éléments de réponses.
27. C'est le nombre de mosquées soupçonnées de radicalisation que les autorités ont fermées depuis la promulgation de l'État d'urgence, selon le ministère de l'Intérieur qui a fait fermer plusieurs lieux de culte musulmans ces dernières semaines en France. Dernière décision en date: la mosquée de Torcy en Seine-et-Marne a été fermée en début de semaine dernière, notamment pour des prêches hostiles aux lois de la République. L'association qui gère la mosquée et qui a été dissoute sur décision préfectorale a introduit mercredi un recours en référé contre une décision jugée «politique». L'audience aura lieu ce vendredi à 11 heures devant le tribunal administratif de Melun. La semaine d'avant, c'était la mosquée Assouna de Sète dans l'Hérault. L'occasion de faire le point sur ces décisions et de répondre à différentes questions que soulèvent ces fermetures.
Quels sont les motifs qui peuvent justifier la fermeture d'un lieu de culte musulman?
Les enquêteurs observent trois éléments: les prêches, la fréquentation et les activités de la mosquée. Ainsi, «les prêches faisant l'apologie du djihad ou du terrorisme ou glorifiant la mort en martyr» peuvent justifier la fermeture d'une salle de prière, nous indique-t-on place Beauvau. «La présence de personnes actives dans la mouvance islamiste radicale» ou «l'existence d'une filière organisée par le lieu de culte sous couvert d'actions humanitaires ou d'enseignement» peuvent également justifier cette décision.
Qui décide?
Ces décisions administratives sont prises sur le fondement de l'article 8 de la loi de 1955 sur l'état d'urgence. Ce texte indique que le ministre de l'Intérieur et le préfet dans le département peuvent «ordonner la fermeture provisoire des salles de spectacles, débits de boissons et lieux de réunion de toute nature», y compris celles qui pourraient «provoquer» ou «entretenir le désordre». Mais en juillet 2016, le parlement a modifié la loi et a voulu la rendre plus précise. Depuis, le texte vise également «des lieux de culte au sein desquels sont tenus des propos constituant une provocation à la haine ou à la violence ou une provocation à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes». Cet amendement a permis de «clarifier» et de «faciliter» la fermeture des lieux de culte car «elle élargit le champ du trouble à l'ordre public», commente Pascal Jan, professeur de droit public à Sciences Po Bordeaux.
Plus concrètement, comment ferme-t-on un lieu de culte?
Notes blanches, témoignages, photos... La mesure administrative est prise sur la base d'une double enquête, menée par la Direction départementale de la sécurité intérieure (DDSI) et le Service de renseignement territorial (SRT). L'arrêté préfectoral de fermeture est ensuite publié et une perquisition est parfois ordonnée dans le même temps. Elle permet notamment de collecter des preuves et d'alimenter d'éventuelles procédures judiciaires. La décision est notifiée au responsable de l'association puis placardée sur la porte de la mosquée, comme ici à Sète et les locaux sont fermés. «Les serrures sont éventuellement changées pour empêcher toute réoccupation des lieux», assure-t-on place Beauvau. Il arrive aussi que l'association qui gérait la mosquée soit dissoute par décret ministériel, comme à Lagny, en Seine-et-Marne.
Combien de temps peut durer la fermeture de ces lieux de culte?
Le temps que dure l'État d'urgence. C'est ce que dit la loi. En février 2016, le Conseil constitutionnel s'est montré plus précis : «les mesures de fermeture provisoire (...) cessent au plus tard en même temps que prend fin l'état d'urgence». Et si ce dernier est prolongé, les mesures de fermetures doivent être obligatoirement «renouvelées». Autrement dit, si l'État d'urgence est levé - il court jusqu'en juillet 2017 - les mosquées fermées pourront rouvrir leurs portes à cette date. En revanche, «si la menace a disparu et que l'association a montré des signes positifs, la mesure peut être abrogée par la préfecture», avance un avocat qui connaît bien ce genre de dossier. En effet, «ce temps de fermeture peut être mis à profit par l'association pour changer d'imam et mettre en place des mesures de surveillance», complète-t-on au ministère de l'Intérieur. Selon nos informations, la mosquée de Stains en Seine-Saint-Denis, fermée fin 2016 pour radicalisation, devrait rouvrir ses portes dans les jours à venir.
Parfois, la mosquée ferme et l'association qui la gérait est dissoute. Pourquoi?
«La dissolution des associations gérant les mosquées se justifie lorsqu'il existe une imbrication importante entre l'équipe gestionnaire du lieu de culte, constituée en association, et l'équipe cultuelle», répond-on place Beauvau. «Tel était le cas de la mosquée de Lagny-sur-Marne, dans laquelle l'ancien imam, président de l'association, était également impliqué dans l'endoctrinement et le départ au djihad de nombreux fidèles, les autres membres de l'association partageant les mêmes valeurs». En revanche, «lorsque le dysfonctionnement de la mosquée résulte uniquement de sa fréquentation ou des prêches de l'imam, il est parfois possible de s'appuyer sur le président de l'association, lorsque celui-ci fait preuve de volontarisme, pour combattre ces dysfonctionnements».
Peut-on fermer un lieu de culte en dehors de l'État d'urgence?
«Oui», répond Pascal Jan. «Dès lors qu'il représente une menace pour l'ordre public». Ou qu'il y a infraction à la réglementation (hygiène, sanitaire, etc.) ou des crimes et délits, complète une source policière. Mais c'est très rare et plus compliqué car en dehors de l'État d'urgence, les perquisitions sont plus encadrées et la collecte de preuves est, de fait, plus difficile pour justifier une fermeture. Par ailleurs, ces fermetures en temps normal sont assorties d'un délai, ce qui n'est pas le cas sous l'État d'urgence.
Ces fermetures sont-elles contestées?
Oui mais à ce jour, «seules trois associations visées ont déposé des recours en référé liberté», nous explique encore un avocat habitué de ses dossiers. Ce fut notamment le cas de l'association de la mosquée d'Ecquevilly (Yvelines). Ses avocats avaient dénoncé une atteinte à la liberté de culte et au droit de propriété. L'imam était accusé de tenir des prêches incitant à la haine et justifiant les attentats de Paris. Mais pour ses avocats les propos avaient été sortis de leur contexte ou mal traduits. Finalement, le Conseil d'État avait confirmé la fermeture du lieu en décembre dernier. La plus haute juridiction administrative a «déplacé le curseur de la radicalité vers l'islam conservateur, au risque de créer un grave malentendu avec une communauté totalement éloignée de la violence et encore plus du terrorisme», avaient dénoncé les avocats. Un mois plus tard, le Conseil d'État entérinait aussi la fermeture de la mosquée «Al Rawda» de Stains (Seine-Saint-Denis). Parallèlement, des recours de fond ont été déposés mais cette procédure prend plus de temps.
Qu'en pensent les responsables musulmans?
Ces décisions suscitent interrogation, voire perplexité chez les responsables musulmans. Le président du Conseil français du culte musulman (CFCM), Anouar Kbibech, estime que «si un imam ou un responsable de mosquée se rend coupable d'appels à la haine, ou de tout autre propos tombant sous le coup de la loi, les autorités doivent faire leur travail, dans le respect de l'état de droit». Mais il souhaite que des «solutions alternatives» soient proposées, alors que le culte musulman manque déjà de lieux. En Seine-et-Marne, des prières de rue ont lieu quotidiennement depuis la fermeture de la mosquée de Lagny en décembre 2015. Pour le président de l'Observatoire contre l'islamophobie au CFCM, Abdallah Zekri, il faudrait mettre en place un «comité provisoire de gestion» de la mosquée en attente d'une décision de justice puis, si sa fermeture est confirmée, donner mandat au Conseil régional du culte musulman (CRCM) de constituer un nouveau bureau gérant le lieu.
(Avec AFP)
http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2017/04/21/01016-20170421ARTFIG00121-huit-questions-sur-les-fermetures-de-mosquees-soupconnees-de-radicalisation.php