Jésus, les Premiers Chrétiens et le Nom:
Résumé
Ce chapitre commence par faire le point sur la question au coeur du débat : le Seigneur Jésus est-il celui que l'Ancien Testament nomme YHWH ? Autrement dit, Jésus est-il Jéhovah ? Cette question se pose car le NT cite régulièrement l'AT (à raison de 10% de son corpus), et certaines citations qui concernaient jadis le Dieu d'Israël semblent désormais, par le truchement du terme "Seigneur", s'appliquer à Jésus. Il suffit de comparer les textes de Joël 3:5 et Romains 10:13 pour comprendre que si le nom divin figurait initialement dans l'épître aux Romains, son retrait a contribué à la confusion qu'on observe aujourd'hui. Beaucoup de personnes estiment en effet que le nom du Seigneur dont il est question ici, c'est Jésus, alors qu'il s'agit bien de יהוה.
En dehors des citations, de nombreux autres textes prètent également à confusion. Ainsi, de quel Seigneur est-il fait mention en Révélation 11:17 ? Il faut déjà éclaircir les sens du terme grec κύριος. Il est montré que ce dernier s'applique tant à des humains, des anges, Jésus, que Dieu, et que sa signification s'étend de monsieur à Seigneur. C'est la progression du culte impérial, le désir des Chrétiens de surenchérir vis-à-vis des cultes concurrents, la dissonance religieuse provoquée par les attentes eschatologiques d'un peuple en désarroi et son échec au supplice, entres autres, qui ont contribué à sacraliser le terme κύριος (cf. Philippiens 2:9-11).
De fait, pour comprendre dans quelle sphère idéologique évoluaient les Premiers Chrétiens, quel monothéisme était le leur, et comment ils voyaient Jésus (leur christologie), il faut se remémorer qu'ils ne pensaient pas adhérer à une religion nouvelle, mais plutôt porter l'ancienne à sa perfection (Matthieu 5:17). Pour eux, Jésus était le Messie envoyé par Dieu. Ils ne confondaient pas le Messie avec le Dieu Un ! Dans cette perspective, et bien que les manuscrits du Nouveau Testament qui nous soient parvenus ne le révèlent pas explicitement, il faut se résoudre à penser que les premiers rédacteurs inspirés du Nouveau Testament ont employé le nom divin en hébreu dans leurs écrits en grec, de la même manière que les premiers copistes juifs de la Septante avaient conservé le nom divin en hébreu au sein de cette traduction grecque. Par exemple, dans le verset de Matthieu 22:44, si incompréhensible de nos jours (et déjà malmené par Tertullien au IIe s.), ils n'ont pas écrit :
Le Seigneur a dit à mon Seigneur : 'Assieds-toi à ma droite, jusqu'à ce que je fasse de tes ennemis ton marchepied.' - Louis Segond
mais :
יהוה a dit à mon Seigneur : 'Assieds-toi à ma droite, jusqu'à ce que je fasse de tes ennemis ton marchepied.' *
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On est en mesure de l'affirmer sur la base de nombreux indices, à commencer par le fait que le verset en question est une citation de Psaume 110:1, où figure le tétragramme. Or, que Matthieu ait cité le texte depuis l'hébreu, comme nous le pensons puisque c'est en hébreu qu'il a rédigé son évangile, ou bien depuis la Septante grecque, dans les deux cas il rencontrait le tétragramme en hébreu. Etant Juif, le respect pour le Nom lui était inné, viscéral. Il ne pouvait y toucher.
Voilà donc la première facette, qui permet de comprendre que, lorsqu'ils citaient les Ecritures, les rédacteurs du NT conservaient le Nom dans leurs écrits. Le chapitre 4 présente l'ensemble des éléments qui appuient cette constatation :
- tous les rédacteurs (ou quasiment tous) étaient Juifs : ils connaissaient le Nom, et l'employaient (certes parcimonieusement) avec respect,
- certains écrits du NT ont d'abord été rédigés en hébreu (Matthieu de manière certaine, les autres évangiles, ou quelques-unes de leurs parties, probablement), comme on peut s'en apercevoir à la revue des sémitismes,
- il existe de très nombreuses variantes impliquant des termes aussi simples que Dieu, Seigneur et Jésus, qui mettent en évidence une confusion grandissante quant à l'identité des deux personnages. Si le tétragramme figurait initialement dans le NT, son retrait explique parfaitement l'ensemble de ces étonnantes variantes.
Le chapitre 4 reprend donc en détails, et appuie de nombreux exemples originaux, la thèse de George Howard, formulée en 1977 dans un article intitulé "The Tetragram and the New Testament" (Journal of Biblical Literature 96, 1977, pp.63-83). Cet article montre que 1) la pratique juive de reprendre le Nom en hébreu au sein d'un texte grec s'observe dans la LXX et dans les manuscrits de la Mer Morte, 2) les Premiers Chrétiens, de souche juive, firent sans doute de même lors de leurs citations ou allusions aux Ecritures hébraïques, ainsi que 3) en témoigne la tradition manuscrite et ses variantes.
Mais les sémitismes et les variantes ne sont pas les seuls éléments probants. Lors de sa "tentation", il est clair que Jésus emploie trois fois le Nom (Matthieu 4:4, 7, 10), tandis que Satan, même s'il cite les Ecritures, le proscrit minutieusement (Matthieu 4:3, 6). Il existe aussi des procédés littéraires qui prouvent que le Nom devait figurer. Quand on compare certains versets parallèles (par ex. Matthieu 13:31,32 et Luc 13:18,19) on comprend que le Nom apparaissait au moins dans les logia servant de support, si ce n'est dans les autographes eux-mêmes : la fluctuation autour du "royaume des cieux" ou "royaume de Dieu" relève clairement d'une pratique bien connue, l'euphémisme. De plus, tel que rapporté par Matthieu, le dernier cri de Jésus (Matthieu 27:50) ressemble et suggère celui du grand prêtre énonçant le nom divin le jour du Yom Kippour (cf. LaCocque). A des degrés divers, tous les rédacteurs du Nouveau Testament (Matthieu, Marc, Luc, Jean, Paul, Pierre, Jacques et Jude ; tous étaient Juifs, sauf peut-être Luc) montrent un usage du Nom, que ce soit par l'emploi d'expressions hébraïques familières comme יהוה צבאות (YHWH des armées ; cf. Romains 9:29 ou Jacques 5:4) ou carrément le nom divin יה (Révélation 19:1,3,4,6). Le chapitre 4 considère systématiquement tous les versets où pouvait paraître le Nom, en explicitant leur contexte.
Enfin, il existe une version hébraïque de Matthieu, conservée indépendamment du texte grec et qui n'en est pas une traduction (cf. les articles de G. Howard à ce propos), conservant le nom divin sous le forme de l'euphémisme ה״ ou d'un triple yod ייי encerclé (cf. couverture de l'ouvrage, 2e ligne) . Cela est particulièrement probant dans la mesure où l'on a retrouvé ce témoignage dans un traité juif anti-chrétien (Even bochan de Shem Tob). Dans la copie de l'évangile de Matthieu qu'il a faite, Shem Tob n'a certainement pas inséré le Nom, si précieux et si sacré, dans l'évangile qu'il dénigrait, si la copie du texte hébreu de Matthieu qu'il avait sous les yeux ne la comportait pas. On connaît d'ailleurs bien le scrupule des Massorètes, au Moyen Âge, à ne rien ajouter ou retrancher au texte biblique (AT), même en cas d'erreur, et qui entraîné la création du système ketib (כתיב, ce qui est écrit) - qeré (קרי, ce qu'il faut lire).
De ce texte hébreu de Matthieu subsistent plusieurs éditions : celle de Shem Tob [trad. Howard], celle de J. du Tillet [trad. Schonfield] et celle de S. Münster. Quelques autres écrits du Moyen Âge présentent ainsi le nom divin sous l'euphémisme ה״, tels le Sepher Nestor Hakomer, les Milhamot Hashem, le Sepher Joseph Hamekane et le Nizzahon Vetus.
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Josué le lien que tu as mis va servir grandement . merci donc !!..