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Pourquoi la circoncision fait-elle débat après 3000 ans ?

2 participants

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Josué

Josué
Administrateur


Régis Burnet : « Pourquoi la circoncision fait-elle débat après 3000 ans de pratique ?»

Régis Burnet : « Pourquoi la circoncision fait-elle débat après 3000 ans de pratique ?»
Propos recueillis par Sophie Eychenne - publié le 23/04/2015

En juin 2012, le tribunal de grande instance de Cologne a estimé que la circoncision d’un enfant pour des motifs religieux était une blessure corporelle, donc passible d’une condamnation. Régis Burnet, professeur à l'Université catholique de Louvain, a dirigé avec Didier Luciani La circoncision aujourd'hui (Éditions Feuilles, 2014), qui rassemble les points de vues les plus éclairés sur cette pratique en question.


"La Circoncision", Bartolomeo Veneto, 1506. Musée du Louvre, Paris. © DR

Le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Cologne est-il, selon vous, une entrave à la liberté religieuse ?

Ce jugement marque à la fois l'évolution des mentalités, l'effacement de la place des religions et la méconnaissance généralisée de celles-ci. Un article de droit cité dans notre ouvrage atteste que le jugement n'a pas beaucoup de fondement juridique. De nombreux éléments montrent qu'il est un peu rapide, arbitraire, et ne voit les choses que par le petit bout de la lorgnette. Il ne s'agit pas tellement de prendre position contre cet avis-là, mais plutôt de s'interroger : pourquoi ce qui, pendant 3000 ans, n'a pas posé problème, commence aujourd'hui à soulever de multiples interrogations ?

Doit-on considérer que les juifs et musulmans se livrent à des pratiques illégales ?

Pour le tribunal de Cologne, cette pratique n'est pas souhaitable. Mais dans la majorité des pays, elle est parfaitement légale ! Elle a même été recommandée pour des raisons médicales, en particulier aux États-Unis. Il est important de distinguer une circoncision effectuée dans un contexte d'asepsie correcte, et une circoncision qui met en danger la vie de l'enfant, ou de l'adulte. Abdessammad Belhaj le montre bien dans son article. C'est l'un des problèmes qui font que des voix, dans le monde musulman et au Maroc notamment, s'élèvent contre cette pratique, ou demandent au moins qu’elle soit encadrée. Mais, en soi, elle n'est pas forcément remise en cause : ce sont davantage les conditions de sa réalisation. Le juge a émis des réserves car il a confondu circoncision et mutilation.

Si la circoncision est une mutilation justifiée par la religion, considérez-vous que cette pratique est une atteinte à l'intégrité physique ? Le consentement de l'enfant n'est-il pas l'un de ses droits les plus fondamentaux ?

Lorsqu'il s'agit de circoncisions faites en bas âge, vous enlevez une part de l'individu, vous touchez à son intégrité physique sans son consentement. C'est là tout l'enjeu du livre : se poser la question de savoir si l'on est dans une mutilation sous couvert de religion, ou si c'est une pratique qui, justement, est prescrite par la religion culturelle, et qui ne peut donc pas être assimilée à une mutilation. On peut faire le parallèle, par exemple, avec certaines marques rituelles comme les scarifications, les tatouages. Encore une fois, nous ne prenons pas position. Notre but est de se demander pourquoi cela pose problème maintenant en Occident, et pas avant. L'association de la mutilation à la circoncision est un argument avancé depuis très longtemps. Les Romains, par exemple, assimilaient circoncision à castration. C'est l'image du corps qui est en jeu. Est-ce que le corps est le corps dans son intégrité absolue, c'est-à-dire intouché, ou bien le corps dans lequel la société intervient ? Que recouvre ce concept d’intégrité ? Lorsque vous faites une intervention chirurgicale à des enfants, vous ne leur demandez pas leur autorisation, pas davantage quand vous les vaccinez (or, on sait que la vaccination n’est pas non plus sans risque) ! Certes, c’est pour leur santé, mais on peut aussi argumenter que religieusement, la circoncision est aussi une pratique acceptée socialement, et qui se justifie par des commandements religieux. La question n'est donc pas aussi simple que cela !

Vous parliez des Romains qui assimilaient circoncision à castration. Mais peut-on également comparer la circoncision et l'excision ?

Non, absolument pas. Dominique Jacquemin, spécialisé dans l'éthique médicale, stipule dans notre ouvrage que si la circoncision est de l'ordre de la marque physique, l'excision est clairement de l'ordre de la mutilation. La circoncision est davantage associée à la marque sur la peau, alors que l'excision est l'ablation d'un organe essentiel. Il y a là une frontière très claire. Mais il est vrai que le fait d'enlever un prépuce a des conséquences sur la sexualité. Une sensibilité atténuée change forcément l'acte sexuel. Pourtant, d’autres affirment que le plaisir est accentué. Cela constituerait en outre une protection contre les infections sexuellement transmissibles. On ne peut pas trancher de manière claire et affirmer que la circoncision est un inconvénient pour l'enfant.

La circoncision est effectuée 8 jours après la naissance de l'enfant, puisque, selon le médecin et philosophe juif Maïmonide (1138-1204), « la forme imaginative qui produit chez les parents l'amour de l'enfant n'est pas encore consolidée chez les parents ». Comment expliquez-vous ce point de vue ?

Ce commandement, « circoncis le 8e jour » dans l'interprétation de la Guemara, est présent dans le Talmud. Les justifications historiques ont été perdues, on ignore pourquoi il a été décidé que cela se produirait le 8 e jour. L'explication de Maïmonide est liée à sa philosophie, à sa compréhension du monde. Certains vous indiquent, par exemple, que le 8 est le chiffre le plus saint. Le 7 symbolise la création parfaite, et le 8 l'intervention de l'homme. En tant que petit garçon, vous êtes la création de Dieu, et vous entrez dans l'Histoire le 8e jour. Vous devenez membre d'une famille, d'une communauté.

La circoncision est donc un affichage indélébile d'appartenance. À propos de cette pratique, qu'est-ce qui différencie la Torah et le Coran ? Quel est le point de vue chrétien ?

Morphologiquement, rien ne change bien sûr. Il n'y a pas de règle : il existe des circoncisions complètes, des semi-complètes, etc. C'est une marque d'appartenance revendiquée. Mais si l'on observe l'ensemble des groupes humains, de nombreux hommes sont circoncis, ce qui m'a beaucoup surpris. À Madagascar par exemple, tous sont circoncis. Le point de vue chrétien est très compliqué. À l'origine, l'Église a plutôt rejeté cette pratique, en suivant Paul, avec cette idée que la circoncision est inutile. De plus, l'Église a toujours été hostile, du moins dans les premiers siècles, à toute forme de tatouage, marque, probablement en réaction au paganisme, où ce genre de pratiques était courant. Ce qui est le plus étonnant, c'est que le judaïsme a cette même répulsion pour les incisions sur la peau, mais maintient malgré tout la circoncision. Actuellement, je crois qu'il y a une très grande tolérance, chacun fait ce qu'il veut. Que je sache, les Églises américaines n'ont rien dit quand une très grande partie des petits Américains se sont faits circoncire pour raison médicale.

Pour Thomas d'Aquin, « la circoncision est comme une profession de foi ». Doit-on associer baptême et circoncision ?

L'article d'Arnaud Join-Lambert montre que certaines Églises chrétiennes pratiquent la circoncision, les Coptes particulièrement. Ils ont, d'une certaine façon, un rituel supplémentaire. Mais on ne peut assimiler le baptême à la circoncision puisque, dans la théologie chrétienne, le baptême est le rite d'initiation par excellence. Il est ensuite complété par les différentes communions, la confirmation, etc.

Ainsi, la circoncision est un rite de passage. Peut-on envisager une « modernisation » de ce rite, en attendant par exemple la majorité de l'enfant ?

Il faudrait le demander aux religions concernées. Le rite du baptême ne laisse pas de marque physique, mais plutôt une marque spirituelle. Beaucoup de chrétiens choisissent de laisser à leurs enfants la possibilité d'effectuer leur baptême plus tard. D'ailleurs dans les premiers siècles de l'Église, les baptêmes d'enfants n'étaient pas encouragés. On pensait davantage qu'il fallait avoir l'âge de raison, qui n'était pas 7 ans, mais beaucoup plus. Certains groupes juifs libéraux s’interrogent également. C'est une réflexion qui est en cours. En tant que chrétien, je ne me permets pas de juger les autres religions. Pour moi, retarder le baptême n'est pas un problème. Comme il existe d'autres sacrements permettant d’exprimer librement son accord, ce n'est pas une nécessité. Tout dépend des circonstances : si vous êtes dans un contexte très identitaire, comme c’est le cas en ce moment pour le judaïsme et l'islam, la question ne se pose pas. Dans des cadres plus sécurisés et plus sécurisants, une alternative est envisageable.

chico.

chico.

Si les musulmans ou les juifs ne demandent pas l'avis de leurs enfants sur cette pratique il en est de même de ceux qui font baptiser leurs enfants.

Josué

Josué
Administrateur

Circoncision : les enjeux de la polémique récente sur cette pratique immémoriale
Catégories associées Islam judaïsme circoncision liberté de religion

ORELA présente le débat qu'il a co-organisé avec le CIERL et la Fondation de la Mémoire contemporaine, le 6 mars 2017 sur le thème « Circoncision : les enjeux de la polémique récente sur cette pratique immémoriale », avec Jacques Ehrenfreund, professeur à l’Université de Lausanne, titulaire de la Chaire d’Histoire des juifs et du judaïsme, et Lionel Obadia, anthropologue du religieux, professeur à l’Université Lyon-II, professeur invité par la Maison des Sciences humaines de l’Université libre de Bruxelles (ULB). Un débat animé par Jean-Philippe Schreiber, professeur à l’ULB.
http://www.o-re-la.org/index.php?option=com_k2&view=item&id=1859:circoncision-les-enjeux-de-la-polémique-récente-sur-cette-pratique-immémoriale&Itemid=85&lang=fr

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