Pourquoi l'enseignement du fait religieux à l'école fait-il peur?
publié le 05/09/2011
Alors qu’aujourd’hui des millions d’enfants et d’adolescents reprennent le chemin de l’école, retour sur l’une des controverses qui agite le système scolaire depuis de nombreuses années : l’enseignement du fait religieux.
Concrètement la problématique n’est pas nouvelle et il faut remonter à l’aube du XXe siècle pour comprendre la genèse de cet enseignement inscrit au socle commun de connaissances et de compétences depuis 2006. Dans un premier temps, les lois de laïcisation de l’école conduites par Jules Ferry définirent l’enseignement du religieux comme relevant du domaine privé, et remplacèrent en 1880-1882 la catéchèse par une instruction morale et civique. En 1905, la législation va plus loin. L’Etat se désolidarise de l’Eglise, instaurant pour le long terme une République laïque. Principe adogmatique, la laïcité ne se veut pas pour autant antireligieuse, au contraire : elle offre un cadre général au sein duquel toutes les spiritualités et religions peuvent exister. Dans l’optique du refus d’un enseignement confessionnel, les devoirs envers Dieu sont retirés de l’instruction en 1923. La place de la religion dans la société continue pourtant à questionner. Ne faut-il pas instruire les élèves de manière laïque sur ce que sont les religions et sur la façon dont elles ont façonné notre monde?
En 1982, la Ligue de l’enseignement prend position en faveur de l’étude des mythes fondateurs des grandes religions et de leur contribution au développement des civilisations. Cette proposition rejoint celle de l’historien Philippe Joutard qui publie en 1989 un rapport lapidaire constatant l’inculture religieuse des élèves. Cette ignorance serait liée notamment à la marginalisation de la culture classique dans l’enseignement et à la crise de la transmission religieuse dans les familles et dans les paroisses. Il affirme alors que '' la connaissance des cultures religieuses est nécessaire à l’intelligence de nos sociétés, de leur passé et de leur présent, de leur patrimoine littéraire et artistique, de leur système juridique et politique ''.
Combattre le rejet, éviter les amalgames douteux
Il est vrai que la lecture des œuvres d’Hugo, de Rabelais ou encore de Voltaire ne fait pas sens si on occulte le contexte politique et religieux de l’époque. Et il en va de même pour les tableaux de maîtres qui, jusqu’au XVIIIe siècle, foisonnent de codes iconographiques religieux. L’apport d’un enseignement des religions se conçoit donc ici comme une aide à la compréhension du monde passé et contemporain, où le fait religieux entre souvent en résonance avec l’actualité. Les attentats du 11 septembre 2001 en sont un bon exemple. Ultra-médiatisés, ils ont soulevé beaucoup de questions chez les jeunes. Qu’est-ce que l’Islam ? Le fanatisme ? Le fondamentalisme ?
Dans la foulée, Jack Lang, alors ministre de l’Education nationale, commande au philosophe Régis Debray un rapport sur ''l’enseignement du fait religieux dans l’école Laïque ''. L’Institut Européen en Sciences des Religions est crée et un module ''philosophie de la laïcité et enseignement du fait religieux'' se met en place dans les IUFM. Comme le souligne le socialiste Vincent Peillon, '' le fait religieux est quelque chose de difficile à appréhender et suppose un apprentissage qui n’est pas naturellement évident pour beaucoup d’enseignants. Comment parler le plus objectivement possible d’une croyance qui est pour l’élève, sa croyance et son identité, ou au contraire qui lui est hostile ? Comme souvent dans l’enseignement il y a une construction à faire mais aussi une déconstruction, notamment en terme de préjugés''.
La formation se veut donc double : elle s’adresse à la fois au corps enseignant et aux élèves. Elle vise à combattre le rejet, à éviter les amalgames douteux et les comportements communautaristes. En un mot : à gagner en tolérance. Comment se déroule son enseignement? Le rapport Debray précise que l’étude du fait religieux doit se faire de manière transversale, à travers toutes les disciplines. Il s’agit dès lors d’aborder les religions sur les plans à la fois historiques et sociaux mais aussi sur les plans philosophiques et symboliques. L'une des principales difficultés liée à cette instruction réside dans la rationnalité et dans la neutralité requise. Comment transmettre les faits religieux de façon la plus objective possible en occultant leur dimension mystique? Comment expliquer que la révélation faite à Moïse est fondatrice du judaïsme alors que l’historicité même du fait est contestable?
Silence sur l'évolution des trois grandes religions monothéistes
Le ministère de l’éducation nationale impose aux programmes des classes de sixième et de cinquième l’étude des débuts du christianisme, du judaïsme et de l’islam mais passe en silence l'évolution des trois grandes religions monothéistes. Une première fois évoqué au collège, le judaïsme ne revient ainsi au programme qu’au lycée, avec la Shoah. Et si l’enseignement se veut transversal, il reste surtout l’apanage de l’histoire. Or, en classe de terminale scientifique l’Histoire-Géographie est appelée à devenir une option, rendant faillible l’enseignement du fait religieux. La discontinuité avérée dans l'instruction s’ajoute à l’omission de certaines religions comme le bouddhisme, comptant pourtant 5 millions de sympathisants en France. Beaucoup de progrès restent donc à faire pour aller vers un savoir complet.
http://www.lemondedesreligions.fr/actualite/pourquoi-l-enseignement-du-fait-religieux-a-l-ecole-fait-il-peur-05-09-2011-1812_118.php
publié le 05/09/2011
Alors qu’aujourd’hui des millions d’enfants et d’adolescents reprennent le chemin de l’école, retour sur l’une des controverses qui agite le système scolaire depuis de nombreuses années : l’enseignement du fait religieux.
Concrètement la problématique n’est pas nouvelle et il faut remonter à l’aube du XXe siècle pour comprendre la genèse de cet enseignement inscrit au socle commun de connaissances et de compétences depuis 2006. Dans un premier temps, les lois de laïcisation de l’école conduites par Jules Ferry définirent l’enseignement du religieux comme relevant du domaine privé, et remplacèrent en 1880-1882 la catéchèse par une instruction morale et civique. En 1905, la législation va plus loin. L’Etat se désolidarise de l’Eglise, instaurant pour le long terme une République laïque. Principe adogmatique, la laïcité ne se veut pas pour autant antireligieuse, au contraire : elle offre un cadre général au sein duquel toutes les spiritualités et religions peuvent exister. Dans l’optique du refus d’un enseignement confessionnel, les devoirs envers Dieu sont retirés de l’instruction en 1923. La place de la religion dans la société continue pourtant à questionner. Ne faut-il pas instruire les élèves de manière laïque sur ce que sont les religions et sur la façon dont elles ont façonné notre monde?
En 1982, la Ligue de l’enseignement prend position en faveur de l’étude des mythes fondateurs des grandes religions et de leur contribution au développement des civilisations. Cette proposition rejoint celle de l’historien Philippe Joutard qui publie en 1989 un rapport lapidaire constatant l’inculture religieuse des élèves. Cette ignorance serait liée notamment à la marginalisation de la culture classique dans l’enseignement et à la crise de la transmission religieuse dans les familles et dans les paroisses. Il affirme alors que '' la connaissance des cultures religieuses est nécessaire à l’intelligence de nos sociétés, de leur passé et de leur présent, de leur patrimoine littéraire et artistique, de leur système juridique et politique ''.
Combattre le rejet, éviter les amalgames douteux
Il est vrai que la lecture des œuvres d’Hugo, de Rabelais ou encore de Voltaire ne fait pas sens si on occulte le contexte politique et religieux de l’époque. Et il en va de même pour les tableaux de maîtres qui, jusqu’au XVIIIe siècle, foisonnent de codes iconographiques religieux. L’apport d’un enseignement des religions se conçoit donc ici comme une aide à la compréhension du monde passé et contemporain, où le fait religieux entre souvent en résonance avec l’actualité. Les attentats du 11 septembre 2001 en sont un bon exemple. Ultra-médiatisés, ils ont soulevé beaucoup de questions chez les jeunes. Qu’est-ce que l’Islam ? Le fanatisme ? Le fondamentalisme ?
Dans la foulée, Jack Lang, alors ministre de l’Education nationale, commande au philosophe Régis Debray un rapport sur ''l’enseignement du fait religieux dans l’école Laïque ''. L’Institut Européen en Sciences des Religions est crée et un module ''philosophie de la laïcité et enseignement du fait religieux'' se met en place dans les IUFM. Comme le souligne le socialiste Vincent Peillon, '' le fait religieux est quelque chose de difficile à appréhender et suppose un apprentissage qui n’est pas naturellement évident pour beaucoup d’enseignants. Comment parler le plus objectivement possible d’une croyance qui est pour l’élève, sa croyance et son identité, ou au contraire qui lui est hostile ? Comme souvent dans l’enseignement il y a une construction à faire mais aussi une déconstruction, notamment en terme de préjugés''.
La formation se veut donc double : elle s’adresse à la fois au corps enseignant et aux élèves. Elle vise à combattre le rejet, à éviter les amalgames douteux et les comportements communautaristes. En un mot : à gagner en tolérance. Comment se déroule son enseignement? Le rapport Debray précise que l’étude du fait religieux doit se faire de manière transversale, à travers toutes les disciplines. Il s’agit dès lors d’aborder les religions sur les plans à la fois historiques et sociaux mais aussi sur les plans philosophiques et symboliques. L'une des principales difficultés liée à cette instruction réside dans la rationnalité et dans la neutralité requise. Comment transmettre les faits religieux de façon la plus objective possible en occultant leur dimension mystique? Comment expliquer que la révélation faite à Moïse est fondatrice du judaïsme alors que l’historicité même du fait est contestable?
Silence sur l'évolution des trois grandes religions monothéistes
Le ministère de l’éducation nationale impose aux programmes des classes de sixième et de cinquième l’étude des débuts du christianisme, du judaïsme et de l’islam mais passe en silence l'évolution des trois grandes religions monothéistes. Une première fois évoqué au collège, le judaïsme ne revient ainsi au programme qu’au lycée, avec la Shoah. Et si l’enseignement se veut transversal, il reste surtout l’apanage de l’histoire. Or, en classe de terminale scientifique l’Histoire-Géographie est appelée à devenir une option, rendant faillible l’enseignement du fait religieux. La discontinuité avérée dans l'instruction s’ajoute à l’omission de certaines religions comme le bouddhisme, comptant pourtant 5 millions de sympathisants en France. Beaucoup de progrès restent donc à faire pour aller vers un savoir complet.
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