«L’Occidental qui veut quitter le califat signe son arrêt de mort»
Par Xavier Alonso | Mis à jour il y a 43 minutes
Samuel Laurent publie un livre sur le groupe Etat islamique. Le visage qu'il donne à cet ennemi de l’Occident est terrifiant. Interview.
La France est clairement dans le viseur du groupe Etat islamique. Mercredi, les Français apprenaient qu’en plus du Normand Maxime, un deuxième converti, le parisien Mickael, était parmi les bourreaux de la terrible vidéo de décapitation diffusée le week-end dernier. Mercredi encore, le groupe Etat islamique postait une autre vidéo, dans laquelle trois Français du groupe terroriste poussent leurs compatriotes à attaquer la France. Consultant international, auteur de deux livres remarqués (Sahelistan en 2013 et Al-Qaida en France en 2014), Samuel Laurent connaît de l’intérieur la nébuleuse du terrorisme islamiste.
Par ses contacts au sein d’Al-Qaida (le concurrent de l’Etat islamique), Samuel Laurent a pu rencontrer de nombreux protagonistes dans les zones de conflit et notamment d’anciens membres de l’Etat islamique désormais passés du côté d’Al-Qaïda. Il publie cette semaine L’Etat islamique, une enquête qui explique le fonctionnement de ce véritable état de la terreur.
Entre autres choses, vous dites que le nombre de Français enrôlés est sous-estimé?
J’aimerais beaucoup me tromper. Mais quand vous allez sur place c’est une évidence. Dans une ville comme Selma, qui n’est pourtant pas le bastion du groupe Etat islamique, j’en ai rencontré beaucoup. Je n’accorde aucun crédit à cette estimation. D’abord parce qu’elle est officielle. On parlait de 940 il y a quelques mois. Je pense qu’on doit plus proche des 2000 comme l’avance un chercheur de Lyon (ndlr: Fabrice Balanche, professeur à l’Université Lyon 2).
Et quelle est leur motivation hormis l’exaltation de l’héroïsme guerrier et la détestation de l’Occident?
La simplicité de l’argument du groupe Etat islamique fait sa force. Le vrai islam est celui du califat qui prône l’avènement de la vérité par la guerre sainte. Mettre en scène la barbarie des exécutions et les carnages leur permet d’attirer à eux des jeunes gens sans repères. Vous n’auriez jamais accroché un gamin de banlieue en lui expliquant le programme d’Al-Qaida. Parce qu’il est compliqué, long, théologique avec des références érudites. Al-Qaida ne parle pas aux Européens: c’est un mouvement arabe, plus profond. Il est aussi détestable, soyons clairs.
Ce groupe tire sa légitimité de ses victoires militaires?
Oui. Chaque bataille gagnée est considérée comme un acte divin. C’est la preuve d’un aval d’Allah pour le califat qui lui donne davantage de légitimité. Et cette légitimité accrue fait venir à lui plus d’allégeances des brigades étrangères – en Algérie, en Tunisie, en Libye, au Yémen – et de candidats au djihad grandis en Europe.
Vous révélez une information qui, selon vous, pourrait tarir le flux des volontaires occidentaux?
En effet, on ne sort pas du groupe Etat islamique. Dans le califat, tout est mis en place pour verrouiller le territoire et les habitants. L’Occidental qui veut quitter le califat signe son arrêt de mort. Ses services de renseignements – l’Amni – sont surpuissants et font régner la terreur. Celui qui fait mine de vouloir partir sera exécuté tout de suite. Pour ne pas tarir le flux des candidats, il sera ensuite répertorié comme «mort au combat».
Mais on évoque sans cesse le danger des djihadistes qui reviendraient?
C’est un autre type. Ceux qui reviennent librement sont des gens en mission. C’est équivalent de l’espion du KGB qui pouvait sortir d’URSS.
Dans le chapitre «L’Etat islamique et la France», vous fustigez le jeu trouble du Qatar…
Le Qatar, comme Bahreïn ou l’Arabie saoudite sont des régimes extrêmement toxiques pour nos démocraties. L’Europe n’arrive pas à faire la différence entre opportunité économique immédiate d’avoir de tels partenaires et le risque pour la sécurité nationale. Du moment qu’ils achètent un club de foot ou des avions, on devient moins regardants sur leurs activités. Mais de fait, ce sont des talibans avec beaucoup d’argent, des voitures et du luxe. Mais il n’y a pas de différence idéologique entre ces régimes salafistes qui prônent un islam radical et le groupe Etat islamique en Syrie et en Irak.
Comment en Europe lutter contre cet endoctrinement?
On est dans un piège insoluble. Il va falloir renoncer à un certain nombre de libertés, ou du moins accepter un peu plus de surveillance et de contrôle. Comme l’on fait les Etats-Unis avec le Patriot Act. Car il faudra circonvenir cette menace qui nous bouffe de l’intérieur. Nous ne sommes plus face à un conflit externe avec 40 excités Occidentaux qui partent en Afghanistan crier «Allah Akbar!» dans des grottes, nous sommes désormais face à un problème de société.
On commence à l’évoquer dans certains états-majors, mais selon vous, une intervention au sol de la coalition contre le groupe Etat islamique serait une erreur?
Cela fait très longtemps que des armées occidentales n’ont pas été face à une véritable armée. En Afghanistan, les Talibans sont de fantastiques guérilleros qui peuvent mener des actions coordonnées. En Libye, le tout aérien a suffi. L’armée de Kaddafhi s’est disloquée rapidement. La guerre contre Saddam Hussein, ce n’était pas grand-chose. Ses troupes ont déserté massivement. C’était des guerres, entre guillemets, faciles. Le groupe Etat islamique dispose d’une vraie armée. On parle de 50 000 hommes avec des armes lourdes. Si on allait les combattre au sol ce serait une boucherie inimaginable. Car ses troupes sont extrêmement motivées, prêtes à tout!
Vous insistez sur le fait que l’Occident et notamment la France sont en guerre contre un état structuré et non contre un groupuscule terroriste…
Oui, c’est très important. Car le groupe Etat islamique s’appuie sur une bureaucratie super-efficace. Elle contrôle son territoire à tous les niveaux: il y a une administration, une armée, une justice, des services de renseignements très puissants et très agressifs. Elle tient le terrain en maintenant un climat de peur contrebalancé par un vrai confort.
Confort? Le groupe Etat islamique serait un état providence?
Ce n’est pas le XVIe arrondissement de Paris, mais les gens qui partent là-bas ont une maison, un toit, de l’argent pour se nourrir et se vêtir. Il n’y a pas de pénurie. On vit plutôt de façon confortable si on reste dans le rang. Toute la structure du groupe Etat islamique repose sur ce mélange de séduction pour faire venir les gens et la récompense pour leur soumission. Car on l’oublie trop souvent il y a aussi des non-combattants et des familles entières qui émigrent vers ce Califat.
L’Etat islamique, Samuel Laurent, 120 p. Seuil
Par Xavier Alonso | Mis à jour il y a 43 minutes
Samuel Laurent publie un livre sur le groupe Etat islamique. Le visage qu'il donne à cet ennemi de l’Occident est terrifiant. Interview.
La France est clairement dans le viseur du groupe Etat islamique. Mercredi, les Français apprenaient qu’en plus du Normand Maxime, un deuxième converti, le parisien Mickael, était parmi les bourreaux de la terrible vidéo de décapitation diffusée le week-end dernier. Mercredi encore, le groupe Etat islamique postait une autre vidéo, dans laquelle trois Français du groupe terroriste poussent leurs compatriotes à attaquer la France. Consultant international, auteur de deux livres remarqués (Sahelistan en 2013 et Al-Qaida en France en 2014), Samuel Laurent connaît de l’intérieur la nébuleuse du terrorisme islamiste.
Par ses contacts au sein d’Al-Qaida (le concurrent de l’Etat islamique), Samuel Laurent a pu rencontrer de nombreux protagonistes dans les zones de conflit et notamment d’anciens membres de l’Etat islamique désormais passés du côté d’Al-Qaïda. Il publie cette semaine L’Etat islamique, une enquête qui explique le fonctionnement de ce véritable état de la terreur.
Entre autres choses, vous dites que le nombre de Français enrôlés est sous-estimé?
J’aimerais beaucoup me tromper. Mais quand vous allez sur place c’est une évidence. Dans une ville comme Selma, qui n’est pourtant pas le bastion du groupe Etat islamique, j’en ai rencontré beaucoup. Je n’accorde aucun crédit à cette estimation. D’abord parce qu’elle est officielle. On parlait de 940 il y a quelques mois. Je pense qu’on doit plus proche des 2000 comme l’avance un chercheur de Lyon (ndlr: Fabrice Balanche, professeur à l’Université Lyon 2).
Et quelle est leur motivation hormis l’exaltation de l’héroïsme guerrier et la détestation de l’Occident?
La simplicité de l’argument du groupe Etat islamique fait sa force. Le vrai islam est celui du califat qui prône l’avènement de la vérité par la guerre sainte. Mettre en scène la barbarie des exécutions et les carnages leur permet d’attirer à eux des jeunes gens sans repères. Vous n’auriez jamais accroché un gamin de banlieue en lui expliquant le programme d’Al-Qaida. Parce qu’il est compliqué, long, théologique avec des références érudites. Al-Qaida ne parle pas aux Européens: c’est un mouvement arabe, plus profond. Il est aussi détestable, soyons clairs.
Ce groupe tire sa légitimité de ses victoires militaires?
Oui. Chaque bataille gagnée est considérée comme un acte divin. C’est la preuve d’un aval d’Allah pour le califat qui lui donne davantage de légitimité. Et cette légitimité accrue fait venir à lui plus d’allégeances des brigades étrangères – en Algérie, en Tunisie, en Libye, au Yémen – et de candidats au djihad grandis en Europe.
Vous révélez une information qui, selon vous, pourrait tarir le flux des volontaires occidentaux?
En effet, on ne sort pas du groupe Etat islamique. Dans le califat, tout est mis en place pour verrouiller le territoire et les habitants. L’Occidental qui veut quitter le califat signe son arrêt de mort. Ses services de renseignements – l’Amni – sont surpuissants et font régner la terreur. Celui qui fait mine de vouloir partir sera exécuté tout de suite. Pour ne pas tarir le flux des candidats, il sera ensuite répertorié comme «mort au combat».
Mais on évoque sans cesse le danger des djihadistes qui reviendraient?
C’est un autre type. Ceux qui reviennent librement sont des gens en mission. C’est équivalent de l’espion du KGB qui pouvait sortir d’URSS.
Dans le chapitre «L’Etat islamique et la France», vous fustigez le jeu trouble du Qatar…
Le Qatar, comme Bahreïn ou l’Arabie saoudite sont des régimes extrêmement toxiques pour nos démocraties. L’Europe n’arrive pas à faire la différence entre opportunité économique immédiate d’avoir de tels partenaires et le risque pour la sécurité nationale. Du moment qu’ils achètent un club de foot ou des avions, on devient moins regardants sur leurs activités. Mais de fait, ce sont des talibans avec beaucoup d’argent, des voitures et du luxe. Mais il n’y a pas de différence idéologique entre ces régimes salafistes qui prônent un islam radical et le groupe Etat islamique en Syrie et en Irak.
Comment en Europe lutter contre cet endoctrinement?
On est dans un piège insoluble. Il va falloir renoncer à un certain nombre de libertés, ou du moins accepter un peu plus de surveillance et de contrôle. Comme l’on fait les Etats-Unis avec le Patriot Act. Car il faudra circonvenir cette menace qui nous bouffe de l’intérieur. Nous ne sommes plus face à un conflit externe avec 40 excités Occidentaux qui partent en Afghanistan crier «Allah Akbar!» dans des grottes, nous sommes désormais face à un problème de société.
On commence à l’évoquer dans certains états-majors, mais selon vous, une intervention au sol de la coalition contre le groupe Etat islamique serait une erreur?
Cela fait très longtemps que des armées occidentales n’ont pas été face à une véritable armée. En Afghanistan, les Talibans sont de fantastiques guérilleros qui peuvent mener des actions coordonnées. En Libye, le tout aérien a suffi. L’armée de Kaddafhi s’est disloquée rapidement. La guerre contre Saddam Hussein, ce n’était pas grand-chose. Ses troupes ont déserté massivement. C’était des guerres, entre guillemets, faciles. Le groupe Etat islamique dispose d’une vraie armée. On parle de 50 000 hommes avec des armes lourdes. Si on allait les combattre au sol ce serait une boucherie inimaginable. Car ses troupes sont extrêmement motivées, prêtes à tout!
Vous insistez sur le fait que l’Occident et notamment la France sont en guerre contre un état structuré et non contre un groupuscule terroriste…
Oui, c’est très important. Car le groupe Etat islamique s’appuie sur une bureaucratie super-efficace. Elle contrôle son territoire à tous les niveaux: il y a une administration, une armée, une justice, des services de renseignements très puissants et très agressifs. Elle tient le terrain en maintenant un climat de peur contrebalancé par un vrai confort.
Confort? Le groupe Etat islamique serait un état providence?
Ce n’est pas le XVIe arrondissement de Paris, mais les gens qui partent là-bas ont une maison, un toit, de l’argent pour se nourrir et se vêtir. Il n’y a pas de pénurie. On vit plutôt de façon confortable si on reste dans le rang. Toute la structure du groupe Etat islamique repose sur ce mélange de séduction pour faire venir les gens et la récompense pour leur soumission. Car on l’oublie trop souvent il y a aussi des non-combattants et des familles entières qui émigrent vers ce Califat.
L’Etat islamique, Samuel Laurent, 120 p. Seuil
(Tribune de Genève)