La communauté juive de Pologne retrouve une jeunesse inattendue
21/4/08 - 20 H 45 - Mis à jour le 21/4/08 - 16 H 5
Comme beaucoup d'autres jeunes de son âge, Irena s'est rendue lundi 14 avril à la synagogue Nozyk de Varsovie, la seule encore debout sur la cinquantaine que comptait la ville avant guerre. La petite communauté juive de la capitale recevait ce soir-là la visite du président israélien Shimon Peres, venu fêter le 65e anniversaire du soulèvement du ghetto de Varsovie (lire La Croix du 16 avril).
Un événement important pour Irena. Ce n'est qu'à l'adolescence que sa mère lui a révélé son identité juive. Jusqu'alors, elle s'était bien gardée de l'afficher en raison « des dangers encourus », souligne la jeune fille d'une vingtaine d'années, qui a vite découvert que dans son lycée - un établissement de bon niveau de Varsovie -, d'autres étaient dans son cas, « quatre ou cinq dans chaque classe ».
Ensemble, ils ont constitué un petit groupe, se sont rapprochés des organisations de jeunesse juives, ont participé à des camps d'été. « C'est une histoire assez classique ici. Et je pratique vraiment à la synagogue depuis deux ans seulement », raconte Irena.
C'est cette petite communauté, composée pour beaucoup de membres « récents », que le président israélien est venu encourager la semaine dernière. Rappelant « la dette d'Israël » à l'égard de la Pologne, ce pays qui lui a « donné un grand nombre de leaders sionistes, mais aussi le mouvement des pionniers, le hassidisme », Shimon Peres n'a pas caché son émotion de se trouver dans ce lieu « dont les nazis avaient voulu éteindre la voix ».
Pour la délégation française, emmenée par le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), le moment n'était pas moins intense. « Je ne pensais jamais prier un jour dans une synagogue à Varsovie, reconnaissait l'un de ses membres, d'origine polonaise. J'ai grandi avec l'idée que la Pologne était rayée de la carte du monde juif. »
Sur les 3,2 millions de juifs polonais d'avant la guerre, seuls 250 000 environ ont survécu en 1945. Une série de pogroms dont furent victimes les survivants (comme à Kielce le 4 juillet 1946) et les persécutions antisémites de la période communiste ont achevé de réduire la communauté. Mais aujourd'hui, le directeur de l'Union des communautés juives de Pologne, Andrzej Zozula, n'hésite pas à parler de « renaissance » : « Une renaissance toute relative, car nous ne retrouverons jamais le chiffre de 3 millions de membres, ni même 300 000, reconnaît-il. Mais depuis que nous pouvons avoir une existence légale, nous voyons arriver de nombreux jeunes qui ont appris qu'ils avaient une ascendance juive. »
La jeunesse de la communauté implique, pour ses responsables, un travail important de formation et lui confère un caractère original. Les communautés du pays sont donc engagées dans diverses activités culturelles (cours d'hébreu et de yiddish, histoire du judaïsme, apprentissage de la Torah), et fournissent également une aide sociale s'ajoutant à celle de l'État.
La chute du communisme en 1989 a constitué un tournant. Depuis cette date, le judaïsme retrouve peu à peu une visibilité qu'il avait perdue depuis longtemps. Désormais, les trois courants principaux du judaïsme (orthodoxe, loubavitch et libéral) sont présents en Pologne. L'aide de la communauté américaine y est pour beaucoup. En l'absence de séminaire, la plupart des rabbins viennent de l'étranger.
« Compte tenu de leurs exigences salariales, des fondations étrangères nous aident à les rémunérer », note Andrzej Zozula. Le dernier projet en date de l'Union des communautés juives de Pologne - une tour de soixante étages destinée aux activités communautaires, et située juste à côté de l'actuelle synagogue - témoigne de ses ambitions.
Désormais intégrée dans le paysage, la petite communauté de Varsovie déplore un seul acte antisémite, commis il y a dix ans : la porte d'entrée avait été brûlée. « Bien sûr, un certain antisémitisme existe. Mais où n'y en a-t-il pas ? », rétorque le directeur de l'UCJP, qui situe davantage la menace du côté des « groupes immigrés musulmans » que du côté polonais.
D'ailleurs, les relations des communautés juives avec l'État ont, elles aussi, fait des progrès importants : comme les dix principaux cultes du pays, le judaïsme bénéficie d'une loi spécifique. Par ailleurs, une procédure de règlement des avoirs, certes longue, complexe et restrictive, leur a permis de récupérer une petite partie des synagogues et bâtiments communautaires (et plus souvent d'être indemnisées).
Quant au problème - plus épineux encore - des biens privés « nationalisés par le régime communiste après la Seconde guerre mondiale », le premier ministre Donald Tusk a récemment promis qu'une loi de « compensation interviendrait d'ici à l'automne ». Enfin, le gouvernement polonais s'est engagé à financer en bonne part la construction d'un Musée de l'histoire des juifs polonais, à Varsovie, en plein coeur de l'ancien ghetto.
Reste une question, que posent immanquablement tous ses visiteurs à Andrzej Zozula et à laquelle il est bien en peine de répondre : combien de juifs vivent actuellement en Pologne ? À Varsovie, seules 500 personnes ont fait la démarche, volontaire et payante (25 zlotys par an, une somme symbolique), de « s'enregistrer » auprès de la communauté. « Mais cela ne nous dit pas combien il y a de juifs », sourit-il.
En attendant le recensement en projet, il doit se contenter de projections. Comme celle, étonnante, d'un petit groupe d'une vingtaine de prêtres catholiques qui ont découvert leur origine juive après leur ordination : extrapolant le nombre de leurs paroissiens qui leur ont confié leur judéité, ils estiment à 50 000 le nombre des juifs en Pologne. En majorité des femmes, dont les enfants, par conséquent, pourront être juifs.
Anne-Bénédicte HOFFNER, à Varsovie
Le Musée de l’histoire des Juifs de Pologne inauguré à Varsovi
La Pologne voit renaître de façon singulière une communauté juive, souvent issue d'identités jusque-là cachées
21/4/08 - 20 H 45 - Mis à jour le 21/4/08 - 16 H 5
[size=14]Le Musée de l’histoire des Juifs de Pologne inauguré à Varsovie[/size]
[size=14]Les origines du mot "Ghetto"[/size]
Comme beaucoup d'autres jeunes de son âge, Irena s'est rendue lundi 14 avril à la synagogue Nozyk de Varsovie, la seule encore debout sur la cinquantaine que comptait la ville avant guerre. La petite communauté juive de la capitale recevait ce soir-là la visite du président israélien Shimon Peres, venu fêter le 65e anniversaire du soulèvement du ghetto de Varsovie (lire La Croix du 16 avril).
Un événement important pour Irena. Ce n'est qu'à l'adolescence que sa mère lui a révélé son identité juive. Jusqu'alors, elle s'était bien gardée de l'afficher en raison « des dangers encourus », souligne la jeune fille d'une vingtaine d'années, qui a vite découvert que dans son lycée - un établissement de bon niveau de Varsovie -, d'autres étaient dans son cas, « quatre ou cinq dans chaque classe ».
Ensemble, ils ont constitué un petit groupe, se sont rapprochés des organisations de jeunesse juives, ont participé à des camps d'été. « C'est une histoire assez classique ici. Et je pratique vraiment à la synagogue depuis deux ans seulement », raconte Irena.
C'est cette petite communauté, composée pour beaucoup de membres « récents », que le président israélien est venu encourager la semaine dernière. Rappelant « la dette d'Israël » à l'égard de la Pologne, ce pays qui lui a « donné un grand nombre de leaders sionistes, mais aussi le mouvement des pionniers, le hassidisme », Shimon Peres n'a pas caché son émotion de se trouver dans ce lieu « dont les nazis avaient voulu éteindre la voix ».
"J'AI GRANDI AVEC L'IDÉE QUE LA POLOGNE ÉTAIT RAYÉE DE LA CARTE DU MONDE JUIF"
Pour la délégation française, emmenée par le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), le moment n'était pas moins intense. « Je ne pensais jamais prier un jour dans une synagogue à Varsovie, reconnaissait l'un de ses membres, d'origine polonaise. J'ai grandi avec l'idée que la Pologne était rayée de la carte du monde juif. »
Sur les 3,2 millions de juifs polonais d'avant la guerre, seuls 250 000 environ ont survécu en 1945. Une série de pogroms dont furent victimes les survivants (comme à Kielce le 4 juillet 1946) et les persécutions antisémites de la période communiste ont achevé de réduire la communauté. Mais aujourd'hui, le directeur de l'Union des communautés juives de Pologne, Andrzej Zozula, n'hésite pas à parler de « renaissance » : « Une renaissance toute relative, car nous ne retrouverons jamais le chiffre de 3 millions de membres, ni même 300 000, reconnaît-il. Mais depuis que nous pouvons avoir une existence légale, nous voyons arriver de nombreux jeunes qui ont appris qu'ils avaient une ascendance juive. »
La jeunesse de la communauté implique, pour ses responsables, un travail important de formation et lui confère un caractère original. Les communautés du pays sont donc engagées dans diverses activités culturelles (cours d'hébreu et de yiddish, histoire du judaïsme, apprentissage de la Torah), et fournissent également une aide sociale s'ajoutant à celle de l'État.
UN TOURNANT POUR LE JUDAÏSME EN 1989
La chute du communisme en 1989 a constitué un tournant. Depuis cette date, le judaïsme retrouve peu à peu une visibilité qu'il avait perdue depuis longtemps. Désormais, les trois courants principaux du judaïsme (orthodoxe, loubavitch et libéral) sont présents en Pologne. L'aide de la communauté américaine y est pour beaucoup. En l'absence de séminaire, la plupart des rabbins viennent de l'étranger.
« Compte tenu de leurs exigences salariales, des fondations étrangères nous aident à les rémunérer », note Andrzej Zozula. Le dernier projet en date de l'Union des communautés juives de Pologne - une tour de soixante étages destinée aux activités communautaires, et située juste à côté de l'actuelle synagogue - témoigne de ses ambitions.
Désormais intégrée dans le paysage, la petite communauté de Varsovie déplore un seul acte antisémite, commis il y a dix ans : la porte d'entrée avait été brûlée. « Bien sûr, un certain antisémitisme existe. Mais où n'y en a-t-il pas ? », rétorque le directeur de l'UCJP, qui situe davantage la menace du côté des « groupes immigrés musulmans » que du côté polonais.
D'ailleurs, les relations des communautés juives avec l'État ont, elles aussi, fait des progrès importants : comme les dix principaux cultes du pays, le judaïsme bénéficie d'une loi spécifique. Par ailleurs, une procédure de règlement des avoirs, certes longue, complexe et restrictive, leur a permis de récupérer une petite partie des synagogues et bâtiments communautaires (et plus souvent d'être indemnisées).
UNE LOI DE COMPENSATION "D'ICI À L'AUTOMNE"
Quant au problème - plus épineux encore - des biens privés « nationalisés par le régime communiste après la Seconde guerre mondiale », le premier ministre Donald Tusk a récemment promis qu'une loi de « compensation interviendrait d'ici à l'automne ». Enfin, le gouvernement polonais s'est engagé à financer en bonne part la construction d'un Musée de l'histoire des juifs polonais, à Varsovie, en plein coeur de l'ancien ghetto.
Reste une question, que posent immanquablement tous ses visiteurs à Andrzej Zozula et à laquelle il est bien en peine de répondre : combien de juifs vivent actuellement en Pologne ? À Varsovie, seules 500 personnes ont fait la démarche, volontaire et payante (25 zlotys par an, une somme symbolique), de « s'enregistrer » auprès de la communauté. « Mais cela ne nous dit pas combien il y a de juifs », sourit-il.
En attendant le recensement en projet, il doit se contenter de projections. Comme celle, étonnante, d'un petit groupe d'une vingtaine de prêtres catholiques qui ont découvert leur origine juive après leur ordination : extrapolant le nombre de leurs paroissiens qui leur ont confié leur judéité, ils estiment à 50 000 le nombre des juifs en Pologne. En majorité des femmes, dont les enfants, par conséquent, pourront être juifs.
Anne-Bénédicte HOFFNER, à Varsovie
Le Musée de l’histoire des Juifs de Pologne inauguré à Varsovi