Les nouveaux apôtres de l'Esprit Saint
MARIE-LUCILE KUBACKI
CRÉÉ LE 06/06/2014 / MODIFIÉ LE 06/06/2014 À 16H21
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© Jean-Matthieu Gautier pour La Vie
Né dans les années 60 et frappé par un certain nombre de scandales, le mouvement charismatique voit arriver aujourd'hui une nouvelle génération pétrie d'envies et d'attentes différentes. Un renouveau dans le Renouveau vivifié par la personnalité de François que beaucoup perçoivent justement comme un pape charismatique.[/size]
« En 2004, j'ai vécu une expérience spirituelle forte. A l'époque j'avais besoin de repères et de structures et j'ai rencontré des cathos assez « tradis ». En continuant à chercher et en me tournant vers des groupes plus charismatiques, je suis tombé sur des choses un peu borderline. Je me souviens d'une soirée de concert de louange qui s'est terminée en chants en langues dans une ambiance très étrange qui n'avait rien à voir avec le concert pour lequel j'étais venu... »
À l'origine, donc, Amaru, qui à l'époque travaillait dans une grande chaîne de télévision, n'était pas vraiment très convaincu par les « chachas » - surnom donné aux charismatiques, qui mettent l'accent sur l'action de l'Esprit saint et ses dons, les charismes. Jusqu'à ce qu'il s'inscrive au festival d'évangélisation Anuncio. « J'y suis allé à reculons, en me disant : quel intérêt d'aller annoncer des choses à des gens qui n'ont rien demandé ? » On lui confie une mission à Cannes, pendant le Festival. Comme il travaille dans l'audiovisuel, il se dit que l'expérience peut être amusante mais il y va quand même à reculons. « La première soirée a été catastrophique. Puis j'ai été marqué par le fait que ce qui était premier dans la mission était que chacun se sente bien dans le groupe et puisse dire ses difficultés... Ça m'a touché. Ce groupe a remis les choses en place dans ma vie spirituelle. Je me suis aperçu qu'il y avait des moyens d'incarner les charismes de manière très concrète et pas du tout perchée... »
Quoi de neuf dans le renouveau ?
Le témoignage d'Amaru est significatif d'un léger renouveau dans le Renouveau. « Longtemps, on a cru que les dons de l'Esprit étaient de l'ordre du merveilleux, analyse Benjamin Pouzin, fondateur du groupe Glorious, qui anime les messes et des soirées de louange à la paroisse Sainte Blandine à Lyon. Par exemple, la recherche de signes tels que le repos dans l'Esprit dans certaines veillées de prière et, du coup, on a fait des charismatiques une catégorie, celle des « dévisseurs d'ampoules »(nom donné aux charismatiques en raison de leur manière de prier les mains levées, ndlr.). Or nous sommes tous appelés à vivre des dons de l'Esprit : le Renouveau est appelé à sortir du Renouveau. C'est le grand défi aujourd'hui. Il ne peut plus y avoir le Renouveau d'un côté et les structures classiques de l'Eglise de l'autre. Ceux qui ne font pas tomber les barrières se condamnent tout seuls ».
A Sainte Blandine, d'ailleurs, on s'applique à dé-segmenter. Ainsi, des membres de la Conférence Saint Vincent de Paul à Lyon, qui collectent des produits de première nécessité tous les deuxièmes dimanches de chaque mois à l’église Confluence prient aux côtés des « chachas » :« La louange n'est plus l'option des charismatiques comme le social n'est plus l'option des progressistes. Vivre dans l'Esprit c'est refuser la segmentation. C'est pourquoi, aussi, le Renouveau est profondément oecuménique », poursuit Benjamin Pouzin.
Pour autant, l'articulation entre « charismatiques » et « structures classiques de l'Eglise » varie selon les paroisses et les diocèses. Les scandales qui ont frappé un certain nombre de communautés nouvelles comme les Béatitudes, les Frères de Saint Jean ou Points Coeur nourrissent la méfiance et monter un groupe de prière charismatique n'est pas toujours chose aisée.« Le Renouveau est de plus en plus intégré dans l'institution comme une richesse ecclésiale,analyse François Régis Wilhelem, ancien responsable du renouveau charismatique en France et prêtre conseiller théologique et spirituel de la Fraternité Pentecôte qui rassemble 1200 groupes de prière du Renouveau. Mais il y a encore beaucoup à faire. » Benjamin Pouzin l'admet bien volontiers : « Depuis Pierre et Paul, il existe une tension entre les charismes et l'institution. Cette dernière, avec ses pesanteurs administratives, ne doit pas étouffer le charisme mais elle est essentielle pour prévenir les dérives ».
François, pape des « chachas »
Ainsi, pour toutes les générations du Renouveau, que François ait assisté à la convention mondiale des charismatiques du début du mois est perçu comme un signe fort, parfois aussi important que le soutien de Jean-Paul II au mouvement. Beaucoup perçoivent François comme un pape charismatique, sur le plan humain et spirituel. « Comme vous le savez peut-être, a dit le pape pendant son discours, les premières années du Renouveau charismatique à Buenos Aires, je n’aimais pas beaucoup ces charismatiques. Et je disais d’eux : ‘‘Ils ont l’air d’une école de samba !’’. Je ne partageais pas leur façon de prier et les nombreuses nouvelles choses qui se passaient dans l’Église. Après, j’ai commencé à les connaître et en fin de compte j’ai compris le bien que le Renouveau charismatique fait à l’Église. » Avant de les mettre en garde les responsables de communauté contre le risque de devenir « des administrateurs de la grâce, décidant qui peut recevoir la prière d’effusion ou le baptême dans l’Esprit et qui, au contraire, ne le peut pas ».
Pour ces « nouveaux apôtres de l'Esprit Saint », l'appel du pape François à aller vers les périphéries est au diapason du Renouveau : « La génération de nos parents cherchait une communauté, analyse Amaru, ils voulaient partager des choses ensemble, dans une vie communautaire. Notre génération est plus missionnaire car elle s'enracine dans une société où être chrétien ne va plus de soi. Nous voulons partager nos charismes, nos talents, quels qu'ils soient afin de témoigner pour les gens qui sont loin de l'Eglise ou qui s'en sont éloignés. »
Même si la mission était présente dans la première vague du Renouveau et que la dimension communautaire reste une préoccupation pour les jeunes générations, il semblerait que le curseur se soit légèrement déplacé, mettant les pleins phares sur la mission. « La substantifique moelle du Renouveau, c'est une rencontre vivante avec le Dieu vivant d'où jaillissent les fruits de l'Eglise : l'exercice de la Parole, de l'évangélisation, l'amour des sacrements et l'exercice des charismes pour témoigner ! explique François-Régis Wilhélem. Dans le Renouveau l'aspect de l'évangélisation, du témoignage, du kérygme (profession de foi des premiers chrétiens reposant sur 3 piliers : Jésus est le fils de Dieu, il est ressuscité et il appelle à la conversion, ndlr.) sont importants. Si le groupe se transforme en petit groupe de piété et que la dimension de témoignage vers les périphéries et d'accueil se dilue, le groupe se dilue lui aussi... Les charismes ne sont pas des choses dont on jouit comme on jouit d'un pot de confiture ».
Résonance aussi à l'appel de François d'une Eglise pauvre pour les pauvres : « Dans les groupes de prières du Renouveau, il y a beaucoup de pauvres, de gens simples, qui ont plein de problèmes. Ils viennent parce qu'ils ne se sentent pas jugés, explique Benjamin Pouzin. Ils ne croient plus aux belles promesses, ils ne croient plus qu'ils pourront changer le monde mais ils croient profondément que c'est en commençant par se transformer eux-mêmes que peut être le monde changera. Les gens qui arrivent dans les veillées de prière demandent deux choses : être accueillis et qu'on leur parle de Dieu sans récupération idéologique, politique ou sociétale. »
C'est tout le paradoxe de ces nouveaux supporters de l'Esprit saint : ils ne croient plus aux grands discours ni aux institutions mais comme la génération qui les a précédés, ils aimeraient renouveler l'Eglise. À commencer par eux-mêmes.
MARIE-LUCILE KUBACKI
CRÉÉ LE 06/06/2014 / MODIFIÉ LE 06/06/2014 À 16H21
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© Jean-Matthieu Gautier pour La Vie
Né dans les années 60 et frappé par un certain nombre de scandales, le mouvement charismatique voit arriver aujourd'hui une nouvelle génération pétrie d'envies et d'attentes différentes. Un renouveau dans le Renouveau vivifié par la personnalité de François que beaucoup perçoivent justement comme un pape charismatique.[/size]
« En 2004, j'ai vécu une expérience spirituelle forte. A l'époque j'avais besoin de repères et de structures et j'ai rencontré des cathos assez « tradis ». En continuant à chercher et en me tournant vers des groupes plus charismatiques, je suis tombé sur des choses un peu borderline. Je me souviens d'une soirée de concert de louange qui s'est terminée en chants en langues dans une ambiance très étrange qui n'avait rien à voir avec le concert pour lequel j'étais venu... »
À l'origine, donc, Amaru, qui à l'époque travaillait dans une grande chaîne de télévision, n'était pas vraiment très convaincu par les « chachas » - surnom donné aux charismatiques, qui mettent l'accent sur l'action de l'Esprit saint et ses dons, les charismes. Jusqu'à ce qu'il s'inscrive au festival d'évangélisation Anuncio. « J'y suis allé à reculons, en me disant : quel intérêt d'aller annoncer des choses à des gens qui n'ont rien demandé ? » On lui confie une mission à Cannes, pendant le Festival. Comme il travaille dans l'audiovisuel, il se dit que l'expérience peut être amusante mais il y va quand même à reculons. « La première soirée a été catastrophique. Puis j'ai été marqué par le fait que ce qui était premier dans la mission était que chacun se sente bien dans le groupe et puisse dire ses difficultés... Ça m'a touché. Ce groupe a remis les choses en place dans ma vie spirituelle. Je me suis aperçu qu'il y avait des moyens d'incarner les charismes de manière très concrète et pas du tout perchée... »
Quoi de neuf dans le renouveau ?
Le témoignage d'Amaru est significatif d'un léger renouveau dans le Renouveau. « Longtemps, on a cru que les dons de l'Esprit étaient de l'ordre du merveilleux, analyse Benjamin Pouzin, fondateur du groupe Glorious, qui anime les messes et des soirées de louange à la paroisse Sainte Blandine à Lyon. Par exemple, la recherche de signes tels que le repos dans l'Esprit dans certaines veillées de prière et, du coup, on a fait des charismatiques une catégorie, celle des « dévisseurs d'ampoules »(nom donné aux charismatiques en raison de leur manière de prier les mains levées, ndlr.). Or nous sommes tous appelés à vivre des dons de l'Esprit : le Renouveau est appelé à sortir du Renouveau. C'est le grand défi aujourd'hui. Il ne peut plus y avoir le Renouveau d'un côté et les structures classiques de l'Eglise de l'autre. Ceux qui ne font pas tomber les barrières se condamnent tout seuls ».
A Sainte Blandine, d'ailleurs, on s'applique à dé-segmenter. Ainsi, des membres de la Conférence Saint Vincent de Paul à Lyon, qui collectent des produits de première nécessité tous les deuxièmes dimanches de chaque mois à l’église Confluence prient aux côtés des « chachas » :« La louange n'est plus l'option des charismatiques comme le social n'est plus l'option des progressistes. Vivre dans l'Esprit c'est refuser la segmentation. C'est pourquoi, aussi, le Renouveau est profondément oecuménique », poursuit Benjamin Pouzin.
Pour autant, l'articulation entre « charismatiques » et « structures classiques de l'Eglise » varie selon les paroisses et les diocèses. Les scandales qui ont frappé un certain nombre de communautés nouvelles comme les Béatitudes, les Frères de Saint Jean ou Points Coeur nourrissent la méfiance et monter un groupe de prière charismatique n'est pas toujours chose aisée.« Le Renouveau est de plus en plus intégré dans l'institution comme une richesse ecclésiale,analyse François Régis Wilhelem, ancien responsable du renouveau charismatique en France et prêtre conseiller théologique et spirituel de la Fraternité Pentecôte qui rassemble 1200 groupes de prière du Renouveau. Mais il y a encore beaucoup à faire. » Benjamin Pouzin l'admet bien volontiers : « Depuis Pierre et Paul, il existe une tension entre les charismes et l'institution. Cette dernière, avec ses pesanteurs administratives, ne doit pas étouffer le charisme mais elle est essentielle pour prévenir les dérives ».
François, pape des « chachas »
Ainsi, pour toutes les générations du Renouveau, que François ait assisté à la convention mondiale des charismatiques du début du mois est perçu comme un signe fort, parfois aussi important que le soutien de Jean-Paul II au mouvement. Beaucoup perçoivent François comme un pape charismatique, sur le plan humain et spirituel. « Comme vous le savez peut-être, a dit le pape pendant son discours, les premières années du Renouveau charismatique à Buenos Aires, je n’aimais pas beaucoup ces charismatiques. Et je disais d’eux : ‘‘Ils ont l’air d’une école de samba !’’. Je ne partageais pas leur façon de prier et les nombreuses nouvelles choses qui se passaient dans l’Église. Après, j’ai commencé à les connaître et en fin de compte j’ai compris le bien que le Renouveau charismatique fait à l’Église. » Avant de les mettre en garde les responsables de communauté contre le risque de devenir « des administrateurs de la grâce, décidant qui peut recevoir la prière d’effusion ou le baptême dans l’Esprit et qui, au contraire, ne le peut pas ».
Pour ces « nouveaux apôtres de l'Esprit Saint », l'appel du pape François à aller vers les périphéries est au diapason du Renouveau : « La génération de nos parents cherchait une communauté, analyse Amaru, ils voulaient partager des choses ensemble, dans une vie communautaire. Notre génération est plus missionnaire car elle s'enracine dans une société où être chrétien ne va plus de soi. Nous voulons partager nos charismes, nos talents, quels qu'ils soient afin de témoigner pour les gens qui sont loin de l'Eglise ou qui s'en sont éloignés. »
Même si la mission était présente dans la première vague du Renouveau et que la dimension communautaire reste une préoccupation pour les jeunes générations, il semblerait que le curseur se soit légèrement déplacé, mettant les pleins phares sur la mission. « La substantifique moelle du Renouveau, c'est une rencontre vivante avec le Dieu vivant d'où jaillissent les fruits de l'Eglise : l'exercice de la Parole, de l'évangélisation, l'amour des sacrements et l'exercice des charismes pour témoigner ! explique François-Régis Wilhélem. Dans le Renouveau l'aspect de l'évangélisation, du témoignage, du kérygme (profession de foi des premiers chrétiens reposant sur 3 piliers : Jésus est le fils de Dieu, il est ressuscité et il appelle à la conversion, ndlr.) sont importants. Si le groupe se transforme en petit groupe de piété et que la dimension de témoignage vers les périphéries et d'accueil se dilue, le groupe se dilue lui aussi... Les charismes ne sont pas des choses dont on jouit comme on jouit d'un pot de confiture ».
Résonance aussi à l'appel de François d'une Eglise pauvre pour les pauvres : « Dans les groupes de prières du Renouveau, il y a beaucoup de pauvres, de gens simples, qui ont plein de problèmes. Ils viennent parce qu'ils ne se sentent pas jugés, explique Benjamin Pouzin. Ils ne croient plus aux belles promesses, ils ne croient plus qu'ils pourront changer le monde mais ils croient profondément que c'est en commençant par se transformer eux-mêmes que peut être le monde changera. Les gens qui arrivent dans les veillées de prière demandent deux choses : être accueillis et qu'on leur parle de Dieu sans récupération idéologique, politique ou sociétale. »
C'est tout le paradoxe de ces nouveaux supporters de l'Esprit saint : ils ne croient plus aux grands discours ni aux institutions mais comme la génération qui les a précédés, ils aimeraient renouveler l'Eglise. À commencer par eux-mêmes.