Des psychologues interviennent auprès des équipes médicales en Afrique de l'Ouest, mais aussi lors de leur retour en Europe. Un soutien indispensable en raison du stress accumulé par les soignants confrontés à la maladie.
Des humanitaires MSF en tenue de protection, dans un centre de traitement d'Ebola, à Monrovia (Liberia), le 30 août 2014. (DOMINIQUE FAGET / AFP)[size=16][size=13]
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"J'évite les gens dans le métro, je me lave tout le temps les mains et je prends ma température deux fois par jour." Nous sommes le 18 novembre et le docteur Michel Janssens vient tout juste de rentrer en France, après un séjour au Liberia. Pendant deux mois, il a pris en charge les malades d'Ebola pour Médecins sans frontières (MSF). Il entame sa période de surveillance (21 jours, la durée maximale d'incubation de la maladie), pendant laquelle il va devoir s'assurer qu'il n'a pas contracté le virus. Comme tous les humanitaires de MSF qui rentrent d'Afrique de l'Ouest, il a été reçu par le psychologue de l'organisation. Une étape quasi-obligatoire dans le cadre de cette épidémie.
Qu'il s'agisse de MSF, de l'Unicef ou de l'Etablissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Eprus), qui dépend du ministère de la Santé, les organisations françaises qui interviennent sur le terrain contre Ebola ont systématisé le recours à des psychologues. Ces derniers interviennent au retour des humanitaires, mais aussi sur place, pour soutenir les équipes.
"Un tueur invisible dans la pièce
"Chaque terrain humanitaire a ses spécificités. Celui d'Ebola cumule les facteurs de stress pour les professionnels", souligne Nathalie Severy, référente santé mentale pour MSF à Bruxelles (Belgique). A commencer par la peur d'être contaminé. "Les interventions pour les épidémies virales sont épuisantes car le professionnel est dans une vigilance permanente, pour lui et pour les autres. Contrairement à d'autres terrains, comme les conflits, l'ennemi, ici, est invisible", constate Capucine de Fouchier, docteur en psychologie clinique, spécialiste du traumatisme dans un contexte humanitaire.
Dans son reportage intitulé "Témoin de l'enfer" et publié sur le site Mashable (article en anglais), le photographe américain Kieran Kesner décrit ainsi sa rencontre avec la maladie, au Liberia : "J'ai vu une femme morte sur le sol, au milieu de son propre vomi, et le virus Ebola est devenu réel. Soudain, il y avait un tueur invisible dans la pièce même où je me trouvais."
"Un sentiment d'impuissance"
"Lors de mes précédentes missions, en Erythrée ou en Haïti, il m'est arrivé d'avoir peur pour ma vie, raconte le docteur Antoine Perrin, parti en Guinée pour le compte de l'Eprus. Cette fois-ci, je n'ai pas eu peur, mais je sentais que je pouvais payer de ma vie le moindre geste anodin." Les missions Ebola ne doivent pas durer plus de huit semaines, pour éviter l'épuisement professionnel, et l'erreur qui pourrait être fatale.
La maladie est pourtant moins contagieuse qu'il n'y paraît. A l'inverse de la grippe, le virus ne se transmet pas par l'air, mais par le contact de fluides. Néanmoins, Ebola reste méconnu, mal traité et son taux de mortalité est très élevé. Plus d'un malade sur deux n'en réchappe pas. Et les symptômes, parfois hémorragiques, sont violents. "Il y a une ambiance de mort constante. On a le sentiment de s'y habituer, mais en fait, non", constate Antoine Perrin. "Le traitement reste relativement limité et la prise en charge se résume souvent à des soins palliatifs, ce qui provoque un sentiment d'impuissance chez les intervenants", abonde la psychologue Nathalie Severy.
Pour lutter contre ce sentiment, une consœur britannique, Theresa Jones, fait du "renforcement positif" auprès des équipes de MSF à Monrovia, en valorisant leur action auprès des malades. "Les médecins doivent se rendre compte que même un geste qui peut paraître insignifiant, comme donner une gorgée d'eau, dire un mot rassurant ou prendre le temps de poser des questions, a de la valeur", explique-t-elle au magazine Vice (article en anglais). "Malgré tout, ces missions ont du sens et c'est assez protecteur au niveau psychologique", insiste le psychologue Nicolas Veilleux, de Médecins sans frontières.
L'hostilité des populations.
Quand des malades ne peuvent être sauvés, et qu'ils meurent parfois par dizaines en une journée, les psychologues peuvent être chargés de prévenir les proches et de soutenir les équipes médicales. Antoine Perrin a apprécié la présence, en Guinée, d'une psychologue canadienne, Reine Lebel. Envoyée par MSF, "elle a inventé un rituel funéraire pour les enfants, disposant un petit bouquet de fleurs à côté de leur visage avant de les prendre en photo, pour les familles. Cela adoucit le pire", glisse le médecin.
L'épidémie bouscule les codes culturels et sociaux de ces pays d'Afrique de l'Ouest, dont les habitants ne peuvent plus enterrer leurs morts selon leurs rites, les cadavres étant hautement contagieux. De quoi provoquer une certaine hostilité des populations à l'égard des humanitaires expatriés ou locaux qui travaillent dans les centres de traitement. De manière générale, le contact avec les communautés est plus compliqué, avec Ebola, que sur les autres terrains d'intervention. "On fait de l'humanitaire, mais c'est inhumain", résume Michel Janssens. En cause, la mise à distance avec les patients et leur famille, imposée par le risque de contagion.
La politique du "no touch"
La combinaison de cosmonaute que doivent enfiler les soignants avant chaque visite aux malades est contraignante, inconfortable et frustrante, surtout avec les enfants.
"Il fait très chaud donc on ne peut y aller que trois fois par jour et les gestes médicaux anodins deviennent compliqués. On peut toucher et masser les patients, mais avec notre masque, on ne peut pas leur faire de clin d'œil", plaisante à moitié Michel Janssens. La politique du
"no touch" (pas de contact), qui confine à l'obsession dans ces pays où les accolades étaient auparavant naturelles, a particulièrement marqué le médecin.
"Avec Ebola, nos mains sont nos pires ennemis", signale le médecin Cambel Dieng, spécialisé dans le soutien psychosocial des équipes de l'Unicef en Afrique de l'Ouest.
Cette absence de contacts peut perdurer lorsque les humanitaires retrouvent leur famille, en France.
"Celui qui est d'ordinaire un héros devient un pestiféré", analyse le psychologue Nicolas Veilleux. Pendant les 21 jours de surveillance de la période d'incubation,
"certains séjournent à l'hôtel, non loin d'un centre de traitement d'Ebola, pour ne pas risquer de contaminer leurs proches", ajoute-t-il. D'autres sont
persona non grata auprès de leurs enfants, neveux et nièces tant qu'ils n'ont pas passé la période critique.
Malgré toutes ces difficultés, certains, comme Michel Janssens, envisagent déjà de repartir. Car
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