Philippe GONI, Les témoins de Jéhovah - Pratique cultuelle et loi du 9 décembre 1905
samedi 30 septembre 2006
Par Bernard Blandre À paraître bientôt dans : "Mouvements religieux"
Philippe GONI, Les témoins de Jéhovah - Pratique cultuelle et loi du 9 décembre 1905 Paris, l’Harmattan, 2004. 289 p., 26 €
Philippe Goni, avocat au barreau de Paris, a été amené à défendre les Témoins de Jéhovah dans des affaires judiciaires. Son livre, extrêmement documenté et qui fait référence à quantité de jugements, présente le résultat provisoire des actions en justice engagées par ses clients qu’il soit ou non personnellement intervenu.
Les Témoins de Jéhovah sont présentés d’une façon globalement favorable, alors qu’ils sont dans le collimateur des associations de défense contre les sectes et inscrits dans la fameuse liste des sectes nuisibles publiée dans le rapport parlementaire de 1995. Les actions menées contre les Témoins de Jéhovah s’inscrivent dans un contexte global d’hostilité aux sectes dans la société, relayée par les pouvoirs publics qu’une loi centenaire oblige à la laïcité. L’Etat doit respecter la liberté religieuse, s’abstenir de toute appréciation fondée sur les croyances et de s’ingérer dans la vie d’un culte. Il ne peut intervenir que dans des cas précis.
La présentation des Témoins de Jéhovah
La présentation des Témoins de Jéhovah en donne une bonne image : Présents depuis un siècle en France, ils sont proches du français moyen, respectent la loi, ne refusent pas les vaccinations contrairement aux rumeurs, ne troublent pas l’ordre public en refusant les transfusions sanguines ni en refusant de voter (dans les pays où le vote est obligatoire, ils décident individuellement du comportement à adopter). Leurs croyances sont chrétiennes. On adhère librement et on quitte librement leur organisation. Ils sont actifs dans le tissu social, dans les milieux associatif et caritatif (restaurants du cœur, Aidafrique). Le vocabulaire utilisé par les Témoins de Jéhovah, relayés par P. Goni, est choisi pour qu’on les considère comme une Eglise : « excommunication » (ce qui se fait dans les Eglises, pas seulement chez les T.J.) , « églises locales » (on avait plutôt l’habitude d’entendre parler de congrégations), « association congréganiste » (à propos de la communauté chrétienne des Béthélites qui regroupe les permanents de Louviers ; elle est ailleurs qualifiée d’ « ordre religieux des Témoins de Jéhovah », de « congrégation religieuse » dont la « règle » est définie par une « charte ecclésiale » et les membres sont dans un « engagement sacerdotal » « sous l’autorité statutaire d’un Supérieur »), le « consistoire » responsable de la « liturgie » ...... Ainsi pour faire valoir leurs droits les Témoins de Jéhovah français se donnent le plus possible l’aspect d’une Eglise comme les autres, alors que leur interprétation de la Bible depuis des décennies les amenait au contraire à s’en différencier au maximum.
L’examen de la législation et des jugements émis par les tribunaux (pas seulement lorsque les Témoins de Jéhovah sont impliqués) amène P. Goni a dresser un constat provisoire du statut qu’ils ont su acquérir dans la société française.
Le statut légal des Témoins de Jéhovah en France Il n’est légalement pas possible à un préfet de refuser l’inscription d’une association de témoins de Jéhovah en leur refusant le récépissé de déclaration ; il ne peut pas conditionner l’octroi d’un tel document à une modification des statuts associatifs. Tout au plus peut-il engager une procédure judiciaire en vue de la dissolution d’un groupe dont l’objet serait illégal.
Les Témoins de Jéhovah se sont battus pour acquérir le statut défini par le droit commun des cultes. Ils ont fait admettre par les cours compétentes que l’objet de leurs associations locales est bien exclusivement cultuel et qu’ils ne perturbent pas l’ordre public. Après avoir refusé en 1985 le statut cultuel à une association jéhoviste, le Conseil d’Etat a adopté une position plus souple.
Témoins de Jéhovah et services fiscaux Les litiges fiscaux ont permis aux groupes locaux de témoins de Jéhovah de faire reconnaître leur caractère cultuel. Leurs édifices sont exonérés de taxes d’habitation et foncières. Les associations peuvent bénéficier de dons et de legs, et délivrer des reçus fiscaux. Depuis 1997, les Témoins de Jéhovah sont l’objet d’une offensive des services fiscaux, portant sur les dons manuels dont ils ont bénéficié. Des jugements ont donné raison à l’administration ; P. Goni les considère comme contestables.
Les locaux occupés par les témoins de Jéhovah. La liberté de culte implique le droit de disposer de locaux où le culte peut être célébré. Les Témoins de Jéhovah ont dû lutter pour faire valoir ce droit.
Des élus utilisent leurs pouvoirs relatifs au permis de construire et au droit de préemption pour s’opposer à la construction de salles du royaume. Les Témoins de Jéhovah ont bénéficié de jugements qui ont constaté et sanctionné de nombreux abus de pouvoir. Le tribunal de grande instance d’Auch a même prononcé en 2002 la dissolution d’une association qui militait contre la création d’une salle. Les témoins de Jéhovah peuvent disposer d’une salle municipale pour exercer leur culte. On ne peut leur opposer l’argument selon lequel ils troubleraient l’ordre public, ni le principe de laïcité.
Témoins de Jéhovah et droit du travail La question principale concerne les Béthélites, qui travaillent à plein temps au siège de Louviers et pour lesquels se pose le problème de l’application ou non de la législation française de travail.
L’argumentation de P. Goni repose sur l’assimilation des Béthélite à un ordre religieux, dont le travail communautaire n’est pas défini juridiquement. Leur activité ne relève pas du salariat mais de « la fonction ecclésiale et du bénévolat religieux ». Le pécule perçu par les Béthélites et les avantages en nature dont ils bénéficient relèvent de l’obligation de l’ordre religieux d’assurer la subsistance de ses membres ; il ne s’agit pas d’une rémunération. P. Goni regrette que la justice ne prenne pas en compte cette conception.
Témoins de Jéhovah et droits de l’individu La liberté de religion inclut le droit de se livrer au prosélytisme.
Le refus des témoins de Jéhovah appelés d’accomplir leur service militaire fait l’objet d’un développement dans cet ouvrage ; ce n’est pas contraire à l’ordre public, et l’affaire est réglée depuis la suppression du service militaire obligatoire en 2000. Les jeunes témoins participent à la journée d’appel à la préparation à la défense puisqu’on ne leur demande pas de porter l’uniforme ni les armes.
L’appartenance religieuse ne peut justifier le refus d’embauche ni le licenciement d’une personne. L’inscription des Témoins de Jéhovah dans la liste parlementaire des sectes a incité des présidents de conseils généraux à retirer l’agrément à des assistantes maternelles pour des raisons que P. Goni considère comme sans valeur : elles pourraient refuser des transfusions sanguines à des enfants dont elles ont la garde (mais en fait elles n’ont pas un pouvoir de décision sur ce chapitre), et elles refusent de fêter Noël et les anniversaires (mais ce ne sont pas des obligations républicaines)
En ce qui concerne les conflits familiaux : Le mariage n’oblige pas les conjoints à une unité de pensée. L’adhésion d’un époux aux Témoins de Jéhovah n’est pas une faute pouvant motiver un divorce. L’abjuration d’un conjoint qui avait été témoin de Jéhovah n’est pas une faute non plus. Seuls un prosélytisme confinant au harcèlement ou la délaissement du foyer conjugal par l’un des époux peuvent modifier une séparation légale. Assister au culte et consacrer du temps au prosélytisme, même avec les enfants, ne sont pas des excès répréhensibles. La justice ne donne pas raison à l’apostat s’il reproche à son conjoint resté témoin de Jéhovah ce que lui - même acceptait lorsqu’il partageait la même foi.
Partager ses croyances avec ses enfants fait partie de l’autorité parentale ; appartenir à une secte ne peut être un motif de refuser l’attribution de l’autorité parentale. Un conjoint peut emmener son enfant au culte ; c’est au plaignant de prouver qui cela porte préjudice au jeune. A partir d’un certain âge, fût-il mineur, un enfant a la liberté de choisir sa religion ; P. Goni considère comme contestable une décision prise par la cour de cassation en 1991 selon laquelle l’accord unanime des deux parents est requis pour qu’il puisse changer de religion. Enfants et grands-parents ont le droit à entretenir des relations personnelles directes ; l’appartenance des grands-parents aux Témoins de Jéhovah ne peut être opposé à l’exercice de ce droit, le refus d’autoriser une transfusion sanguine n’étant pas de leur responsabilité. Le refus des transfusions sanguines relève de la liberté religieuse ; la loi garantit au patient le droit de donner ou non son consentement aux soins proposés. Refuser une transfusion n’est pas troubler l’ordre public.
Si des parents refusent une transfusion pour leur enfant, le médecin a le droit d’outrepasser leur volonté ; des parents ont été relaxés de l’accusation de non-assistance à personne en péril, et le refus d’une transfusion pour un enfant ne justifie pas le retrait de l’autorité parentale. L’évolution de la législation tient de plus en plus compte de la volonté du mineur, et il serait bien de tenir compte de cette tendance en autorisant à jeune à refuser personnellement une transfusion.
Pour conclure ...
Tel est résumé le contenu du livre de Philippe Goni. Il est impossible de le considérer comme un ouvrage objectif : c’est une œuvre d’un avocat, dont le métier est d’apporter les arguments de la défense pour atténuer la peine encourue par son client, voire le faire bénéficier de la relaxe. Au delà d’un travail de recherche juridique, il pourrait être considéré comme un manuel pratique à l’usage de ses confrères qui ont à traiter de cas semblables à ceux évoqués ici. On ne le négligera pas pour autant : pour en dénier l’intérêt, il faudrait accomplir un long travail d’étude des éventuels jugements non mentionnés par l’auteur, notamment ceux qui éventuellement montreraient une évolution contraire à celle ici décrite. Aucun livre ne semble avoir été rédigé en ce sens, s’il est possible d’en écrire un.
Le livre fait le point provisoire sur le statut que les Témoins de Jéhovah se sont fait attribuer par la législation et la justice françaises. Soucieux de n’être pas assimilés à une secte dangereuse, ils ont fait valoir autant que faire se peut leurs droits en contribuant à l’élaboration progressive d’une jurisprudence en leur faveur. Ils n’ont pu aller jusqu’au bout de ce qu’ils auraient souhaité, mais les acquis sont d’ores et déjà considérables. Mais s’ils ont fait évoluer le droit, il leur a fallu accomplir des compromis avec ce qu’ils appellent le « présent système de choses » ; on l’aura remarqué en lisant l’étude du vocabulaire utilisé dans le but de se faire considérer comme une Eglise.
En France, la loi est la même pour tous. C’est un autre intérêt du livre de P. Goni de montrer jusqu’où les autres minorités religieuses peuvent aller dans la revendication de leurs droits, et a contrario quelles sont les limites légales aux actions que tenteraient contre elles les autorités publiques, les associations, les familles et les particuliers.
Enfin, le livre de Philippe Goni est une matière première pour la recherche sur l’histoire des Témoins de Jéhovah, celle des droits de l’Homme et celle du droit.
Bernard Blandre
samedi 30 septembre 2006
Par Bernard Blandre À paraître bientôt dans : "Mouvements religieux"
Philippe GONI, Les témoins de Jéhovah - Pratique cultuelle et loi du 9 décembre 1905 Paris, l’Harmattan, 2004. 289 p., 26 €
Philippe Goni, avocat au barreau de Paris, a été amené à défendre les Témoins de Jéhovah dans des affaires judiciaires. Son livre, extrêmement documenté et qui fait référence à quantité de jugements, présente le résultat provisoire des actions en justice engagées par ses clients qu’il soit ou non personnellement intervenu.
Les Témoins de Jéhovah sont présentés d’une façon globalement favorable, alors qu’ils sont dans le collimateur des associations de défense contre les sectes et inscrits dans la fameuse liste des sectes nuisibles publiée dans le rapport parlementaire de 1995. Les actions menées contre les Témoins de Jéhovah s’inscrivent dans un contexte global d’hostilité aux sectes dans la société, relayée par les pouvoirs publics qu’une loi centenaire oblige à la laïcité. L’Etat doit respecter la liberté religieuse, s’abstenir de toute appréciation fondée sur les croyances et de s’ingérer dans la vie d’un culte. Il ne peut intervenir que dans des cas précis.
La présentation des Témoins de Jéhovah
La présentation des Témoins de Jéhovah en donne une bonne image : Présents depuis un siècle en France, ils sont proches du français moyen, respectent la loi, ne refusent pas les vaccinations contrairement aux rumeurs, ne troublent pas l’ordre public en refusant les transfusions sanguines ni en refusant de voter (dans les pays où le vote est obligatoire, ils décident individuellement du comportement à adopter). Leurs croyances sont chrétiennes. On adhère librement et on quitte librement leur organisation. Ils sont actifs dans le tissu social, dans les milieux associatif et caritatif (restaurants du cœur, Aidafrique). Le vocabulaire utilisé par les Témoins de Jéhovah, relayés par P. Goni, est choisi pour qu’on les considère comme une Eglise : « excommunication » (ce qui se fait dans les Eglises, pas seulement chez les T.J.) , « églises locales » (on avait plutôt l’habitude d’entendre parler de congrégations), « association congréganiste » (à propos de la communauté chrétienne des Béthélites qui regroupe les permanents de Louviers ; elle est ailleurs qualifiée d’ « ordre religieux des Témoins de Jéhovah », de « congrégation religieuse » dont la « règle » est définie par une « charte ecclésiale » et les membres sont dans un « engagement sacerdotal » « sous l’autorité statutaire d’un Supérieur »), le « consistoire » responsable de la « liturgie » ...... Ainsi pour faire valoir leurs droits les Témoins de Jéhovah français se donnent le plus possible l’aspect d’une Eglise comme les autres, alors que leur interprétation de la Bible depuis des décennies les amenait au contraire à s’en différencier au maximum.
L’examen de la législation et des jugements émis par les tribunaux (pas seulement lorsque les Témoins de Jéhovah sont impliqués) amène P. Goni a dresser un constat provisoire du statut qu’ils ont su acquérir dans la société française.
Le statut légal des Témoins de Jéhovah en France Il n’est légalement pas possible à un préfet de refuser l’inscription d’une association de témoins de Jéhovah en leur refusant le récépissé de déclaration ; il ne peut pas conditionner l’octroi d’un tel document à une modification des statuts associatifs. Tout au plus peut-il engager une procédure judiciaire en vue de la dissolution d’un groupe dont l’objet serait illégal.
Les Témoins de Jéhovah se sont battus pour acquérir le statut défini par le droit commun des cultes. Ils ont fait admettre par les cours compétentes que l’objet de leurs associations locales est bien exclusivement cultuel et qu’ils ne perturbent pas l’ordre public. Après avoir refusé en 1985 le statut cultuel à une association jéhoviste, le Conseil d’Etat a adopté une position plus souple.
Témoins de Jéhovah et services fiscaux Les litiges fiscaux ont permis aux groupes locaux de témoins de Jéhovah de faire reconnaître leur caractère cultuel. Leurs édifices sont exonérés de taxes d’habitation et foncières. Les associations peuvent bénéficier de dons et de legs, et délivrer des reçus fiscaux. Depuis 1997, les Témoins de Jéhovah sont l’objet d’une offensive des services fiscaux, portant sur les dons manuels dont ils ont bénéficié. Des jugements ont donné raison à l’administration ; P. Goni les considère comme contestables.
Les locaux occupés par les témoins de Jéhovah. La liberté de culte implique le droit de disposer de locaux où le culte peut être célébré. Les Témoins de Jéhovah ont dû lutter pour faire valoir ce droit.
Des élus utilisent leurs pouvoirs relatifs au permis de construire et au droit de préemption pour s’opposer à la construction de salles du royaume. Les Témoins de Jéhovah ont bénéficié de jugements qui ont constaté et sanctionné de nombreux abus de pouvoir. Le tribunal de grande instance d’Auch a même prononcé en 2002 la dissolution d’une association qui militait contre la création d’une salle. Les témoins de Jéhovah peuvent disposer d’une salle municipale pour exercer leur culte. On ne peut leur opposer l’argument selon lequel ils troubleraient l’ordre public, ni le principe de laïcité.
Témoins de Jéhovah et droit du travail La question principale concerne les Béthélites, qui travaillent à plein temps au siège de Louviers et pour lesquels se pose le problème de l’application ou non de la législation française de travail.
L’argumentation de P. Goni repose sur l’assimilation des Béthélite à un ordre religieux, dont le travail communautaire n’est pas défini juridiquement. Leur activité ne relève pas du salariat mais de « la fonction ecclésiale et du bénévolat religieux ». Le pécule perçu par les Béthélites et les avantages en nature dont ils bénéficient relèvent de l’obligation de l’ordre religieux d’assurer la subsistance de ses membres ; il ne s’agit pas d’une rémunération. P. Goni regrette que la justice ne prenne pas en compte cette conception.
Témoins de Jéhovah et droits de l’individu La liberté de religion inclut le droit de se livrer au prosélytisme.
Le refus des témoins de Jéhovah appelés d’accomplir leur service militaire fait l’objet d’un développement dans cet ouvrage ; ce n’est pas contraire à l’ordre public, et l’affaire est réglée depuis la suppression du service militaire obligatoire en 2000. Les jeunes témoins participent à la journée d’appel à la préparation à la défense puisqu’on ne leur demande pas de porter l’uniforme ni les armes.
L’appartenance religieuse ne peut justifier le refus d’embauche ni le licenciement d’une personne. L’inscription des Témoins de Jéhovah dans la liste parlementaire des sectes a incité des présidents de conseils généraux à retirer l’agrément à des assistantes maternelles pour des raisons que P. Goni considère comme sans valeur : elles pourraient refuser des transfusions sanguines à des enfants dont elles ont la garde (mais en fait elles n’ont pas un pouvoir de décision sur ce chapitre), et elles refusent de fêter Noël et les anniversaires (mais ce ne sont pas des obligations républicaines)
En ce qui concerne les conflits familiaux : Le mariage n’oblige pas les conjoints à une unité de pensée. L’adhésion d’un époux aux Témoins de Jéhovah n’est pas une faute pouvant motiver un divorce. L’abjuration d’un conjoint qui avait été témoin de Jéhovah n’est pas une faute non plus. Seuls un prosélytisme confinant au harcèlement ou la délaissement du foyer conjugal par l’un des époux peuvent modifier une séparation légale. Assister au culte et consacrer du temps au prosélytisme, même avec les enfants, ne sont pas des excès répréhensibles. La justice ne donne pas raison à l’apostat s’il reproche à son conjoint resté témoin de Jéhovah ce que lui - même acceptait lorsqu’il partageait la même foi.
Partager ses croyances avec ses enfants fait partie de l’autorité parentale ; appartenir à une secte ne peut être un motif de refuser l’attribution de l’autorité parentale. Un conjoint peut emmener son enfant au culte ; c’est au plaignant de prouver qui cela porte préjudice au jeune. A partir d’un certain âge, fût-il mineur, un enfant a la liberté de choisir sa religion ; P. Goni considère comme contestable une décision prise par la cour de cassation en 1991 selon laquelle l’accord unanime des deux parents est requis pour qu’il puisse changer de religion. Enfants et grands-parents ont le droit à entretenir des relations personnelles directes ; l’appartenance des grands-parents aux Témoins de Jéhovah ne peut être opposé à l’exercice de ce droit, le refus d’autoriser une transfusion sanguine n’étant pas de leur responsabilité. Le refus des transfusions sanguines relève de la liberté religieuse ; la loi garantit au patient le droit de donner ou non son consentement aux soins proposés. Refuser une transfusion n’est pas troubler l’ordre public.
Si des parents refusent une transfusion pour leur enfant, le médecin a le droit d’outrepasser leur volonté ; des parents ont été relaxés de l’accusation de non-assistance à personne en péril, et le refus d’une transfusion pour un enfant ne justifie pas le retrait de l’autorité parentale. L’évolution de la législation tient de plus en plus compte de la volonté du mineur, et il serait bien de tenir compte de cette tendance en autorisant à jeune à refuser personnellement une transfusion.
Pour conclure ...
Tel est résumé le contenu du livre de Philippe Goni. Il est impossible de le considérer comme un ouvrage objectif : c’est une œuvre d’un avocat, dont le métier est d’apporter les arguments de la défense pour atténuer la peine encourue par son client, voire le faire bénéficier de la relaxe. Au delà d’un travail de recherche juridique, il pourrait être considéré comme un manuel pratique à l’usage de ses confrères qui ont à traiter de cas semblables à ceux évoqués ici. On ne le négligera pas pour autant : pour en dénier l’intérêt, il faudrait accomplir un long travail d’étude des éventuels jugements non mentionnés par l’auteur, notamment ceux qui éventuellement montreraient une évolution contraire à celle ici décrite. Aucun livre ne semble avoir été rédigé en ce sens, s’il est possible d’en écrire un.
Le livre fait le point provisoire sur le statut que les Témoins de Jéhovah se sont fait attribuer par la législation et la justice françaises. Soucieux de n’être pas assimilés à une secte dangereuse, ils ont fait valoir autant que faire se peut leurs droits en contribuant à l’élaboration progressive d’une jurisprudence en leur faveur. Ils n’ont pu aller jusqu’au bout de ce qu’ils auraient souhaité, mais les acquis sont d’ores et déjà considérables. Mais s’ils ont fait évoluer le droit, il leur a fallu accomplir des compromis avec ce qu’ils appellent le « présent système de choses » ; on l’aura remarqué en lisant l’étude du vocabulaire utilisé dans le but de se faire considérer comme une Eglise.
En France, la loi est la même pour tous. C’est un autre intérêt du livre de P. Goni de montrer jusqu’où les autres minorités religieuses peuvent aller dans la revendication de leurs droits, et a contrario quelles sont les limites légales aux actions que tenteraient contre elles les autorités publiques, les associations, les familles et les particuliers.
Enfin, le livre de Philippe Goni est une matière première pour la recherche sur l’histoire des Témoins de Jéhovah, celle des droits de l’Homme et celle du droit.
Bernard Blandre