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Quand les entreprises s’adaptent aux croyants

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Josué

Josué
Administrateur

Quand les entreprises s’adaptent aux croyants
ETIENNE SÉGUIER
Pour attirer et retenir les salariés, les entreprises accèdent peu à peu aux demandes à caractère religieux. Mais elles restent discrètes à ce sujet, comme le montre notre enquête.

À Bruxelles, l’hôpital Saint-Luc a peut- être trouvé le moyen de retenir ses infirmières. Il a conçu un voile discret que les musulmanes peuvent porter sans que cela soit trop voyant. Résultat : l’­établissement n’a plus de problème pour recruter du personnel soignant, contrairement aux autres ­hôpitaux et cliniques de la capitale belge.

C’est un fait : les religions sont bien en train de faire une entrée dans les entreprises, avec la bénédiction discrète des directions des ressources humaines. Les demandes proviennent largement de salariés ­musulmans, mais pas uniquement. Une étude de l’Observatoire du fait religieux en entreprise, dépendant de Sciences-Po Rennes, publiée le 27 mai dernier, atteste de cette évolution : 80 % des cadres ­affirment ne pas ressentir de malaise par rapport aux demandes religieuses ; 94 % des questions à ce sujet ont été réglées ; et seulement 6 % ont abouti à des situations de blocage. Plusieurs colloques ont été organisés récemment sur ce thème, comme celui proposé le 26 mars par l’Institut catholique de Paris et ­l’Association française des managers de la diversité (AFMD). Un livre, Entreprises et diversité religieuse, a d’ailleurs été édité à cette occasion. Des sociétés aussi renommées et diverses que La Poste, IBM, les épiceries Casino ou le réseau d’intérim Adecco y reconnaissent étudier les moyens qui permettent à leurs salariés de vivre leur identité religieuse dans le cadre professionnel. En prenant bien soin de ne pas évoquer de situations concrètes. Aucun responsable ne souhaite faire la une des journaux à ce sujet.

Une étude de Manpower parue l’année dernière indique que 34 % des offres en Europe rencontrent de sérieuses difficultés pour être pourvues. Dans la restauration, par exemple, mieux vaut retenir un serveur en lui accordant des congés pour célébrer la fin du ramadan. Un accueil favorable aux demandes religieuses ne coûte pas cher et contribue à fidéliser ses collaborateurs. Responsable du certificat ­Management et Diversité à l’université Paris-Dauphine, Patrick Banon note plus largement que « les entreprises sont les seules collectivités dans la société qui accueillent encore une diversité de convictions religieuses. Il faut bien gérer cette pluralité plutôt que de faire comme si elle n’existait pas. »

Pour répondre à ces attentes, on procède en deux temps. Les cadres sont d’abord invités à ne plus se prononcer sur ce qui est recevable ou pas dans chaque religion : ils n’ont aucune légitimité pour porter un jugement à ce sujet. Le groupe Casino, La Poste, EDF et IBM France ont publié en interne des guides en ce sens. Les directions des ressources humaines incitent plutôt à traiter les questions religieuses comme les autres demandes. Ni plus, ni moins. Bruce Roch, qui dirige le département Responsabilité sociale et environnementale au sein du groupe Adecco et préside l’AFMD, précise : « Les demandes religieuses peuvent être acceptées dans la mesure où elles respectent les règles d’hygiène et de sécurité et ne nuisent pas à la productivité de l’entreprise. »

Ainsi les demandes d’absence pour fête religieuse sont traitées comme des congés classiques. « Que vous demandiez un jour pour la fête de l’Aïd ou pour emmener votre fils au parc Astérix, le responsable d’équipe doit simplement se demander si c’est compatible avec la bonne marche du service », explique Bruce Roch. Les manageurs n’ont pas à s’intéresser aux raisons qui poussent leurs collaborateurs à vouloir s’absenter.

Les entreprises procèdent de la même manière pour la restauration. Chaque cantine offre un choix de plats qui permet de répondre aux différentes habitudes alimentaires de chacun : bio, allégé, végétarien… Les dirigeants s’appuient sur cette diversité de choix pour proposer aux musulmans une alternative au porc lorsqu’il est au menu. Cela n’entraîne aucun surcoût financier, tout en étant accepté par les autres salariés. « Par contre, proposer des plats kasher ou halal entraînerait des surcoûts, favorisant une catégorie de salariés. Ces demandes sont donc refusées », explique Patrick Banon, auteur de Réinventons les diversités chez First. Pour retenir leurs collaborateurs, certains responsables sont prêts à faire des efforts supplémentaires. Ainsi, une société finance les repas de ses salariés. Durant le ramadan, elle offre une compensation financière aux musulmans. Cet ­arrangement convient à tout le monde.

Quid des temps de prière ? Sur ce sujet, les croyants bénéficient des avantages obtenus par les consommateurs de tabac. Avec l’interdiction de fumer dans les établissements, les accros à la cigarette prennent des pauses pour en griller une. Le principe de la pause est donc clairement validé. Les demandes de temps de prière sont examinées dans ce cadre. À quel moment les salariés peuvent-ils s’arrêter ? Si l’on est chauffeur de bus ou ouvrier sur une chaîne, ce temps peut être pris à midi. Chaque métier trouve une solution en fonction de ses contraintes. « Qu’est-ce qui empêche alors les croyants d’en profiter pour aller prier ? Qui ira vérifier que vous êtes en train de prier plutôt que de fumer ? » s’interroge Michael Privot, responsable d’une association de lutte contre le racisme à Bruxelles. Ce spécialiste de la diversité religieuse en entreprise souligne aussi qu’il faut pouvoir ­disposer d’un espace tranquille. Dans les années 1970, des entreprises comme Peugeot ou Renault ont aménagé des salles à cet effet. « Mais cette mesure s’inscrivait dans le cadre de l’accueil de populations qui n’avaient pas vocation à rester », précise Patrick Banon. Elle permettait aussi d’acheter une paix sociale auprès de la main-d’œuvre immigrée faiblement syndiquée qui n’en demandait pas tant. Quarante ans après, la situation a évolué. Les récentes tentatives pour dédier un espace à la prière des musulmans ont été contestées par d’autres salariés. Les managers étudient donc la possibilité de mettre à disposition des lieux pour se reposer, lire, prier, méditer, ouverts à tous. La demande est en hausse, confirme un autre consultant, mais les ­directions des ressources humaines hésitent encore.

Dernier sujet à controverse, la tenue vestimentaire, et le fameux foulard, dont le port est pourtant autorisé en entreprise. Cette disposition suscite toujours des débats en interne. Ainsi, une télévendeuse a dû faire valoir que les clients ne la voyaient pas et que cela ne gênait pas ses collègues. Elle a obtenu gain de cause. Une autre, marchande de fruits et légumes dans un centre commercial, souhaitait, elle, porter le voile intégral. Son patron lui a proposé un foulard discret. Elle a refusé et a donc été licenciée. La justice a donné raison à son employeur en valorisant ses tentatives de trouver un compromis acceptable.

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