Vous connaissez ? si oui, qu'en pensez-vous ?
http://classiques.uqac.ca/classiques/Rousseau_jj/contrat_social/Contrat_social.pdf
Extrait :
http://classiques.uqac.ca/classiques/Rousseau_jj/contrat_social/Contrat_social.pdf
Extrait :
Ce fut dans ces circonstances que Jésus vint établir sur la terre un royaume spirituel, ce qui, séparant le système théologique du système politique, fit que l'État cessa d'être un, et causa les divisions intestines qui n'ont jamais cessé d'agiter les peuples chrétiens. or, cette idée nouvelle d'un royaume de l'autre monde n'ayant pu jamais entrer dans la tête des païens, ils regardèrent toujours les chrétiens comme de vrais rebelles qui, sous une hypocrite soumission, ne cherchaient que le moment de se rendre indépendants et maîtres,et d'usurper adroitement l'autorité qu'ils feignaient de respecter dans leur faiblesse. Telle fut la cause des persécutions.
La religion, considérée par rapport à la société, qui est ou générale ou particulière,peut aussi se diviser en deux espèces: savoir, la religion de l'homme, et celle du citoyen. La première, sans temples, sans autels, sans rites, bornée au culte purement intérieur du Dieu suprême et aux devoirs éternels de la morale, est la pure et simple religion de l'Évangile, le vrai théisme, et ce qu'on peut appeler le droit divin naturel. L'autre, inscrite dans un seul pays, lui donne ses dieux, ses patrons propres et tutélaires. Elle a ses dogmes, ses rites, son culte extérieur prescrit par des lois: hors la seule nation qui la suit, tout est pour elle infidèle, étranger, barbare; elle n'étend les devoirs et les droits de l'homme qu'aussi loin que ses autels. Telles furent toutes les religions des premiers peuples, auxquelles on peut donner le nom de droit divin civil ou positif.
Reste donc la religion de l'homme ou le christianisme, non pas celui d’aujourd’hui, mais celui de l'Évangile, qui en est tout à fait différent. Par cette religion sainte, sublime, véritable, les hommes, enfants du même Dieu, se reconnaissaient tous pour frères, et la société qui les unit ne se dissout pas même à la mort.
Mais cette religion, n'ayant nulle relation particulière avec le corps politique, laisse aux lois la seule force qu'elles tirent d'elles-mêmes sans leur en ajouter aucune autre; et par là, un des grands liens de la société particulière reste sans effet. Bien plus, loin d'attacher les coeurs des citoyens à l'État, elle les en détache comme de toutes les choses de la terre. Je ne connais rien de plus contraire à l'esprit social.
On nous dit qu'un peuple de vrais chrétiens formerait la plus parfaite société que l'on puisse imaginer. Je ne vois à cette supposition qu'une grande difficulté: c'est qu'une société de vrais chrétiens ne serait plus une société d'hommes.
Je dis même que cette société supposée ne serait, avec toute sa perfection, ni la plus forte ni la plus durable; à force d'être parfaite, elle manquerait de liaison; son vice destructeur serait dans sa perfection même.
Chacun remplirait son devoir; le peuple serait soumis aux lois, les chefs seraient justes et modérés, les magistrats intègres, incorruptibles; les soldats mépriseraient la mort; il n'y aurait ni vanité ni luxe; tout cela est fort bien; mais voyons plus loin.
Le christianisme est une religion toute spirituelle, occupée uniquement des choses du ciel; la patrie du chrétien n'est pas de ce monde. Il fait son devoir, il est vrai, mais il le fait avec une profonde indifférence sur le bon ou mauvais succès de ses soins. Pourvu qu'il n'ait rien à se reprocher, peu lui importe que tout aille bien ou mal ici-bas. Si l'État est florissant, à peine ose-t-il jouir de la félicité publique; il craint de s'enorgueillir de la gloire de son pays: si l'État dépérit, il bénit la main de Dieu qui s'appesantit sur son peuple.
Pour que la société fût paisible et que l'harmonie se maintînt, il faudrait que tous les citoyens sans exception fussent également bons chrétiens: mais si malheureusement il s'y trouve un seul ambitieux, un seul hypocrite, un Catilina, par exemple, un Cromwell, celui-là très certainement aura bon marché de ses pieux compatriotes. La charité chrétienne ne permet pas aisément de penser mal de son prochain. Dès qu'il aura trouvé par quelque ruse l'art de leur en imposer et de s'emparer d'une partie de l'autorité publique, voilà un homme constitué en dignité; Dieu veut qu'on le respecte: bientôt voilà une puissance; Dieu veut qu'on lui obéisse. Le dépositaire de cette puissance en buse-t-il, c'est la verge dont Dieu punit ses enfants. On se ferait conscience de chasser l'usurpateur: il faudrait, troubler le repos public, user, de violence, verser du sang: tout cela s'accorde mal avec la douceur du chrétien, et après tout, qu'importe qu'on soit libre ou serf dans cette vallée de misères?
L'essentiel est d'aller en paradis, et la résignation n'est qu'un moyen de plus pour cela.