[size=38]Aux États-Unis, le déclin amorcé du mouvement des megachurchs[/size]
Analyse
Depuis une quinzaine d’années, plusieurs signes laissent entrevoir un recul du nombre de megachurchs, ces églises évangéliques dont la fréquentation atteint parfois plusieurs dizaines de milliers de fidèles chaque semaine. En cause : les multiples scandales les ayant éclaboussées et des nouvelles générations moins attirées par ce modèle.
- Matthieu Lasserre,
- le 11/02/2024 à 18:34
Service dans la megachurch Potter's House de Dallas (Texas), en 2016.BARBARA DAVIDSON / LOS ANGELES TIMES VIA GETTY
Ces dernières années, leurs déboires ont alimenté les gros titres des journaux américains. Scandales financiers ou sexuels, fermetures, licenciements, mutations… les megachurchs, ces églises, majoritairement protestantes évangéliques, rassemblant en moyenne 2 000 fidèles par semaine, traversent une période de turbulences. Résultat : ces structures, souvent d’un gigantisme qui alimente l’imaginaire européen, s’effritent, et la demande décline.
Plusieurs exemples récents illustrent ce phénomène. Willow Creek Community Church, située près de Chicago (Illinois), l’une des plus importantes de ces églises, rassemblait jusqu’à 25 000 fidèles chaque semaine. Mais depuis cinq ans, sa fréquentation n’a cessé de baisser. « Willow représente environ la moitié de la taille qu’elle avait avant le Covid-19, ce qui est tout à fait conforme aux églises du pays », déclarait en 2022 son pasteur principal, Dave Dummitt.
Des églises emblématiques touchées
Après avoir perdu près de 60 % de ses fidèles, cette megachurch au succès emblématique a été contrainte d’annoncer le licenciement de 30 % de ses effectifs et de réduire drastiquement son budget. À Denver, sous la pression de la pandémie, The Potter’s House, célèbre église multiculturelle qui comptait 10 000 fidèles hebdomadaires, a annoncé il y a deux ans la vente de ses locaux pour passer à des cultes uniquement en ligne.
La crise sanitaire des dernières années serait-elle responsable de la désaffection des évangéliques pour leurs megachurchs ? Selon Sam Rainer, pasteur d’une église baptiste en Floride et créateur du réseau d’entraide Church Answers, la pandémie a plutôt accéléré un phénomène déjà présent.
« Le Covid a touché plus durement les structures les plus imposantes, explique le pasteur.
Mais le déclin de ces églises remonte en réalité au début des années 2010. »Un phénomène générationnel
Sam Rainer analyse ainsi cette évolution à la lumière des fractures générationnelles.
« Démographiquement, c’était inévitable, poursuit-il.
Les megachurchs ont été construites pour la génération précédente, celle des baby-boomers. Elles ont grandi au détriment des églises de quartier. Aujourd’hui, les jeunes Américains recherchent davantage de proximité et ne sont pas prêts à faire deux heures de voiture pour aller prier. »Une évolution relevée par Sébastien Fath, chercheur au CNRS et spécialiste du protestantisme évangélique, qui explique ce
« tassement » par la fin de l’Amérique d’après-guerre croquée par Norman Rockwell.
« La méga-église s’était adaptée à un modèle urbain marqué par la concentration de population en périphérie des grandes villes, développe l’universitaire.
En cela, elle dépassait largement le cadre religieux pour s’inscrire dans celui de l’essor du commerce et du cinéma, par exemple. »Les nombreux abus (financier, spirituels, sexuels) ces dernières années ont jeté le trouble parmi de nombreux jeunes évangéliques. La liste des dénominations en faisant les frais ne cesse d’ailleurs de s’allonger. Ces scandales révélés dans la presse ont accentué la défiance des fidèles, face à
« des leaders charismatiques, défaillants, qui n’ont jamais rendu de compte à personne », souligne Sam Rainer.
« Ce modèle qui starifie ses pasteurs n’est plus adapté à la génération des réseaux sociaux », abonde Sébastien Fath.
Transformations
Entrevoit-on la fin des megachurchs ? Aucunement, affirme résolument le chercheur américain Warren Bird. Grâce à des moyens financiers massifs,
« ces grandes églises sont presque toujours pionnières en termes d’innovation (…), note l’auteur de plusieurs études à ce sujet.
Ainsi, elles sont continuellement en train de “renaître” ».Une tendance relevée par le Hartford Institute : alors que 42 % de ces Églises étaient
« multisites » en 2010, elles sont désormais près de 70 % à avoir choisi d’ouvrir des satellites de plus petite taille. De nombreux efforts sont aussi déployés pour dématérialiser le culte et les différents ministères. En 2020, plus de la moitié des megachurchs disaient mettre à disposition des fidèles un campus en ligne, contre à peine un tiers cinq ans plus tôt. Un chiffre qui a très probablement explosé depuis la pandémie.