[size=33]Russie : l'« usine de trolls » tourne à plein régime[/size]
Par Marc Nexon
Modifié le 18/02/2020 à 09:58 - Publié le 18/02/2020 à
Le bâtiment gris de trois étages se dresse toujours rue Savouckina à Saint-Pétersbourg. Il accueille jour et nuit des centaines de jeunes vissés à leur écran. Leur mission : inonder les réseaux sociaux de fausses informations. C'est ici que l'oligarque Evgueni Prigozhin, 58 ans, proche de Vladimir Poutine, héberge son agence baptisée IRA (Internet Research Agency) et son armée de trolls.
Lorsqu'Emmanuel Macron affirme, samedi dernier lors de la conférence sur la sécurité de Munich, que « la Russie va continuer à essayer de déstabiliser » les démocraties occidentales, il pointe ainsi l'un de ces instruments mis en place par le Kremlin. Une inquiétude récurrente chez le président français, même si le sujet qui agite la France depuis quelques jours, l'affaire Griveaux, n'a sans doute rien à voir avec cette fabrique de trolls.
Celle-ci s'est fixé pour objectifs des cibles d'une plus grande ampleur. Car l'agence de Prigozhin détient un titre de gloire : celui d'avoir interféré dans le déroulement de l'élection présidentielle américaine en 2016 et d'avoir récidivé lors des élections à la Chambre des représentants deux ans plus tard. L'IRA aurait posté plusieurs dizaines de milliers de messages via de faux comptes afin d'influencer le vote des Américains en faveur de Trump. Plus de 120 millions d'électeurs auraient ainsi été ciblés.
Lire aussi Russie : Evgueni Prigozhin, chef des trolls
En février 2018 le procureur spécial Robert Mueller, chargé d'enquêter sur l'ingérence de la Russie, a mis en cause l'homme d'affaires de Saint-Pétersbourg et 13 de ses acolytes. En septembre dernier, le département du Trésor a même renforcé les sanctions à l'égard de l'intéressé en visant ses biens personnels (trois avions privés et un yacht) et ses sociétés off-shore basées aux Seychelles.
Des mesures largement symboliques, car l'homme au crâne chauve, jadis emprisonné pour vols et surnommé le « chef cuisinier de Poutine » pour avoir été le premier à ouvrir un restaurant au Kremlin, agit en toute impunité. Il a même accru sa puissance au sommet de l'État en créant la société Wagner destinée à dépêcher des bataillons de mercenaires auprès des régimes africains.
Au sein de son « usine de trolls » règne un mot d'ordre : la productivité. Les témoignages d'anciennes recrues évoquent des journées de douze heures entrecoupées d'une heure de pause. Une fois devant son clavier, l'employé clique sur une icône lui indiquant le thème de la journée. Autrement dit, le sujet sur lequel doivent se répandre les fausses nouvelles. Il a ensuite pour consigne de poster au moins 135 commentaires par jour de 200 signes chacun. Et pas moyen de tricher. Tant que la longueur n'est pas atteinte, le texte demeure en rouge. Des surveillants se tiennent derrière les écrans et veillent au respect de la norme.
Lire aussi Russie : Vladislav Sourkov, le marionnettiste du Kremlin
Des discussions factices sont également organisées entre trois ou quatre intervenants. Les uns reflétant l'opinion occidentale, les autres incarnant le patriotisme russe. Un échange dont le dernier mot doit, bien sûr, revenir aux tenants de la ligne russe. Une atmosphère besogneuse maintenue grâce à des salaires plutôt élevés (plus de 1 000 euros) pour des postes sans réelle qualification, et s'accompagnant d'un bonus équivalent à 30 % de la rémunération en cas de messages abondamment relayés. Ou d'amendes si le commentaire pro-russe ne ressort pas victorieux d'un débat.
Tout ne s'opère cependant pas à distance. L'enquête de Robert Mueller a révélé que des fidèles de Prigozhin sillonnent les États-Unis. Deux ans avant l'élection présidentielle, l'une d'elles, Anna Bogacheva, a visité neuf États en trois semaines. Et récupéré un grand nombre d'équipements électroniques. En octobre celle-ci a été arrêtée à l'aéroport de Minsk à la demande d'Interpol. Et rapidement relâchée après une mise garde amicale adressée par Moscou à son allié biélorusse.
[size=33]VIDÉO. Selon Emmanuel Macron, Moscou continue à déstabiliser les démocraties occidentales. L'un des rouages de ces attaques est « l'usine de trolls » à Saint-Pétersbourg.[/size]
Par Marc Nexon
Modifié le 18/02/2020 à 09:58 - Publié le 18/02/2020 à
Le bâtiment gris de trois étages se dresse toujours rue Savouckina à Saint-Pétersbourg. Il accueille jour et nuit des centaines de jeunes vissés à leur écran. Leur mission : inonder les réseaux sociaux de fausses informations. C'est ici que l'oligarque Evgueni Prigozhin, 58 ans, proche de Vladimir Poutine, héberge son agence baptisée IRA (Internet Research Agency) et son armée de trolls.
Lorsqu'Emmanuel Macron affirme, samedi dernier lors de la conférence sur la sécurité de Munich, que « la Russie va continuer à essayer de déstabiliser » les démocraties occidentales, il pointe ainsi l'un de ces instruments mis en place par le Kremlin. Une inquiétude récurrente chez le président français, même si le sujet qui agite la France depuis quelques jours, l'affaire Griveaux, n'a sans doute rien à voir avec cette fabrique de trolls.
Celle-ci s'est fixé pour objectifs des cibles d'une plus grande ampleur. Car l'agence de Prigozhin détient un titre de gloire : celui d'avoir interféré dans le déroulement de l'élection présidentielle américaine en 2016 et d'avoir récidivé lors des élections à la Chambre des représentants deux ans plus tard. L'IRA aurait posté plusieurs dizaines de milliers de messages via de faux comptes afin d'influencer le vote des Américains en faveur de Trump. Plus de 120 millions d'électeurs auraient ainsi été ciblés.
Lire aussi Russie : Evgueni Prigozhin, chef des trolls
En février 2018 le procureur spécial Robert Mueller, chargé d'enquêter sur l'ingérence de la Russie, a mis en cause l'homme d'affaires de Saint-Pétersbourg et 13 de ses acolytes. En septembre dernier, le département du Trésor a même renforcé les sanctions à l'égard de l'intéressé en visant ses biens personnels (trois avions privés et un yacht) et ses sociétés off-shore basées aux Seychelles.
Des mesures largement symboliques, car l'homme au crâne chauve, jadis emprisonné pour vols et surnommé le « chef cuisinier de Poutine » pour avoir été le premier à ouvrir un restaurant au Kremlin, agit en toute impunité. Il a même accru sa puissance au sommet de l'État en créant la société Wagner destinée à dépêcher des bataillons de mercenaires auprès des régimes africains.
135 commentaires par jour de 200 signes chacun
Au sein de son « usine de trolls » règne un mot d'ordre : la productivité. Les témoignages d'anciennes recrues évoquent des journées de douze heures entrecoupées d'une heure de pause. Une fois devant son clavier, l'employé clique sur une icône lui indiquant le thème de la journée. Autrement dit, le sujet sur lequel doivent se répandre les fausses nouvelles. Il a ensuite pour consigne de poster au moins 135 commentaires par jour de 200 signes chacun. Et pas moyen de tricher. Tant que la longueur n'est pas atteinte, le texte demeure en rouge. Des surveillants se tiennent derrière les écrans et veillent au respect de la norme.
Lire aussi Russie : Vladislav Sourkov, le marionnettiste du Kremlin
Des discussions factices sont également organisées entre trois ou quatre intervenants. Les uns reflétant l'opinion occidentale, les autres incarnant le patriotisme russe. Un échange dont le dernier mot doit, bien sûr, revenir aux tenants de la ligne russe. Une atmosphère besogneuse maintenue grâce à des salaires plutôt élevés (plus de 1 000 euros) pour des postes sans réelle qualification, et s'accompagnant d'un bonus équivalent à 30 % de la rémunération en cas de messages abondamment relayés. Ou d'amendes si le commentaire pro-russe ne ressort pas victorieux d'un débat.
Tout ne s'opère cependant pas à distance. L'enquête de Robert Mueller a révélé que des fidèles de Prigozhin sillonnent les États-Unis. Deux ans avant l'élection présidentielle, l'une d'elles, Anna Bogacheva, a visité neuf États en trois semaines. Et récupéré un grand nombre d'équipements électroniques. En octobre celle-ci a été arrêtée à l'aéroport de Minsk à la demande d'Interpol. Et rapidement relâchée après une mise garde amicale adressée par Moscou à son allié biélorusse.