[size=45]Halal, casher : l’abattage rituel sans étourdissement interdit de label bio[/size]
Antoine d’Abbundo , le 01/03/2019 à 14h08
Mis à jour le 03/03/2019 à 9h42
ZOOM
Une usine de négoce de viande. / Matthieu Botte/Voix du Nord/MaxPPP
L’information est passée quasi inaperçue. Elle est pourtant capitale pour un marché de l’alimentaire rituel (« halal » pour les musulmans, « casher » pour les juifs) en pleine expansion en France.
Dans un arrêt rendu public mardi 26 février, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a estimé que les viandes issues de l’abattage rituel sans étourdissement préalable ne pouvaient pas être commercialisées sous le label « Agriculture biologique » (AB). Le motif invoqué est que cette méthode de sacrifice ne respecte pas les règles du droit européen en la matière.
Cet avis tranche le litige qui oppose, depuis sept ans, l’Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs (OABA) à la France. Le long feuilleton procédural commence en 2012 lorsque l’association de défense des animaux s’alarme d’une publicité pour des steaks hachés sous label AB, certifiés par l’association A votre service (AVS) et commercialisés par l’entreprise BioNoor, installée à Aulnay-sous-Bois, en région parisienne.
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Comment le « halal » est devenu un marché
« AVS est un des organismes certificateurs halal qui prônent un abattage sans étourdissement. Si bien que les animaux, bovins ou ovins, mettent plusieurs minutes avant de perdre conscience après avoir été égorgés », souligne Frédéric Freund, directeur d’OABA.
Estimant que cette pratique est incompatible avec le règlement européen qui régit le bio, l’association interpelle donc Ecocert, l’organisme français chargé de la certification et du contrôle des produits issus de l’agriculture biologique, qui a accordé à BioNoor le droit d’apposer le logo AB sur ses emballages.
« Ecocert maintenant sa décision, nous sommes montés d’un cran pour saisir l’INAO, qui assure la protection des sigles de qualité, et jusqu’au ministère de l’agriculture qui est l’autorité nationale garante du respect des textes européens », poursuit Frédéric Freund.
Laissée étrangement sans réponse, l’OABA se tourne alors vers le Conseil d’État qui, en octobre 2014, renvoie l’affaire devant le tribunal administratif de Montreuil. En janvier 2016, la juridiction déboute de sa demande l’OABA qui fait appel. Et ce n’est qu’en juillet 2017 que la cour administrative d’appel de Versailles décide de poser une « question préjudicielle » à la CJUE.
La réponse de la Cour du Luxembourg est sans ambiguïté. Elle reconnaît, certes, que la pratique de l’abattage rituel sans étourdissement préalable est autorisée par dérogation en Europe dans « le but d’assurer le respect de la liberté de religion ». Mais elle souligne que la législation communautaire sur l’agriculture biologique met en avant l’exigence de « normes élevées en matière de bien-être animal », notamment « une souffrance réduite au minimum pendant toute la durée de vie de l’animal, y compris lors de l’abattage ». Ce que ne garantit pas l’abattage d’animaux sans insensibilisation.
« Cet arrêt vient rappeler que le bien-être animal est protégé par le droit européen, se réjouit le docteur vétérinaire Jean-Pierre Kieffer, président de l’OABA. Mais il est tout de même révoltant qu’il ait fallu saisir les plus hautes autorités juridictionnelles pour que le ministère de l’agriculture soit obligé de l’appliquer. »
Contactés par La Croix, aucun des responsables de BioNoor n’était joignable vendredi 1er mars. Sur le site de cette entreprise qui a été la première en France à proposer de la viande bio et halal au nom du « droit de manger sain(t) », son directeur, Hadj Khelil, affirmait, en septembre 2017, être victime « de militants de la cause animale », évoquant « une crispation par rapport à tout ce qui touche à l’islam pour certains ».
« Cet argument ne tient pas car il y a des pays comme l’Arabie saoudite ou la Malaisie et des communautés musulmanes en Europe qui acceptent l’étourdissement de l’animal. Nous n’avons rien contre la religion. Ce qui nous choque, c’est la souffrance inutile », réplique Frédéric Freund.
L’enjeu est aussi économique. L’arrêt de la CJUE pèsera lourd dans la décision que doit rendre, d’ici à la fin de l’année, la cour administrative d’appel de Versailles.
Si, comme il est plus que probable, elle déclare qu’une viande ne peut être halal, ou casher, et bio si l’animal n’a pas été étourdi avant d’être sacrifié, le coup risque d’être dur pour BioNoor et tous les autres acteurs engagés dans ce secteur. Au total, le marché alimentaire rituel est estimé à plus de 5 milliards d’euros par an.
Antoine d’Abbundo
Antoine d’Abbundo , le 01/03/2019 à 14h08
Mis à jour le 03/03/2019 à 9h42
[size=20]Un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne estime que le sacrifice d’animaux sans insensibilisation est incompatible avec les règles du bien-être animal en agriculture biologique. Cette décision, rendue public mardi 26 février, va bouleverser le marché de l’alimentaire rituel, « halal » pour les musulmans, « casher » pour les juifs.[/size]
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Une usine de négoce de viande. / Matthieu Botte/Voix du Nord/MaxPPP
L’information est passée quasi inaperçue. Elle est pourtant capitale pour un marché de l’alimentaire rituel (« halal » pour les musulmans, « casher » pour les juifs) en pleine expansion en France.
Dans un arrêt rendu public mardi 26 février, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a estimé que les viandes issues de l’abattage rituel sans étourdissement préalable ne pouvaient pas être commercialisées sous le label « Agriculture biologique » (AB). Le motif invoqué est que cette méthode de sacrifice ne respecte pas les règles du droit européen en la matière.
Un long feuilleton judiciaire
Cet avis tranche le litige qui oppose, depuis sept ans, l’Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs (OABA) à la France. Le long feuilleton procédural commence en 2012 lorsque l’association de défense des animaux s’alarme d’une publicité pour des steaks hachés sous label AB, certifiés par l’association A votre service (AVS) et commercialisés par l’entreprise BioNoor, installée à Aulnay-sous-Bois, en région parisienne.
À lire aussi
Comment le « halal » est devenu un marché
« AVS est un des organismes certificateurs halal qui prônent un abattage sans étourdissement. Si bien que les animaux, bovins ou ovins, mettent plusieurs minutes avant de perdre conscience après avoir été égorgés », souligne Frédéric Freund, directeur d’OABA.
Estimant que cette pratique est incompatible avec le règlement européen qui régit le bio, l’association interpelle donc Ecocert, l’organisme français chargé de la certification et du contrôle des produits issus de l’agriculture biologique, qui a accordé à BioNoor le droit d’apposer le logo AB sur ses emballages.
L’étrange silence du ministère de l’agriculture
« Ecocert maintenant sa décision, nous sommes montés d’un cran pour saisir l’INAO, qui assure la protection des sigles de qualité, et jusqu’au ministère de l’agriculture qui est l’autorité nationale garante du respect des textes européens », poursuit Frédéric Freund.
Laissée étrangement sans réponse, l’OABA se tourne alors vers le Conseil d’État qui, en octobre 2014, renvoie l’affaire devant le tribunal administratif de Montreuil. En janvier 2016, la juridiction déboute de sa demande l’OABA qui fait appel. Et ce n’est qu’en juillet 2017 que la cour administrative d’appel de Versailles décide de poser une « question préjudicielle » à la CJUE.
Une réponse sans ambiguïté
La réponse de la Cour du Luxembourg est sans ambiguïté. Elle reconnaît, certes, que la pratique de l’abattage rituel sans étourdissement préalable est autorisée par dérogation en Europe dans « le but d’assurer le respect de la liberté de religion ». Mais elle souligne que la législation communautaire sur l’agriculture biologique met en avant l’exigence de « normes élevées en matière de bien-être animal », notamment « une souffrance réduite au minimum pendant toute la durée de vie de l’animal, y compris lors de l’abattage ». Ce que ne garantit pas l’abattage d’animaux sans insensibilisation.
« Cet arrêt vient rappeler que le bien-être animal est protégé par le droit européen, se réjouit le docteur vétérinaire Jean-Pierre Kieffer, président de l’OABA. Mais il est tout de même révoltant qu’il ait fallu saisir les plus hautes autorités juridictionnelles pour que le ministère de l’agriculture soit obligé de l’appliquer. »
Le halal, bouc émissaire ?
Contactés par La Croix, aucun des responsables de BioNoor n’était joignable vendredi 1er mars. Sur le site de cette entreprise qui a été la première en France à proposer de la viande bio et halal au nom du « droit de manger sain(t) », son directeur, Hadj Khelil, affirmait, en septembre 2017, être victime « de militants de la cause animale », évoquant « une crispation par rapport à tout ce qui touche à l’islam pour certains ».
« Cet argument ne tient pas car il y a des pays comme l’Arabie saoudite ou la Malaisie et des communautés musulmanes en Europe qui acceptent l’étourdissement de l’animal. Nous n’avons rien contre la religion. Ce qui nous choque, c’est la souffrance inutile », réplique Frédéric Freund.
L’enjeu est aussi économique. L’arrêt de la CJUE pèsera lourd dans la décision que doit rendre, d’ici à la fin de l’année, la cour administrative d’appel de Versailles.
Si, comme il est plus que probable, elle déclare qu’une viande ne peut être halal, ou casher, et bio si l’animal n’a pas été étourdi avant d’être sacrifié, le coup risque d’être dur pour BioNoor et tous les autres acteurs engagés dans ce secteur. Au total, le marché alimentaire rituel est estimé à plus de 5 milliards d’euros par an.
Antoine d’Abbundo