Jean-Marc Sauvé, un haut-fonctionnaire pour enquêter sur l'Église
[size=14]Publié le 13/11/2018 à 18h21 - Modifié le 14/11/2018 à 10h58Bénédicte Lutaud, Sixtine Chartier et Sophie Lebrun
Lionel Bonaventure/AFP
[/size]
Une annonce immédiatement accueillie positivement par une victime très engagée dans le dialogue avec les évêques : « Je suis contente que ce soit allée vite, c’est un bon signal. »
Les évêques annoncent “une commission indépendante” sur les abus sexuels
« Nous cherchions une personnalité dont la crédibilité et la notoriété seraient garantes de son impartialité et de son indépendance. Les évêques ont proposé un certain nombre de noms, et c’est celui-ci qui a été retenu par Mgr Pontier : le vice-président du Conseil d’État est tout de même le plus haut magistrat français »,commente Olivier Ribadeau-Dumas, porte-parole de la CEF, précisant que Mgr Pontier a eu l’occasion, par le passé, de rencontrer à plusieurs reprises Jean-Marc Sauvé.
« Je pensais qu’il fallait un juriste et il en est un, c’est une bonne nouvelle, estime Yves Hamant, historien engagé dans l’Église contre les abus. C’est un homme d’expérience et indépendant, cela me parait une bonne solution. Car sa mission, à mes yeux, ne sera pas de faire uniquement un bilan du passé, mais aussi d’agir pour la justice, faire des propositions concrètes pour l’immédiat, améliorer les procédures judiciaires dans l’Église. »
[size=26]Je me reconnais au moins deux qualités : l’impavidité et la combativité. Je ne lâche rien.
– Jean-Marc Sauvé
Après être resté plus de dix ans secrétaire général du gouvernement où il servira quatre Premiers ministres, il est nommé en février 2007 vice-président du Conseil d’État. Il a confié avoir été atteint par certaines questions de société soumises à l’institution, telle l’arrêt des soins en faveur de Vincent Lambert. En 2010, il est cité à comparaître par l’accusation au procès de l’ancien ministre Charles Pasqua. « Le procureur général m’a demandé si j’avais subi des pressions. Jamais. J’ai toujours pensé que les pressions n’existent que pour ceux qui sont prêts à y céder, confiait-il au site juridique Dalloz Actualité en mai 2018. Je me reconnais au moins deux qualités : l’impavidité et la combativité. Je ne lâche rien. Sans doute parce que je suis issu d’une longue lignée de paysans, des gens libres se confrontant tous les jours à la nature. »[/size]
Une commission utile mais tardive
Le haut fonctionnaire, qui devait être officiellement à la retraite depuis le 28 mai, ne s’est en réalité jamais arrêté : son temps est désormais consacré aux jeunes. Élu président de la Cité internationale universitaire à Paris, il est aussi président, depuis juillet 2018, de la Fondation Apprentis d’Auteuil – créée en 1866 par l’abbé Louis Roussel – qui œuvre pour la formation et l’insertion de jeunes en difficulté sociale.
« Au titre de son parcours, je pense que c’est un choix incontestable, commente pour sa part Véronique Margron, présidente de la Conférence des religieux et religieuses de France (Corref). C’est un grand serviteur de l’État qui a montré par mille missions périlleuse et difficile qu’il était à la hauteur de la situation avec impartialité. C’était difficile de trouver mieux. » Son engagement à la Fondation Apprentis d’Auteuil, par ailleurs, « montre un intérêt pour des enfants ou des jeunes sérieusement abîmés par la vie. On peut penser que cet homme travaillera avec une totale intégrité et aussi avec un souci constant des personnes victimes ».
Pour cette autre personne abusée pendant son enfance, sa connaissance du milieu catholique lui sera au contraire utile : « Il a connu les mutations de l’Église ces dernières décennies, un atout pour mieux la comprendre… et la faire évoluer. Mais une personne sans un process et des moyens, vu la lourdeur de l'institution, n'est rien. Il faut une feuille de route, des moyens, sur lesquels un pourcentage significatif d’évêques soient d'accords. »
[size=26]Il me semblera important qu’il s'entoure de personnes non catholiques. Nous avons besoin de ce regard extérieur.
– Une victime d'abus
De son côté, Catherine Bonnet, pédopsychiatre, ancienne membre de la Commission pontificale pour la protection des mineurs, salue ce choix : il fallait « quelqu’un d’autorité ». Et maintenant ? « Il faut que les victimes soient auditionnées en premier, peut-être publiquement. Car la protection des enfants aujourd’hui passe par les leçons à tirer des enfants d’hier. En effet, les victimes ayant osé parlé tout haut en France sont des personnes qui ont réfléchi, elles sont celles qui peuvent vraiment expliquer là où il y a eu des défaillances. » L’autre objectif de cette commission devrait être, selon la pédopsychiatre, de « faire une étude épidémiologique », un véritable état des lieux qui s’inscrive dans l’histoire de la maltraitance en France. Enfin, il sera important d’« écouter des prêtres, des religieux, des religieuses, et des laïcs pour savoir ce que les gens attendent ».
Marie-Jo Thiel, première à avoir alerté les évêques sur l’impact de l’abus sexuels sur les mineurs dès 2001, ajoute : « Seul le rapport d’une commission impartiale et compétente permettra non seulement d’y voir clair mais aussi, espérons-le, d’apporter les “remèdes” – sur la gouvernementalité en particulier – pour, selon la mission de Dieu à Jérémie, “arracher” ce qui doit l’être et ensuite “planter et reconstruire”. »
La Corref s’associe pleinement au travail de la commission d’enquête indépendante
« L’assemblée de la Corref, qui vient de s’achever à Lourdes, a décidé de s’associer pleinement au travail de la commission qui sera engagé et aux investigations. Il ne s’agira pas simplement de répondre aux questions, mais aussi de faire en sorte que cette commission puisse rencontrer les personnes et les responsables qu’elle souhaite, et fournir les documents nécessaires. Après, on ne peut pas attendre de l’Église diocésaine comme de la vie religieuse d’avoir partout des archives, comme cela existe dans d’autres institutions… On ne peut donc penser que tout le travail ne sera réalité qu’à partir de documents : il faudra aussi rencontrer des responsables, des victimes, essayer de remonter le fil de l’histoire. Il y a autant une mémoire de l’histoire orale qu’une mémoire archivistique. Concernant un sujet aussi tragique dans une institution aussi vaste, je suppose qu’il convient de croiser aux moins deux approches. »
Véronique Margron, présidente de la Corref[/size]
Publié le 13/11/2018 à 18h21 - Modifié le 14/11/2018 à 10h58Bénédicte Lutaud, Sixtine Chartier et Sophie Lebrun
Les spéculations allaient bon train : c’est finalement le nom de Jean-Marc Sauvé, vice-président honoraire du Conseil d’État, qui a été retenu par les évêques français pour diriger la commission d’enquête indépendante « chargée de faire la lumière » sur les actes de pédophilie commis dans l’Église catholique depuis 1950. C’est ce qu’a annoncé la Conférence des évêques de France (CEF) le 13 novembre, dans un communiqué, six jours après avoir fait part de sa décision de créer cette commission, au terme d’une assemblée plénière à Lourdes marquée par une rencontre avec des victimes d’abus.
Une annonce immédiatement accueillie positivement par une victime très engagée dans le dialogue avec les évêques : « Je suis contente que ce soit allée vite, c’est un bon signal. »
Jean-Marc Sauvé sera aussi chargé de désigner les membres de la commission, précise le communiqué de la CEF. Il doit rencontrer Georges Pontier, président de la CEF, « prochainement » afin de « préciser les objectifs de cette commission et étudier les moyens nécessaires pour son bon fonctionnement ».
Les évêques annoncent “une commission indépendante” sur les abus sexuels
« Nous cherchions une personnalité dont la crédibilité et la notoriété seraient garantes de son impartialité et de son indépendance. Les évêques ont proposé un certain nombre de noms, et c’est celui-ci qui a été retenu par Mgr Pontier : le vice-président du Conseil d’État est tout de même le plus haut magistrat français »,commente Olivier Ribadeau-Dumas, porte-parole de la CEF, précisant que Mgr Pontier a eu l’occasion, par le passé, de rencontrer à plusieurs reprises Jean-Marc Sauvé.
« Je pensais qu’il fallait un juriste et il en est un, c’est une bonne nouvelle, estime Yves Hamant, historien engagé dans l’Église contre les abus. C’est un homme d’expérience et indépendant, cela me parait une bonne solution. Car sa mission, à mes yeux, ne sera pas de faire uniquement un bilan du passé, mais aussi d’agir pour la justice, faire des propositions concrètes pour l’immédiat, améliorer les procédures judiciaires dans l’Église. »
Âgé de 69 ans, ce haut fonctionnaire a notamment été secrétaire général du gouvernement (de 1995 à 2006) et vice-président du Conseil d’État. Fils de paysans de la Somme – des catholiques fervents –, Jean-Marc Sauvé hésite longtemps entre l’appel de la foi et le service de l’État. Après deux ans au noviciat des jésuites, il rejoint finalement l’Ena. Proche de la gauche – ancien membre du PS –, à l’arrivée de François Mitterrand en 1981, il devient conseiller auprès du garde des Sceaux, Robert Badinter, et participe aux grandes réformes de l’époque telle l’abolition de la peine de mort.
Je me reconnais au moins deux qualités : l’impavidité et la combativité. Je ne lâche rien.
– Jean-Marc Sauvé
Après être resté plus de dix ans secrétaire général du gouvernement où il servira quatre Premiers ministres, il est nommé en février 2007 vice-président du Conseil d’État. Il a confié avoir été atteint par certaines questions de société soumises à l’institution, telle l’arrêt des soins en faveur de Vincent Lambert. En 2010, il est cité à comparaître par l’accusation au procès de l’ancien ministre Charles Pasqua. « Le procureur général m’a demandé si j’avais subi des pressions. Jamais. J’ai toujours pensé que les pressions n’existent que pour ceux qui sont prêts à y céder, confiait-il au site juridique Dalloz Actualité en mai 2018. Je me reconnais au moins deux qualités : l’impavidité et la combativité. Je ne lâche rien. Sans doute parce que je suis issu d’une longue lignée de paysans, des gens libres se confrontant tous les jours à la nature. »
« Jean-Marc Sauvé a assumé tant de responsabilités diverses avec tant de compétences que je ne peux que me réjouir qu’il ait accepté cette présidence supplémentaire, salue Marie-Jo Thiel, médecin et professeur d'éthique à l'Université de Strasbourg. Il a tout à la fois l’impartialité, le dynamisme et la compétence pour mener à bien un travail dont j’imagine aussi la complexité, la lourdeur, les obstacles. »
Une commission utile mais tardive
Le haut fonctionnaire, qui devait être officiellement à la retraite depuis le 28 mai, ne s’est en réalité jamais arrêté : son temps est désormais consacré aux jeunes. Élu président de la Cité internationale universitaire à Paris, il est aussi président, depuis juillet 2018, de la Fondation Apprentis d’Auteuil – créée en 1866 par l’abbé Louis Roussel – qui œuvre pour la formation et l’insertion de jeunes en difficulté sociale.
« Au titre de son parcours, je pense que c’est un choix incontestable, commente pour sa part Véronique Margron, présidente de la Conférence des religieux et religieuses de France (Corref). C’est un grand serviteur de l’État qui a montré par mille missions périlleuse et difficile qu’il était à la hauteur de la situation avec impartialité. C’était difficile de trouver mieux. » Son engagement à la Fondation Apprentis d’Auteuil, par ailleurs, « montre un intérêt pour des enfants ou des jeunes sérieusement abîmés par la vie. On peut penser que cet homme travaillera avec une totale intégrité et aussi avec un souci constant des personnes victimes ».
Un profil de « catholique engagé » qui interpelle tout de même une victime : « Je trouve son profil très… catholique. Je ne dis pas qu’il ne faut pas qu’il le soit, mais j’ai peur qu’il soit trop proche de l’Église pour pouvoir regarder les choses avec distance. Il me semblera important qu’il s'entoure de personnes non catholiques. Nous avons besoin de ce regard extérieur. »
Pour cette autre personne abusée pendant son enfance, sa connaissance du milieu catholique lui sera au contraire utile : « Il a connu les mutations de l’Église ces dernières décennies, un atout pour mieux la comprendre… et la faire évoluer. Mais une personne sans un process et des moyens, vu la lourdeur de l'institution, n'est rien. Il faut une feuille de route, des moyens, sur lesquels un pourcentage significatif d’évêques soient d'accords. »
Il me semblera important qu’il s'entoure de personnes non catholiques. Nous avons besoin de ce regard extérieur.
– Une victime d'abus
De son côté, Catherine Bonnet, pédopsychiatre, ancienne membre de la Commission pontificale pour la protection des mineurs, salue ce choix : il fallait « quelqu’un d’autorité ». Et maintenant ? « Il faut que les victimes soient auditionnées en premier, peut-être publiquement. Car la protection des enfants aujourd’hui passe par les leçons à tirer des enfants d’hier. En effet, les victimes ayant osé parlé tout haut en France sont des personnes qui ont réfléchi, elles sont celles qui peuvent vraiment expliquer là où il y a eu des défaillances. » L’autre objectif de cette commission devrait être, selon la pédopsychiatre, de « faire une étude épidémiologique », un véritable état des lieux qui s’inscrive dans l’histoire de la maltraitance en France. Enfin, il sera important d’« écouter des prêtres, des religieux, des religieuses, et des laïcs pour savoir ce que les gens attendent ».
Marie-Jo Thiel, première à avoir alerté les évêques sur l’impact de l’abus sexuels sur les mineurs dès 2001, ajoute : « Seul le rapport d’une commission impartiale et compétente permettra non seulement d’y voir clair mais aussi, espérons-le, d’apporter les “remèdes” – sur la gouvernementalité en particulier – pour, selon la mission de Dieu à Jérémie, “arracher” ce qui doit l’être et ensuite “planter et reconstruire”. »
La Corref s’associe pleinement au travail de la commission d’enquête indépendante
« L’assemblée de la Corref, qui vient de s’achever à Lourdes, a décidé de s’associer pleinement au travail de la commission qui sera engagé et aux investigations. Il ne s’agira pas simplement de répondre aux questions, mais aussi de faire en sorte que cette commission puisse rencontrer les personnes et les responsables qu’elle souhaite, et fournir les documents nécessaires. Après, on ne peut pas attendre de l’Église diocésaine comme de la vie religieuse d’avoir partout des archives, comme cela existe dans d’autres institutions… On ne peut donc penser que tout le travail ne sera réalité qu’à partir de documents : il faudra aussi rencontrer des responsables, des victimes, essayer de remonter le fil de l’histoire. Il y a autant une mémoire de l’histoire orale qu’une mémoire archivistique. Concernant un sujet aussi tragique dans une institution aussi vaste, je suppose qu’il convient de croiser aux moins deux approches. »
Véronique Margron, présidente de la Corref
[size=14]Publié le 13/11/2018 à 18h21 - Modifié le 14/11/2018 à 10h58Bénédicte Lutaud, Sixtine Chartier et Sophie Lebrun
Lionel Bonaventure/AFP
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Moins d'une semaine après avoir annoncé la création d'une commission d'enquête indépendante sur la pédophilie dans l'Église catholique, les évêques ont nommé Jean-Marc Sauvé pour composer et présider cette commission. Un choix bien accueilli par les victimes et ceux qui travaillent sur ces questions.
Les spéculations allaient bon train : c’est finalement le nom de Jean-Marc Sauvé, vice-président honoraire du Conseil d’État, qui a été retenu par les évêques français pour diriger la commission d’enquête indépendante « chargée de faire la lumière » sur les actes de pédophilie commis dans l’Église catholique depuis 1950. C’est ce qu’a annoncé la Conférence des évêques de France (CEF) le 13 novembre, dans un communiqué, six jours après avoir fait part de sa décision de créer cette commission, au terme d’une assemblée plénière à Lourdes marquée par une rencontre avec des victimes d’abus.Une annonce immédiatement accueillie positivement par une victime très engagée dans le dialogue avec les évêques : « Je suis contente que ce soit allée vite, c’est un bon signal. »
Un haut magistrat
Jean-Marc Sauvé sera aussi chargé de désigner les membres de la commission, précise le communiqué de la CEF. Il doit rencontrer Georges Pontier, président de la CEF, « prochainement » afin de « préciser les objectifs de cette commission et étudier les moyens nécessaires pour son bon fonctionnement ».Les évêques annoncent “une commission indépendante” sur les abus sexuels
« Nous cherchions une personnalité dont la crédibilité et la notoriété seraient garantes de son impartialité et de son indépendance. Les évêques ont proposé un certain nombre de noms, et c’est celui-ci qui a été retenu par Mgr Pontier : le vice-président du Conseil d’État est tout de même le plus haut magistrat français »,commente Olivier Ribadeau-Dumas, porte-parole de la CEF, précisant que Mgr Pontier a eu l’occasion, par le passé, de rencontrer à plusieurs reprises Jean-Marc Sauvé.
« Je pensais qu’il fallait un juriste et il en est un, c’est une bonne nouvelle, estime Yves Hamant, historien engagé dans l’Église contre les abus. C’est un homme d’expérience et indépendant, cela me parait une bonne solution. Car sa mission, à mes yeux, ne sera pas de faire uniquement un bilan du passé, mais aussi d’agir pour la justice, faire des propositions concrètes pour l’immédiat, améliorer les procédures judiciaires dans l’Église. »
Un homme d’État
Âgé de 69 ans, ce haut fonctionnaire a notamment été secrétaire général du gouvernement (de 1995 à 2006) et vice-président du Conseil d’État. Fils de paysans de la Somme – des catholiques fervents –, Jean-Marc Sauvé hésite longtemps entre l’appel de la foi et le service de l’État. Après deux ans au noviciat des jésuites, il rejoint finalement l’Ena. Proche de la gauche – ancien membre du PS –, à l’arrivée de François Mitterrand en 1981, il devient conseiller auprès du garde des Sceaux, Robert Badinter, et participe aux grandes réformes de l’époque telle l’abolition de la peine de mort.[size=26]Je me reconnais au moins deux qualités : l’impavidité et la combativité. Je ne lâche rien.
– Jean-Marc Sauvé
Après être resté plus de dix ans secrétaire général du gouvernement où il servira quatre Premiers ministres, il est nommé en février 2007 vice-président du Conseil d’État. Il a confié avoir été atteint par certaines questions de société soumises à l’institution, telle l’arrêt des soins en faveur de Vincent Lambert. En 2010, il est cité à comparaître par l’accusation au procès de l’ancien ministre Charles Pasqua. « Le procureur général m’a demandé si j’avais subi des pressions. Jamais. J’ai toujours pensé que les pressions n’existent que pour ceux qui sont prêts à y céder, confiait-il au site juridique Dalloz Actualité en mai 2018. Je me reconnais au moins deux qualités : l’impavidité et la combativité. Je ne lâche rien. Sans doute parce que je suis issu d’une longue lignée de paysans, des gens libres se confrontant tous les jours à la nature. »[/size]
Impartialité
« Jean-Marc Sauvé a assumé tant de responsabilités diverses avec tant de compétences que je ne peux que me réjouir qu’il ait accepté cette présidence supplémentaire, salue Marie-Jo Thiel, médecin et professeur d'éthique à l'Université de Strasbourg. Il a tout à la fois l’impartialité, le dynamisme et la compétence pour mener à bien un travail dont j’imagine aussi la complexité, la lourdeur, les obstacles. »Une commission utile mais tardive
Le haut fonctionnaire, qui devait être officiellement à la retraite depuis le 28 mai, ne s’est en réalité jamais arrêté : son temps est désormais consacré aux jeunes. Élu président de la Cité internationale universitaire à Paris, il est aussi président, depuis juillet 2018, de la Fondation Apprentis d’Auteuil – créée en 1866 par l’abbé Louis Roussel – qui œuvre pour la formation et l’insertion de jeunes en difficulté sociale.
« Au titre de son parcours, je pense que c’est un choix incontestable, commente pour sa part Véronique Margron, présidente de la Conférence des religieux et religieuses de France (Corref). C’est un grand serviteur de l’État qui a montré par mille missions périlleuse et difficile qu’il était à la hauteur de la situation avec impartialité. C’était difficile de trouver mieux. » Son engagement à la Fondation Apprentis d’Auteuil, par ailleurs, « montre un intérêt pour des enfants ou des jeunes sérieusement abîmés par la vie. On peut penser que cet homme travaillera avec une totale intégrité et aussi avec un souci constant des personnes victimes ».
Catholique engagé
Un profil de « catholique engagé » qui interpelle tout de même une victime : « Je trouve son profil très… catholique. Je ne dis pas qu’il ne faut pas qu’il le soit, mais j’ai peur qu’il soit trop proche de l’Église pour pouvoir regarder les choses avec distance. Il me semblera important qu’il s'entoure de personnes non catholiques. Nous avons besoin de ce regard extérieur. »Pour cette autre personne abusée pendant son enfance, sa connaissance du milieu catholique lui sera au contraire utile : « Il a connu les mutations de l’Église ces dernières décennies, un atout pour mieux la comprendre… et la faire évoluer. Mais une personne sans un process et des moyens, vu la lourdeur de l'institution, n'est rien. Il faut une feuille de route, des moyens, sur lesquels un pourcentage significatif d’évêques soient d'accords. »
[size=26]Il me semblera important qu’il s'entoure de personnes non catholiques. Nous avons besoin de ce regard extérieur.
– Une victime d'abus
De son côté, Catherine Bonnet, pédopsychiatre, ancienne membre de la Commission pontificale pour la protection des mineurs, salue ce choix : il fallait « quelqu’un d’autorité ». Et maintenant ? « Il faut que les victimes soient auditionnées en premier, peut-être publiquement. Car la protection des enfants aujourd’hui passe par les leçons à tirer des enfants d’hier. En effet, les victimes ayant osé parlé tout haut en France sont des personnes qui ont réfléchi, elles sont celles qui peuvent vraiment expliquer là où il y a eu des défaillances. » L’autre objectif de cette commission devrait être, selon la pédopsychiatre, de « faire une étude épidémiologique », un véritable état des lieux qui s’inscrive dans l’histoire de la maltraitance en France. Enfin, il sera important d’« écouter des prêtres, des religieux, des religieuses, et des laïcs pour savoir ce que les gens attendent ».
Marie-Jo Thiel, première à avoir alerté les évêques sur l’impact de l’abus sexuels sur les mineurs dès 2001, ajoute : « Seul le rapport d’une commission impartiale et compétente permettra non seulement d’y voir clair mais aussi, espérons-le, d’apporter les “remèdes” – sur la gouvernementalité en particulier – pour, selon la mission de Dieu à Jérémie, “arracher” ce qui doit l’être et ensuite “planter et reconstruire”. »
La Corref s’associe pleinement au travail de la commission d’enquête indépendante
« L’assemblée de la Corref, qui vient de s’achever à Lourdes, a décidé de s’associer pleinement au travail de la commission qui sera engagé et aux investigations. Il ne s’agira pas simplement de répondre aux questions, mais aussi de faire en sorte que cette commission puisse rencontrer les personnes et les responsables qu’elle souhaite, et fournir les documents nécessaires. Après, on ne peut pas attendre de l’Église diocésaine comme de la vie religieuse d’avoir partout des archives, comme cela existe dans d’autres institutions… On ne peut donc penser que tout le travail ne sera réalité qu’à partir de documents : il faudra aussi rencontrer des responsables, des victimes, essayer de remonter le fil de l’histoire. Il y a autant une mémoire de l’histoire orale qu’une mémoire archivistique. Concernant un sujet aussi tragique dans une institution aussi vaste, je suppose qu’il convient de croiser aux moins deux approches. »
Véronique Margron, présidente de la Corref[/size]
Publié le 13/11/2018 à 18h21 - Modifié le 14/11/2018 à 10h58Bénédicte Lutaud, Sixtine Chartier et Sophie Lebrun
Moins d'une semaine après avoir annoncé la création d'une commission d'enquête indépendante sur la pédophilie dans l'Église catholique, les évêques ont nommé Jean-Marc Sauvé pour composer et présider cette commission. Un choix bien accueilli par les victimes et ceux qui travaillent sur ces questions.
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Les spéculations allaient bon train : c’est finalement le nom de Jean-Marc Sauvé, vice-président honoraire du Conseil d’État, qui a été retenu par les évêques français pour diriger la commission d’enquête indépendante « chargée de faire la lumière » sur les actes de pédophilie commis dans l’Église catholique depuis 1950. C’est ce qu’a annoncé la Conférence des évêques de France (CEF) le 13 novembre, dans un communiqué, six jours après avoir fait part de sa décision de créer cette commission, au terme d’une assemblée plénière à Lourdes marquée par une rencontre avec des victimes d’abus.
Une annonce immédiatement accueillie positivement par une victime très engagée dans le dialogue avec les évêques : « Je suis contente que ce soit allée vite, c’est un bon signal. »
Un haut magistrat
Jean-Marc Sauvé sera aussi chargé de désigner les membres de la commission, précise le communiqué de la CEF. Il doit rencontrer Georges Pontier, président de la CEF, « prochainement » afin de « préciser les objectifs de cette commission et étudier les moyens nécessaires pour son bon fonctionnement ».
Les évêques annoncent “une commission indépendante” sur les abus sexuels
« Nous cherchions une personnalité dont la crédibilité et la notoriété seraient garantes de son impartialité et de son indépendance. Les évêques ont proposé un certain nombre de noms, et c’est celui-ci qui a été retenu par Mgr Pontier : le vice-président du Conseil d’État est tout de même le plus haut magistrat français »,commente Olivier Ribadeau-Dumas, porte-parole de la CEF, précisant que Mgr Pontier a eu l’occasion, par le passé, de rencontrer à plusieurs reprises Jean-Marc Sauvé.
« Je pensais qu’il fallait un juriste et il en est un, c’est une bonne nouvelle, estime Yves Hamant, historien engagé dans l’Église contre les abus. C’est un homme d’expérience et indépendant, cela me parait une bonne solution. Car sa mission, à mes yeux, ne sera pas de faire uniquement un bilan du passé, mais aussi d’agir pour la justice, faire des propositions concrètes pour l’immédiat, améliorer les procédures judiciaires dans l’Église. »
Un homme d’État
Âgé de 69 ans, ce haut fonctionnaire a notamment été secrétaire général du gouvernement (de 1995 à 2006) et vice-président du Conseil d’État. Fils de paysans de la Somme – des catholiques fervents –, Jean-Marc Sauvé hésite longtemps entre l’appel de la foi et le service de l’État. Après deux ans au noviciat des jésuites, il rejoint finalement l’Ena. Proche de la gauche – ancien membre du PS –, à l’arrivée de François Mitterrand en 1981, il devient conseiller auprès du garde des Sceaux, Robert Badinter, et participe aux grandes réformes de l’époque telle l’abolition de la peine de mort.
Je me reconnais au moins deux qualités : l’impavidité et la combativité. Je ne lâche rien.
– Jean-Marc Sauvé
Après être resté plus de dix ans secrétaire général du gouvernement où il servira quatre Premiers ministres, il est nommé en février 2007 vice-président du Conseil d’État. Il a confié avoir été atteint par certaines questions de société soumises à l’institution, telle l’arrêt des soins en faveur de Vincent Lambert. En 2010, il est cité à comparaître par l’accusation au procès de l’ancien ministre Charles Pasqua. « Le procureur général m’a demandé si j’avais subi des pressions. Jamais. J’ai toujours pensé que les pressions n’existent que pour ceux qui sont prêts à y céder, confiait-il au site juridique Dalloz Actualité en mai 2018. Je me reconnais au moins deux qualités : l’impavidité et la combativité. Je ne lâche rien. Sans doute parce que je suis issu d’une longue lignée de paysans, des gens libres se confrontant tous les jours à la nature. »
Impartialité
« Jean-Marc Sauvé a assumé tant de responsabilités diverses avec tant de compétences que je ne peux que me réjouir qu’il ait accepté cette présidence supplémentaire, salue Marie-Jo Thiel, médecin et professeur d'éthique à l'Université de Strasbourg. Il a tout à la fois l’impartialité, le dynamisme et la compétence pour mener à bien un travail dont j’imagine aussi la complexité, la lourdeur, les obstacles. »
Une commission utile mais tardive
Le haut fonctionnaire, qui devait être officiellement à la retraite depuis le 28 mai, ne s’est en réalité jamais arrêté : son temps est désormais consacré aux jeunes. Élu président de la Cité internationale universitaire à Paris, il est aussi président, depuis juillet 2018, de la Fondation Apprentis d’Auteuil – créée en 1866 par l’abbé Louis Roussel – qui œuvre pour la formation et l’insertion de jeunes en difficulté sociale.
« Au titre de son parcours, je pense que c’est un choix incontestable, commente pour sa part Véronique Margron, présidente de la Conférence des religieux et religieuses de France (Corref). C’est un grand serviteur de l’État qui a montré par mille missions périlleuse et difficile qu’il était à la hauteur de la situation avec impartialité. C’était difficile de trouver mieux. » Son engagement à la Fondation Apprentis d’Auteuil, par ailleurs, « montre un intérêt pour des enfants ou des jeunes sérieusement abîmés par la vie. On peut penser que cet homme travaillera avec une totale intégrité et aussi avec un souci constant des personnes victimes ».
Catholique engagé
Un profil de « catholique engagé » qui interpelle tout de même une victime : « Je trouve son profil très… catholique. Je ne dis pas qu’il ne faut pas qu’il le soit, mais j’ai peur qu’il soit trop proche de l’Église pour pouvoir regarder les choses avec distance. Il me semblera important qu’il s'entoure de personnes non catholiques. Nous avons besoin de ce regard extérieur. »
Pour cette autre personne abusée pendant son enfance, sa connaissance du milieu catholique lui sera au contraire utile : « Il a connu les mutations de l’Église ces dernières décennies, un atout pour mieux la comprendre… et la faire évoluer. Mais une personne sans un process et des moyens, vu la lourdeur de l'institution, n'est rien. Il faut une feuille de route, des moyens, sur lesquels un pourcentage significatif d’évêques soient d'accords. »
Il me semblera important qu’il s'entoure de personnes non catholiques. Nous avons besoin de ce regard extérieur.
– Une victime d'abus
De son côté, Catherine Bonnet, pédopsychiatre, ancienne membre de la Commission pontificale pour la protection des mineurs, salue ce choix : il fallait « quelqu’un d’autorité ». Et maintenant ? « Il faut que les victimes soient auditionnées en premier, peut-être publiquement. Car la protection des enfants aujourd’hui passe par les leçons à tirer des enfants d’hier. En effet, les victimes ayant osé parlé tout haut en France sont des personnes qui ont réfléchi, elles sont celles qui peuvent vraiment expliquer là où il y a eu des défaillances. » L’autre objectif de cette commission devrait être, selon la pédopsychiatre, de « faire une étude épidémiologique », un véritable état des lieux qui s’inscrive dans l’histoire de la maltraitance en France. Enfin, il sera important d’« écouter des prêtres, des religieux, des religieuses, et des laïcs pour savoir ce que les gens attendent ».
Marie-Jo Thiel, première à avoir alerté les évêques sur l’impact de l’abus sexuels sur les mineurs dès 2001, ajoute : « Seul le rapport d’une commission impartiale et compétente permettra non seulement d’y voir clair mais aussi, espérons-le, d’apporter les “remèdes” – sur la gouvernementalité en particulier – pour, selon la mission de Dieu à Jérémie, “arracher” ce qui doit l’être et ensuite “planter et reconstruire”. »
La Corref s’associe pleinement au travail de la commission d’enquête indépendante
« L’assemblée de la Corref, qui vient de s’achever à Lourdes, a décidé de s’associer pleinement au travail de la commission qui sera engagé et aux investigations. Il ne s’agira pas simplement de répondre aux questions, mais aussi de faire en sorte que cette commission puisse rencontrer les personnes et les responsables qu’elle souhaite, et fournir les documents nécessaires. Après, on ne peut pas attendre de l’Église diocésaine comme de la vie religieuse d’avoir partout des archives, comme cela existe dans d’autres institutions… On ne peut donc penser que tout le travail ne sera réalité qu’à partir de documents : il faudra aussi rencontrer des responsables, des victimes, essayer de remonter le fil de l’histoire. Il y a autant une mémoire de l’histoire orale qu’une mémoire archivistique. Concernant un sujet aussi tragique dans une institution aussi vaste, je suppose qu’il convient de croiser aux moins deux approches. »
Véronique Margron, présidente de la Corref