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A mes yeux les religions révélées sont le berceau de l'intolérance.

3 participants

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Josué

Josué
Administrateur

  Édition de novembre-décembre 2012 (n°56)



[size=32]Françoise Héritier : « À mes yeux, les religions révélées sont le berceau de l’intolérance »[/size]


Florence Quentin - publié le 12/10/2012
L'ethnologue et anthropologue Françoise Héritier est décédée ce 15 novembre 2017 à l'âge de 84 ans. Elle venait de publier Au gré des jours, la suite du Sel de la vie (éditions Odile Jacob). Elle y partageait son amour des mots et son goût de vivre. En hommage, nous republions cet entretien qu'elle nous avait accordé en 2012.
A mes yeux les religions révélées sont le berceau de l'intolérance. 6834_francoise-heritier_440x260
©DRFP/OdileJacob

On connaissait l’anthropologue disciple de Lévi-Strauss à qui elle succéda au Collège de France – où elle poursuivit et développa sa théorie sur la parenté – mais aussi l’intellectuelle exigeante qui s’est penchée avec une remarquable acuité sur la domination masculine dont elle pense qu’elle est « encore partout ».
Mais Françoise Héritier est aussi engagée dans le débat social, notamment pour la cause des femmes et pour les droits des plus démunis, qu’elle n’a cessé de défendre. 
Voilà qu’elle nous offre aujour­d’hui un petit traité inattendu de l’art de la joie : avec Le Sel de la vie, ­l’anthropologue dévoile en filigrane certains aspects méconnus d’une vie féconde, comme son enfance dans une famille « catholique mais pas pratiquante », ou encore sa rencontre avec les cultures animistes qui l’ont ouverte à une autre dimension du sacré.

Dans la liste de vos grands et petits bonheurs, ceux qui, selon vous, font « le sel de la vie », vous ajoutez avoir « été  touchée par la grâce de la toute petite église de Baugy ». Cette « grâce » que vous avez éprouvée est-elle la trace, même lointaine, d’une éducation religieuse ?
À proprement parler, non. Je suis effectivement née dans une famille catholique qui n’était pas très pratiquante, à vrai dire. Mes parents et moi-même allions à l’église seulement pour les grandes fêtes annuelles. À ce propos, je me souviens de la traditionnelle messe de minuit, que nous suivions à l’église Saint-Augustin, à Paris, quand j’étais jeune fille.
Dans mon souvenir, je l’associe au cantique « Minuit chrétien » et à la rue du Général-Foy qui, dans ces années-là, était encore pavée en bois. Sous la neige, c’était une vraie luge où nous glissions. Tous ces éléments réunis contribuaient au parfum particulier de ce jour... Le souvenir s’est estompé mais la mémoire sensuelle du corps parle toujours.
Quant à mon éducation, elle s’est déroulée jusqu’à mon adolescence chez les sœurs Saint-Charles, au cours Sévigné, à Saint-Étienne, où nous habitions pendant la guerre. Mais pour mes parents, qui avaient eux-mêmes fait leurs études à l’école privée (mon père avait été élevé chez les frères Ignorantins de Paray le Monial), la question idéologique ne pesait pas dans ce choix, un quelconque conflit avec la laïcité n’entrait pas en ligne de compte dans leur décision.
Comme la religion n’occupait pas, chez nous, le devant de la scène, je crois que, pour eux, il s’agissait plutôt de s’inscrire, de nous inscrire dans une tradition. Mon père et ma mère étaient issus de cette paysannerie, auvergnate pour l’un, brionnaise pour l’autre, qui respectait la règle du jeu en vigueur dans leur milieu social. Aux yeux de mes parents, l’éducation religieuse relevait plutôt de la « bonne éducation », celle qui soumettait les enfants à des impératifs moraux.
Oui, à bien y réfléchir, il s’agissait plus de la transmission des bons usages que d’une ouverture à la dimension sacrée de l’existence. Ainsi, j’imagine qu’ils auraient été étonnés si j’avais voulu entrer dans les ordres. À vrai dire, je n’ai jamais eu avec mes parents de conversations essentielles sur les sujets spirituels. Disons que chez nous, la religion était « une rassurante habitude »...

Est-ce que la fréquentation des écoles confessionnelles, avec l’enseignement qui y était délivré, a eu, de près ou de loin, une influence sur votre regard d’anthropologue ?
Ma formation m’a plutôt conduite à me méfier, à prendre les choses pour ce qu’elles sont. Ce qui m’importe, en tant qu’anthropologue, c’est de chercher l’universel sous l’apparence bigarrée des usages. Et de tenter de comprendre des mécanismes, plutôt que de soumettre les objets étudiés à un système de classification ou à des lois morales normatives. Ainsi, la religion est à mon sens une inscription culturelle, elle fait bien partie du champ de la culture, mais elle ne définit pas l’identité de chacun.
Pour autant, je porte un regard bienveillant sur mon passé, la culture religieuse fait partie du charme désuet de l’enfance. Les cours de catéchisme, les retraites, tout cela avait pour moi un côté très prosaïque, un aspect ludique, ajouterais-je.
J’y associe d’ailleurs ce qui fut pour moi un « événement fondateur » : c’est en surprenant le dialogue entre la mère supérieure et l’aumônier de l’école que j’ai perdu la foi. J’avais 12 ans et la teneur de cette conversation, au ton pontifiant, m’a frappée par son ridicule mais aussi par l’air de componction doublé de mépris du prêtre qui affirmait à la religieuse : « Vous êtes là pour éduquer les corps et les esprits, mais moi je m’occupe des âmes ! » 

Vous dites qu’enfant, en parcourant « Histoire d’une âme », de Thérèse de Lisieux, vous auriez été séduite par des mots « lourds de mystère » comme « consomption », par exemple. N’avez-vous jamais été tenté de lire ces femmes indomptables que furent les grandes mystiques chrétiennes ?
J’avoue que je les ai ignorées : c’est sans doute une sorte d’infirmité de ma part ! D’autant que je peux comprendre les visions extatiques, comme celle que connut Thérèse d’Avila, et que le Bernin a remarquablement restituée dans le marbre (ndrl : celui de la transverbération de sainte Thérèse d’Avila, dans l’église Santa Maria della Vittoria, à Rome).
Alors, oui, dans ce cas précis, je saisis le sens de l’expérience individuelle. Mais pas celle qui est récupérée par l’institution. De plus, j’ai en horreur tout ce qui est flagellant dans les religions. Et quelles qu’elles soient (je ne fais aucune différence entre elles), cet aspect se retrouve souvent dans celles du Livre.
Je ne puis adhérer au message des religions révélées : elles sont apparues à un moment récent de l’histoire de l’humanité avec l’idée d’un dieu unique, créateur, et qui ne permettait pas la coexistence ni avec les autres dieux, ni avec des systèmes de pensée animistes.
À mes yeux d’anthropologue, les religions révélées, celles du Livre, sont le berceau de l’intolérance et j’allais presque dire, de l’extrême violence. Elles conduisent à des attitudes excessives où même des personnes qui ont eu la chance d’accéder à la connaissance et à la rationalité scientifique récusent celles-ci au nom de la foi.
Prenez par exemple Todd Akin, ce candidat républicain qui se présente à la vice-présidence aux États-Unis : il affirme, comme un article religieux, la vie étant sacrée, que l’avortement est interdit même en cas de viol, car le corps des femmes, dans un processus intime spectaculaire, empêcherait la conception de se faire en cas de viol « véritable »!
Comment peut-on, dans l’état de nos connaissances, proférer de telles âneries au nom de la foi et vouloir en imposer les conséquences aux autres qui ne partagent pas les mêmes croyances ? Cela est profondément inadmissible.

« Se plaire dans l’atmosphère des cimetières de petites villes à la Toussaint » : cette image, qui traverse votre dernier opus, parle-t-elle de votre rapport à nos fins dernières ?
Une fois encore, pas dans le sens où les religions révélées l’entendent :  il y a chez elles l’idée de salut, mais aussi celle de « résurrection » ou celle d’un possible paradis, au ciel, comme si tout le bien de la vie était à venir, non pas sur terre mais dans un monde dont nous ne connaissons rien. On parle même de la « vallée de larmes » qu’est censée être l’existence sur terre ! Je me plais dans l’atmosphère des cimetières à la Toussaint parce que j’y retrouve l’attache qui nous relient à ceux qui nous ont précédés.
De fait, les religions révélées ne répondent pas aux vraies interrogations. Celle par exemple qui taraude souvent les enfants : « Où étais-je avant d’être au monde » ? On apprend  à ne pas considérer cette question comme légitime  au contraire de celle du destin post mortem mais à se signifier comme le même, comme le point de départ du monde.
C’est vrai d’une certaine façon : le monde n’existe pour chacun de nous que par rapport à soi mais dans l’animisme, par exemple, on trouve l’idée que quelque chose préexiste à notre être au monde, dont nous dépendons dans une grande chaîne ininterrompue qui unit l’être humain et le cosmos et que l’on s’inscrit dans une lignée, celle des ancêtres.

Vous écrivez justement dans votre « florilège intime » avoir « salué le hogon (ndrl : prêtre du culte du Lébé au Mali) des Dogons » devant sa case aux crânes d’animaux. La fréquentation de ces civilisations a-t-elle changé votre vision du sacré ?
J’ai surtout été impressionnée par la dignité remarquable qui se dégageait de ce personnage muet, drapé dans son boubou. Il me faisait pénétrer davantage dans le monde de la conviction et de la dignité que dans celui du sacré. Dans sa simplicité laconique, le hogon incarnait une sorte d’évidence, celle de faire partie d’un monde où le surnaturel venait s’inscrire naturellement. Et puis, les animistes ne sont pas prosélytes.
Ils posent les bonnes questions et apportent des réponses qui me conviennent, comme celle concernant notre venue au monde, dont je parlais précédemment. S’il existe, dans l’animisme également, un démiurge au-delà de tout, il n’intervient pas dans la vie des individus car il ne revêt jamais la figure exclusive qui prévaut dans les monothéismes. L’animisme concilie les différentes modalités de l’être et de la nature : il établit le lien entre les humains et le cosmos, le passage entre les mondes.

Cette manière animiste « de concevoir le monde et de l’organiser, » selon la formule de l’anthropologue Philippe Descola, fait donc sens pour vous ?
Oui, je me vois très bien rendant un culte aux ancêtres ! Il est certain que je n’ai jamais ressenti le besoin de me rassurer sous une bannière religieuse aux visées eschatologiques, mais pour autant, j’adhère au sacré, à ma manière : ce n’est pas devant la représentation mentale de la divinité que j’éprouverais cette dimension-là mais plutôt face à un tableau, du Greco par exemple, c’est-à-dire devant une représentation faite par la main de l’homme, ou encore lorsque je suis confrontée à la pleine beauté de la nature sous ses différentes formes.
Je crois qu’il peut y avoir pour chacun de nous des moments de saisissement, de trouble, devant l’expression pure de la vie, une « révélation » devant ce  mystère extraordinaire d’être en vie. Je me sens d’ailleurs assez rousseauiste en éprouvant intimement les impressions qu’il décrit comme un moment de béatitude infinie devant le lent mouvement régulier du lac au bord duquel il repose.
Quand, près de la petite église de Baugy en Brionnais, je m’étendais dans un champ de pâquerettes et que je regardais le ciel, il me semblait sentir le mouvement de la terre en train de tourner. Pour certains, cela relèverait d’un sentiment océanique, quasi mystique. Pour ma part, c’est la sensation intense de n’être rien et tout en même temps. Une empathie avec le vivant et la capacité de faire corps avec le réel. Une manière d’extase devant le flux de la vie.
Françoise Héritier, Le Sel de la vie, Odile Jacob, 2012.

Mikael

Mikael
MODERATEUR
MODERATEUR

Il vrais que la religion en générale n'est des plus tolérante et surtout les grandes religions.
L'histoire le confirme.

chico.

chico.

Mikael a écrit:Il vrais que la religion en générale n'est des plus tolérante et surtout les grandes religions.
L'histoire le confirme.
Selon les chercheurs, les personnes religieuses sont en moyenne moins intelligentes que les athées. 
Avec le nombre de personnes ayant une croyance religieuse à la hausse - il est prévu que les personnes sans foi ne représenteront que 13 pour cent de la population mondiale d' ici 2050 - de nombreuses études ont exploré la relation entre les convictions religieuses et le QI.
Et maintenant, dans un nouvel article publié dans Frontiers in Psychology , les chercheurs disent que l'intelligence diminuée parmi les gens de foi pourrait être parce qu'ils s'appuient largement sur l'intuition.

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