[size=45]L’impossible retour des Rohingyas en Birmanie[/size]
Dorian Malovic , le 27/08/2018 à 6h31
[size=20]Un an après la terrible répression militaire birmane contre la minorité musulmane des Rohingyas dans l’État de Rakhine, plus de 700 000 d’entre eux ont dû fuir au Bangladesh.
Ils s’entassent dans le plus grand camp de réfugiés du monde à Cox’s Bazar, sans grand espoir de retour pour le moment.[/size]
« Mon corps est ici, mais mon esprit est toujours là-bas. » Réfugié à Francfort en Allemagne depuis dix-sept ans, après avoir passé son diplôme de biologie à Rangoun, Nay San Lwin semble tout aussi traumatisé que le million de ses frères rohingyas entassés dans le plus grand camp de réfugiés du monde, à Cox’s Bazar au Bangladesh.
« Depuis la sanglante offensive de l’armée birmane il y a exactement un an, je n’ai jamais reçu la moindre bonne nouvelle du Bangladesh ou de la Birmanie. »Coordinateur et fondateur de la Free Rohingya Coalition (FRC), qui défend la cause des Rohingyas en Europe, Nay San Lwin se bat et donne tout son temps pour informer et dénoncer « le génocide » des Rohingyas, perpétré par l’armée et le gouvernement birmans.
Toujours pendu au téléphone, il reçoit chaque jour des informations sur la situation à l’intérieur de l’État de Rakhine, dans l’ouest de la Birmanie où, selon lui, ne « vivent plus qu’un demi-million de Rohingyas sur une population originelle d’un peu plus de deux millions ». Si l’exode provoqué en août 2017 par la répression de grande envergure, savamment préparée de longue date, selon les organisations humanitaires, a jeté près de 700 000 Rohingyas sur les routes de l’exil vers le Bangladesh voisin, Nay San Lwin remet le drame en perspective.
« Il ne s’agit pas de notre premier exode dans l’histoire, car des milliers d’autres, comme moi et bien avant moi, ont déjà fui la Birmanie, qui nous a toujours considérés comme des apatrides, stigmatisés et écartés de la vie nationale. »
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Dans les camps, des conditions de vie catastrophiques
Aujourd’hui, en Birmanie, des centaines de villages de l’État de Rakhine sont désertés, brûlés et en ruine. Tout le territoire est quadrillé et « sécurisé » par des milliers de soldats qui en interdisent l’accès aux ONG et aux journalistes. « Plus de 100 000 personnes vivent dans des camps-prisons où elles sont interrogées régulièrement, explique en détail Nay San Lwin, d’autres sont consignées dans des villages des zones rurales. Le Rakhine est devenu une vaste prison à ciel ouvert. »
Paradoxe de cette situation : pour en échapper la seule solution est de fuir. « Les Rohingyas ont ouvertement le droit de fuir… La police et l’armée encouragent presque ces départs car la stratégie du régime birman est de vider le Rakhine de toute sa population rohingya. Plus les Rohingyas fuient, plus les militaires sont contents. »
C’est bien cette terrible réalité qui inquiète le plus Tun Khin, militant rohingya de la Burmese Rohingya Organisation, basée à Londres : « Les Rohingyas continuent de fuir, le génocide se poursuit sur place, et les espoirs pour le million de réfugiés au Bangladesh de rentrer un jour chez eux diminuent. » D’autant que les conditions de vie, dans cet immense camp de Kutupalong à Cox’s Bazar, sont catastrophiques. « Les humanitaires sur place font tout leur possible dans des conditions très difficiles », mais les témoignages d’insécurité, de violences, de rackets, de viols et d’hygiène déplorable se multiplient.
« Ils ont tout laissé derrière eux »
Dans ses éditions du week-end, le quotidien Dakha Tribune du Bangladesh décrit une triste fête de l’Aïd pour les musulmans rohingyas dans le camp. « La nourriture manque, les tentes ne protègent pas de la mousson, l’insécurité règne le soir. » De retour récemment de Cox’s Bazar, Nay San Lwin explique que « les ONG sur place font le maximum mais elles manquent de financement. Ce camp ne ressemble pas aux camps en Jordanie ou en Turquie, rien à voir. Ici c’est terrible, ils manquent de médecins, d’eau potable et les enfants ont très peu d’accès à l’éducation ».
De fait, l’Unicef a ouvert plusieurs écoles dans le camp mais seulement jusqu’à l’âge de 14 ans et seulement à mi-temps par manque de donateurs. « Le Bangladesh essaie de faire ce qu’il peut avec un million de réfugiés, concède encore Nay San Lwin, mais c’est un des pays les plus pauvres du monde qui a ses propres problèmes intérieurs. »
En réponse à ceux qui accusent les Rohingyas de violence dans le camp, Nay San Lwin appelle à la bienveillance et à la compréhension : « Imaginez ces hommes, femmes et enfants qui viennent de vivre l’horreur des militaires birmans, un mari assassiné, une épouse ou une sœur violée, un enfant tué… des marches épuisantes dans la campagne sans nourriture… Le traumatisme est terrible en arrivant dans cet immense camp. Ils ont tout laissé derrière eux. Ce sont des survivants ».
Impossible retour
Il souhaiterait que le gouvernement octroie le statut de « réfugié » aux Rohingyas. Mais ceux-ci étant considérés comme des « déplacés forcés », ils ne bénéficient pas des mêmes droits. L’enjeu politique pour le gouvernement du Bangladesh est de ne pas favoriser leur installation définitive. Du côté birman, le discours officiel souligne la possibilité de retour des Rohingyas, mais le gouvernement est incapable de garantir leur sécurité une fois rentrés.
Une poignée de Rohingyas ont bien essayé de rentrer au pays mais, selon Nay San Lwin, « on les place dans des camps de transit sans leur octroyer un titre de citoyenneté. En fait, ils redeviennent ce qu’ils étaient avant de fuir : des prisonniers dans une prison à ciel ouvert ».
Interrogés par l’ONG Human Rights Watch après avoir une nouvelle fois fui la Birmanie pour retrouver le camp de Kutupalong à Cox’s Bazar, une dizaine de jeunes Rohingyas ont raconté comment ils avaient été arrêtés, emprisonnés et interrogés par l’armée birmane. « Ils ont été accusés de faire partie de l’Armée du salut des Rohingyas de l’Arakan (ARSA) », explique Phil Robertson, directeur-Asie de Human Rights Watch, et n’ont jamais pu rentrer dans leur village.
Un appel à la communauté internationale
«
Le harcèlement infligé à ces Rohingyas est un avertissement clair à ceux qui croient que les autorités birmanes assurent leur sécurité et leur retour sain et sauf en Birmanie », ajoute-t-il. Laissant entendre que le génocide continue, encore aujourd’hui, sous prétexte d’une
« menace terroriste ».
Face à cette impasse, de nombreuses organisations des droits de l’homme rohingyas en appellent à la justice internationale afin qu’elle agisse contre les responsables de ce « nettoyage ethnique ». Déjà à Cox’s Bazar, plusieurs ONG recueillent de nombreux témoignages auprès des réfugiés afin de constituer un solide dossier mettant en cause certains généraux birmans.
«
Ils devront être traduits en justice à la Cour pénale internationale, demande Nay San Lwin,
et Aung San Suu Kyi également (prix Nobel de la paix, elle dirige le gouvernement birman aujourd’hui, NDLR),
car elle est complice de ce massacre et doit être punie. » Pour Thun Khin, «
il est temps de passer des paroles à l’action. Combien de Rohingyas devront encore mourir avant que la communauté internationale ne mette fin à la plus grande catastrophe humanitaire de notre époque ? »