Religion et espace public: deux poids, deux mesures
7 juillet 2017 | Hadrien Chénier-Marais - Candidat à la maîtrise en science politique à l’Université de Montréal | Éthique et religion
Si le crucifix est maintenu à l’Assemblée nationale, il faudrait alors que l’État québécois travaille à revitaliser la religion qui y est associée, estime l'auteur.
Photo: Jacques Boissinot La Presse canadienne
Si le crucifix est maintenu à l’Assemblée nationale, il faudrait alors que l’État québécois travaille à revitaliser la religion qui y est associée, estime l'auteur.
Le 1er juillet avait lieu à Sainte-Béatrix la 22e édition du Circuit Pédestr’Art, qui consiste en une exposition d’art visuel et de métiers d’art. La programmation officielle du circuit commence pourtant par une messe en plein air.
À peu près au même moment, à la télévision de Radio-Canada, avait lieu la télédiffusion de la messe du dimanche. En effet, l’émission Le jour du Seigneur diffuse toutes les semaines la messe pour les auditeurs qui le désirent.
De plus, un crucifix trône au-dessus du fauteuil du président de l’Assemblée nationale et il ne faut pas oublier que jusqu’à récemment, il était tout à fait normal d’entendre une prière avant les réunions de nombreux conseils municipaux partout au Québec.
Qu’ont en commun toutes ces manifestations de phénomènes religieux ? Elles sont toutes perpétrées dans des lieux publics ou appartenant à des entités publiques sans toutefois qu’il y ait de protestations, bien que nous proclamions haut et fort la séparation de l’Église et de l’État.
Pour maintenir le crucifix à l’Assemblée nationale, les trois principaux partis politiques ont évoqué des raisons relatives au patrimoine. Toutefois, ces raisons ont été rejetées par l’Assemblée des évêques catholiques du Québec, qui a dit en 2013 que le crucifix de l’Assemblée nationale était « bien plus qu’un objet patrimonial ou l’expression d’un symbole » puisqu’il était « l’expression d’une foi ». Selon l’Assemblée des évêques catholiques, si le crucifix est maintenu à l’Assemblée nationale, il faudrait alors que l’État québécois travaille à revitaliser la religion qui y est associée.
Pourtant, il y a très peu de protestations quant à la présence de ce symbole du lien entre l’Église et l’État au sein d’une institution qui prône l’exact opposé. La diffusion de la messe catholique à Radio-Canada ne soulève pas d’indignation, et la messe en plein air de Sainte-Béatrix n’a pas fait de remous sur les réseaux sociaux.
Protestations
Le cas des prières avant les conseils municipaux est différent puisqu’il y a eu protestation et que le cas s’est rendu en Cour suprême du Canada. Dans ce cas particulier, ce qui est intéressant c’est qu’il y a eu plusieurs protestations pour maintenir les prières. On peut notamment penser au maire de Saguenay, Jean Tremblay, un ardent défenseur de la prière au conseil de ville qui fut « ébranlé » et « surpris » par la décision unanime de la Cour suprême d’interdire les prières avant les conseils municipaux.
Il est aussi possible de visionner, tous les matins à TVA, l’émission La victoire de l’Amour, une émission où des invités viennent parler de leur foi. En effet, cette émission reçoit des gens comme soeur Angèle, le père Jean A. Patry ou l’abbé Stéphane Roy. Un segment de l’émission est même consacré à « proclamer la parole de Dieu ».
Cependant, à la différence des exemples mentionnés plus haut, le réseau TVA est un réseau privé. Dès lors, qu’il diffuse des émissions religieuses comme La victoire de l’Amour ne concerne que le réseau TVA, Québecor qui possède TVA ainsi que les actionnaires de Québecor. Relevant du domaine privé, TVA peut diffuser ce qu’il veut tant qu’il respecte les normes de diffusion prescrites par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes. Il n’y a pas de protestations et on pourrait présumer qu’il est normal qu’il en soit ainsi à cause du caractère privé du réseau TVA.
Hypocrisie au Parc Safari
Ce qui m’amène à parler du Parc Safari. Le Parc Safari est un parc zoologique et d’amusement privé. Dans le cadre de ses activités, il permet la location d’une partie de ses terrains par des groupes ou des individus pour que ceux-ci viennent y célébrer des événements. Il est possible d’y installer une chaîne stéréo indépendante de celle du Parc et d’y diffuser ce qu’on veut tant qu’on respecte les règles de diffusion sonores établies par le Parc.
Le 1er juillet dernier, la mosquée Al-Rawdah et l’Association musulmane du Canada ont loué une partie du terrain pour fêter la fin du ramadan en organisant un pique-nique familial. Durant cet événement, il y a eu diffusion d’une prière musulmane dans la chaîne stéréo apportée par les clients. Celle-ci fut captée par un visiteur puis diffusée sur les réseaux sociaux où elle a suscité l’émoi à un point tel que des appels au boycottage du Parc ont été lancés et que l’administration du Parc Safari a dû publier un communiqué où il évoque la liberté de religion et de culte pour se défendre d’avoir autorisé un tel message.
Cet exemple n’est que le dernier d’une longue série où l’on voit des Québécois s’indigner devant des manifestations religieuses en public lorsque la religion dont il est question est autre que catholique. Pourtant, le Québec se targue d’avoir mis la religion à la porte avec la Révolution tranquille.
Il est plus que temps que le Québec s’interroge sur son rapport aux religions et sur l’hypocrisie du rapport entretenu par nombre de Québécois lorsqu’ils sont mis devant des religions http://www.ledevoir.com/societe/ethique-et-religion/502898/prieres-au-parc-safari-deux-poids-deux-mesureset des croyances qui ne sont pas les leurs.
7 juillet 2017 | Hadrien Chénier-Marais - Candidat à la maîtrise en science politique à l’Université de Montréal | Éthique et religion
Si le crucifix est maintenu à l’Assemblée nationale, il faudrait alors que l’État québécois travaille à revitaliser la religion qui y est associée, estime l'auteur.
Photo: Jacques Boissinot La Presse canadienne
Si le crucifix est maintenu à l’Assemblée nationale, il faudrait alors que l’État québécois travaille à revitaliser la religion qui y est associée, estime l'auteur.
Le 1er juillet avait lieu à Sainte-Béatrix la 22e édition du Circuit Pédestr’Art, qui consiste en une exposition d’art visuel et de métiers d’art. La programmation officielle du circuit commence pourtant par une messe en plein air.
À peu près au même moment, à la télévision de Radio-Canada, avait lieu la télédiffusion de la messe du dimanche. En effet, l’émission Le jour du Seigneur diffuse toutes les semaines la messe pour les auditeurs qui le désirent.
De plus, un crucifix trône au-dessus du fauteuil du président de l’Assemblée nationale et il ne faut pas oublier que jusqu’à récemment, il était tout à fait normal d’entendre une prière avant les réunions de nombreux conseils municipaux partout au Québec.
Qu’ont en commun toutes ces manifestations de phénomènes religieux ? Elles sont toutes perpétrées dans des lieux publics ou appartenant à des entités publiques sans toutefois qu’il y ait de protestations, bien que nous proclamions haut et fort la séparation de l’Église et de l’État.
Pour maintenir le crucifix à l’Assemblée nationale, les trois principaux partis politiques ont évoqué des raisons relatives au patrimoine. Toutefois, ces raisons ont été rejetées par l’Assemblée des évêques catholiques du Québec, qui a dit en 2013 que le crucifix de l’Assemblée nationale était « bien plus qu’un objet patrimonial ou l’expression d’un symbole » puisqu’il était « l’expression d’une foi ». Selon l’Assemblée des évêques catholiques, si le crucifix est maintenu à l’Assemblée nationale, il faudrait alors que l’État québécois travaille à revitaliser la religion qui y est associée.
Pourtant, il y a très peu de protestations quant à la présence de ce symbole du lien entre l’Église et l’État au sein d’une institution qui prône l’exact opposé. La diffusion de la messe catholique à Radio-Canada ne soulève pas d’indignation, et la messe en plein air de Sainte-Béatrix n’a pas fait de remous sur les réseaux sociaux.
Protestations
Le cas des prières avant les conseils municipaux est différent puisqu’il y a eu protestation et que le cas s’est rendu en Cour suprême du Canada. Dans ce cas particulier, ce qui est intéressant c’est qu’il y a eu plusieurs protestations pour maintenir les prières. On peut notamment penser au maire de Saguenay, Jean Tremblay, un ardent défenseur de la prière au conseil de ville qui fut « ébranlé » et « surpris » par la décision unanime de la Cour suprême d’interdire les prières avant les conseils municipaux.
Il est aussi possible de visionner, tous les matins à TVA, l’émission La victoire de l’Amour, une émission où des invités viennent parler de leur foi. En effet, cette émission reçoit des gens comme soeur Angèle, le père Jean A. Patry ou l’abbé Stéphane Roy. Un segment de l’émission est même consacré à « proclamer la parole de Dieu ».
Cependant, à la différence des exemples mentionnés plus haut, le réseau TVA est un réseau privé. Dès lors, qu’il diffuse des émissions religieuses comme La victoire de l’Amour ne concerne que le réseau TVA, Québecor qui possède TVA ainsi que les actionnaires de Québecor. Relevant du domaine privé, TVA peut diffuser ce qu’il veut tant qu’il respecte les normes de diffusion prescrites par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes. Il n’y a pas de protestations et on pourrait présumer qu’il est normal qu’il en soit ainsi à cause du caractère privé du réseau TVA.
Hypocrisie au Parc Safari
Ce qui m’amène à parler du Parc Safari. Le Parc Safari est un parc zoologique et d’amusement privé. Dans le cadre de ses activités, il permet la location d’une partie de ses terrains par des groupes ou des individus pour que ceux-ci viennent y célébrer des événements. Il est possible d’y installer une chaîne stéréo indépendante de celle du Parc et d’y diffuser ce qu’on veut tant qu’on respecte les règles de diffusion sonores établies par le Parc.
Le 1er juillet dernier, la mosquée Al-Rawdah et l’Association musulmane du Canada ont loué une partie du terrain pour fêter la fin du ramadan en organisant un pique-nique familial. Durant cet événement, il y a eu diffusion d’une prière musulmane dans la chaîne stéréo apportée par les clients. Celle-ci fut captée par un visiteur puis diffusée sur les réseaux sociaux où elle a suscité l’émoi à un point tel que des appels au boycottage du Parc ont été lancés et que l’administration du Parc Safari a dû publier un communiqué où il évoque la liberté de religion et de culte pour se défendre d’avoir autorisé un tel message.
Cet exemple n’est que le dernier d’une longue série où l’on voit des Québécois s’indigner devant des manifestations religieuses en public lorsque la religion dont il est question est autre que catholique. Pourtant, le Québec se targue d’avoir mis la religion à la porte avec la Révolution tranquille.
Il est plus que temps que le Québec s’interroge sur son rapport aux religions et sur l’hypocrisie du rapport entretenu par nombre de Québécois lorsqu’ils sont mis devant des religions http://www.ledevoir.com/societe/ethique-et-religion/502898/prieres-au-parc-safari-deux-poids-deux-mesureset des croyances qui ne sont pas les leurs.