HRWF (12.06.2017) - « La persécution des minorités non orthodoxes d'origine étrangère, ou sans présence ‘historique’ en Russie, repose sur la philosophie de ‘sécurité spirituelle’ qui est promue par le Kremlin, l'Église orthodoxe russe ainsi que par la branche russe de la Fédération Européenne des Centres de Recherche et d'Information sur le Sectarisme (FECRIS), basée en France », a déclaré l'avocate française Patricia Duval lors d'une conférence sur la liberté de religion en Russie, co-organisée le 6 juin dernier par le député Hannu Takkula (Finlande, ALDE) et Human Rights Without Frontiers au Parlement européen à Bruxelles.
Le concept de « sécurité spirituelle »
Dans Conception de la sécurité nationale 2000, l'administration Poutine déclare :
« Garantir la sécurité nationale de la Fédération de Russie inclut également le fait de protéger l'héritage culturel, moral et spirituel, les traditions historiques et les valeurs de la vie publique, et de préserver le patrimoine culturel de tous les peuples de Russie. Il doit y avoir une politique d'état pour conserver le bien-être spirituel et moral de la population, interdire l'utilisation de temps d'antenne pour promouvoir la violence ou des instincts primaires, et contrecarrer les effets négatifs des organisations et des missionnaires religieux étrangers. »
Cette conception spirituelle de la sécurité nationale a commencé avec l'adoption de la loi fédérale russe sur la sécurité en mars 1992. Cette loi constituait un clair rejet de l'ancien modèle soviétique de sécurité. Le premier article de la loi met l'accent sur l'importance des « valeurs spirituelles », ce qui, en 1992, marquait la fin de l'athéisme soviétique militant et de la persécution des croyants par l'État.
Cependant, les développements ultérieurs ont étouffé les principes de libéralisme établis au cours de la période post-soviétique et dans la loi sur la liberté de conscience et les associations religieuses de 1997, et ont finalement enterré la brève période de liberté religieuse que la Russie avait connue suite à la loi sur la liberté de culte de 1990. La loi de 1997, ainsi que les positions et les idéologies politiques qui ont ensuite été adoptées par les autorités russes, ont toutes été inspirées par le désir d'assurer la « sécurité spirituelle » de la Russie grâce au rôle supposé de l'Église orthodoxe russe dans la sauvegarde des valeurs nationales et de la sécurité.
Après l’adoption de la loi de 1990 qui garantissait la liberté de conscience, un grand nombre de missionnaires ont inondé la Russie, pensant que l'ancienne Union soviétique devait être un vaste territoire de mission. [1]
En 1996, le métropolite Kirill de Smolensk et de Kaliningrad a commenté le problème du prosélytisme auquel faisait face l'Église orthodoxe russe. On pensait que les groupes qui faisaient du prosélytisme n'aidaient pas l'Église orthodoxe russe, mais agissaient contre elle « comme des boxeurs sur un ring avec leurs muscles gonflés, donnant des coups ». [2]
Cette « attaque » avait été conçue contre les valeurs nationales et religieuses de la nation. À son tour, la population a développé et adopté l'idée que « non orthodoxe » peut être défini comme celui qui tente de démanteler et de détruire l'unité spirituelle des personnes et de la foi orthodoxe, et que les « non orthodoxes » sont des « colonisateurs spirituels qui, par des moyens réguliers ou louches, tentent de séparer les gens de leur église ». [3]
Les dirigeants de l'Église orthodoxe russe croyaient que l'identité culturelle de la Russie en tant que nation orthodoxe s'effondrait. Selon Wallace Daniel et Christopher Marsh : « Sauf si le gouvernement soutenait les religions russes traditionnelles contre les actions agressives d'autres groupes et sectes religieux, affirmait le patriarche [Alexis II], le renouvellement des propres traditions spirituelles de la Russie avait peu de chances de réussir. » [4]
Par conséquent, dans cette atmosphère, où l'Église orthodoxe russe se croyait attaquée, tout comme la culture russe, Boris Eltsine a fait adopter la loi de 1997, qui fait une distinction entre religions traditionnelles et non traditionnelles en Russie. [5]
Depuis lors, le concept de la « sécurité spirituelle » comme faisant partie de la sécurité nationale a été instrumentalisé par les autorités politiques et par le pouvoir judiciaire pour restreindre les droits des minorités non orthodoxes d'origine étrangère et pour criminaliser leurs croyances, leurs enseignements, leurs publications religieuses et leurs activités pacifiques. Ces allégations s’appuient sur la loi contre l'extrémisme de 2002 qui, en 2006, a été purgée de l’élément de violence.
Extrémisme sans violence
« L'année 2006 a été un tournant lorsque la loi contre l'extrémisme violent a été modifiée, en supprimant la nécessité, pour être en infraction, d'être associé à l'extrémisme, à la violence ou aux appels à la violence », a commenté Patricia Duval.
La loi modifiée a été critiquée par le Comité des droits de l'homme de l'ONU (28 avril 2015), le Comité de suivi PACE du Conseil de l'Europe (14 septembre 2012) et la Commission de Venise (1er juin 2012), qui ont appelé la Russie à corriger cette loi pour qu’elle exige un élément de violence ou de haine [pour s’appliquer].
L'amendement à cette loi a ouvert la porte à des interprétations arbitraires et sans limites de la notion d'extrémisme, à la criminalisation de la liberté de pensée, d'expression, de culte et de réunion, à des descentes de police, des accusations montées de toutes pièces, des arrestations et des condamnations de membres de groupes pacifiques comme les Témoins de Jéhovah, les Scientologues, les fidèles de Tablighi Jamaat et de Said Nursi. Leurs groupes et leurs publications ont été victimes d'interdictions. Les Témoins de Jéhovah ont vu leurs biens confisqués et ont été complètement interdits à l'échelle nationale par la Cour suprême de Russie le 20 avril. L'Église orthodoxe russe a salué l'interdiction des Témoins de Jéhovah
L'Église orthodoxe russe a qualifié les Témoins de Jéhovah de secte dangereuse, totalitaire et nuisible et a soutenu leur interdiction dans la Fédération de Russie.
« Leur doctrine contient une multitude de faux enseignements. Ils déforment l'enseignement du Christ et interprètent le Nouveau Testament de manière incorrecte. Ils ne croient pas en Jésus-Christ en tant que Dieu et Sauveur, ils ne reconnaissent pas la doctrine de la Sainte Trinité, et ils ne peuvent donc en aucune façon être appelés des Chrétiens », a déclaré le Métropolite de Volokolamsk Ilarion, directeur du département synodal pour les relations extérieures de l'église, dans l’émission "L’Église et le monde" sur la chaîne de télévision Rossiia-24.
Des membres dirigeants de la FECRIS et de sa branche russe ont joué un rôle de premier plan dans la campagne contre les minorités non orthodoxes d'origine étrangère et dans l'adoption de la politique répressive visant à leur éradication.
Aleksander Dvorkin, vice-président de la FECRIS, est également le plus important militant « antisectes » de Russie. Il a été nommé en 2009 par le ministre de la Justice russe pour diriger le Conseil d'experts du ministère pour la conduite d'études en sciences religieuses d'État et d’analyse d'experts, dont le mandat est d'enquêter sur l'activité, les doctrines, les décisions des dirigeants, la littérature et le culte de toute organisation religieuse enregistrée, et de recommander des mesures au Ministère .
A. Dvorkin est également directeur du Centre d’études religieuses Saint-Irénée de Lyon, association membre de la FECRIS en Russie.
L’association membre de la FECRIS en Russie : le Centre d’études religieuses St Irénée de Lyon
Le Centre d'études religieuses Saint-Irénée de Lyon, qui est l'association membre de la FECRIS en Russie, a été fondé en 1993 avec la bénédiction du Patriarche de Moscou et de toute la Russie, Alexis II. Le Centre est également un département de la faculté missionnaire de l'Université orthodoxe St Tikhon à Moscou, dont l'objectif est "de diffuser des informations crédibles sur les doctrines et les activités des sectes totalitaires et des cultes destructeurs". À cette fin, « les employés du Centre poursuivent des activités de recherche, de conseil, de conférences et de publication, et assurent la liaison avec les structures de l'État et les médias ». Depuis lors, A.L. Dvorkin est président de ce Centre affilié à l'Église orthodoxe russe.
Le Centre d'études religieuses Saint-Irénée de Lyon est à la tête de l'Association russe des centres d'études religieuses et sectaires (RATsIRS). Le président de RATsIRS est également A.L. Dvorkin ; ses vice-présidents sont l'Archiprêtre Alexander Novopashin et l'Archiprêtre Alexander Shabanov ; son secrétaire exécutif est le prêtre Lev Semenov, Ph.D., professeur agrégé.
Outre le centre Saint-Irénée de Lyon, il existe un réseau national dit « d'initiatives de parents » et d'autres associations similaires en Russie et dans la CEI, dont la majorité sont devenues membres de RATsIRS en Russie (certaines sont des départements missionnaires de diocèses orthodoxes) et ont créé des bureaux de représentation de RATsIRS à l'étranger.
L'association membre de la FECRIS en Russie et ses associations affiliées sont toutes financées par l'Église orthodoxe russe et engagées dans la lutte contre les Evangéliques, les Pentecôtistes, les Mormons, les Baha'is, les Témoins de Jéhovah, les pratiquants de Falun Gong, les Scientologues ...
« Réhabiliter » les fidèles de religions ‘non-traditionnelles’
Un certain nombre de centres de l'Association russe des centres d'études dirigée par A. Dvorkin sont des « centres de réhabilitation » pour les fidèles de « religions non traditionnelles ».
Sous la pression de leurs familles, les fidèles sont amenés à aller dans ces centres de réhabilitation pour être « éclairés » sur le danger des sectes, sur la façon dont les sectes manipulent leur esprit, et pour accepter la religion orthodoxe parce que, d'après eux, celui qui croit vraiment en Christ est protégé des diverses sectes.
Voici quelques-uns de ces centres :
- Centre de réadaptation des victimes des religions non traditionnelles sous le département missionnaire de l’Éparchie de Stavropol et Vladikavkassk. Lieu: Russie, Novopavlovsk.
Le Centre indique sur son site web: « Le fondement du département est d'aider les gens à acquérir la vraie, la véritable Foi en Dieu et en l'Église. »
- Centre de réadaptation des victimes des religions non traditionnelles sous l'Église de Notre-Dame « Joie de toutes les douleurs ». Lieu : Moscou.
La réhabilitation est faite par deux prêtres et un diplômé de l'Université orthodoxe de Saint Tikhon (où enseigne Alexander Dvorkin).
- Centre de réadaptation pour les victimes de sectes sous le monastère de la Sainte Trinité. Lieu : Russie, Kursk.
Des prêtres et des psychologues y travaillent pour « réhabiliter » les fidèles.
- Centre de réadaptation pour les victimes des religions non traditionnelles au nom de Saint Joseph de Saint-Volotsk.
Ce centre opère sous l'Éparchie orthodoxe de la ville d'Ekaterinbourg.
http://www.coordiap.com/tribune-cap-liberte-de-conscience-la-branche-russe-de-la-fecris-estderriere-les-persecutions-des-minorites-non-orthodoxe-en-russie-9053.htm