La Guyane doit continuer à salarier ses prêtres, tranche le Conseil constitutionnel
Par Youness Rhounna
Publié le 05/06/2017 à 17:56
Il n'y a pas qu'en Alsace-Moselle que le culte catholique est financé sur fonds publics. La Collectivité territoriale de Guyane doit aussi rémunérer son évêque et ses curés comme des fonctionnaires. Et cet héritage colonial vient d'être jugé conforme par le Conseil constitutionnel.
Laïcité à plusieurs vitesses, nouvelle illustration. Saisi par une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) à l'initiative de la Collectivité territoriale de Guyane (CTG), le Conseil constitutionnel a décidé vendredi 2 juin de confirmer l'obligation de financement du culte catholique par ce territoire d'outre-mer.
Car il n'y a pas que l'Alsace-Moselle qui fasse exception à l'application de la loi de 1905 de séparation des Eglises et de l'Etat. Si l'Est de la France est toujours régi par le Concordat napoléonien, c'est une ordonnance royale de Charles X datant de 1828 qui oblige la CTG à salarier les prêtres ainsi que l'évêque du département. Pourquoi ? Tout simplement parce que ce texte considère la Guyane comme une "terre de mission à évangéliser", dans le plus pur esprit du colonialisme français du XIXème siècle. Autre différence : contrairement à l'Alsace-Moselle qui salarie aussi les cultes juif et protestant, seul le catholique est pris en charge en Guyane.
L'Etat n'a jamais souhaité revenir sur ce financement
C'est cette règle d'un autre temps qui a poussé le Conseil général à tenter d'appliquer la loi 1905 en Guyane. En 1911, lorsque les décrets d'application de cette loi pour les territoires ultramarins sont discutés, notables et politiques locaux poussent les députés français à n'en publier aucun pour le territoire situé en Amérique du Sud. En 1946, avec la départementalisation, l'Etat manque encore une fois l'occasion d'en finir avec cette entorse à la laïcité : des décrets devaient également être pris en Guyane pour mettre fin au financement du culte mais finalement, la rémunération publique devient au contraire une dépense obligatoire du département.
Une anomalie de l'Histoire restée en l'état durant la seconde moitié du XXe siècle, jusqu'à ce que le parti d'extrême gauche indépendantiste MDES - Mouvement de décolonisation et d'émancipation sociale - décide de s'en débarrasser une fois à la tête du département. Le 30 avril 2014, Alain Tien-Liong, alors président du conseil général de Guyane, prend ainsi 26 arrêtés supprimant la rétribution d'une trentaine de prêtre payés comme des fonctionnaires de catégorie C, et de l'évêque considéré comme un fonctionnaire de catégorie A. Alain Tien-Liong évalue à environ un million d'euros par an leur charge salariale pour la CTG.
Protéger le Concordat en Alsace-Moselle ?
Mais la justice administrative décide d'invalider les arrêtés après un recours déposé par la mission catholique guyanaise, jugeant que le conseil général n’avait pas "compétence" pour mettre fin "unilatéralement" à ces rémunérations. S'il dénonce une décision prise à la va-vite, l'évêque de Cayenne Emmanuel Lafont estime tout de même dans une interview à La Croix "qu'il serait bon que l'Église renonce d'elle-même à un privilège plutôt que d'attendre qu'il lui soit enlevé", reconnaissant une "situation qui ne correspond plus à la société multiculturelle dans laquelle nous vivons".
Pourtant, vendredi, le Conseil constitutionnel a confirmé la position prise par le tribunal administratif. "C'est la volonté de ne pas ouvrir le débat sur la situation particulière de l'Alsace-Moselle qui fonde ce rappel", analyse le professeur d'économie Michel Abhervé, qui chronique le régime spécifique de la Guyane sur son blog hébergé par Alternatives Economiques. Selon lui, "le Conseil constitutionnel botte en touche" et renvoie à l'Assemblée nationale "la responsabilité d'appliquer, enfin, la loi de 1905 en Guyane". Une conclusion proche de la jurisprudence sur le régime concordataire alsacien. En 2013, le Conseil constitutionnel avait confirmé que "les territoires d'Alsace et de Lorraine continuent, jusqu'à ce qu'il ait été procédé à l'introduction des lois françaises à être régis par les dispositions législatives et réglementaires qui y sont actuellement en vigueur". En clair, puisque la loi 1905 n'a été introduite par aucun gouvernement ou assemblée dans cette région, toute modification doit revenir aux politiques. Justement, Antoine Karam, sénateur de Guyane, avait déposé en mars 2015 une proposition de loi pour supprimer le régime spécial guyanais. Cette dernière n'a toujours pas été inscrite à l'ordre du jour du Sénat.
https://www.marianne.net/societe/la-guyane-doit-continuer-salarier-ses-pretres-tranche-le-conseil-constitutionnel
Par Youness Rhounna
Publié le 05/06/2017 à 17:56
Il n'y a pas qu'en Alsace-Moselle que le culte catholique est financé sur fonds publics. La Collectivité territoriale de Guyane doit aussi rémunérer son évêque et ses curés comme des fonctionnaires. Et cet héritage colonial vient d'être jugé conforme par le Conseil constitutionnel.
Laïcité à plusieurs vitesses, nouvelle illustration. Saisi par une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) à l'initiative de la Collectivité territoriale de Guyane (CTG), le Conseil constitutionnel a décidé vendredi 2 juin de confirmer l'obligation de financement du culte catholique par ce territoire d'outre-mer.
Car il n'y a pas que l'Alsace-Moselle qui fasse exception à l'application de la loi de 1905 de séparation des Eglises et de l'Etat. Si l'Est de la France est toujours régi par le Concordat napoléonien, c'est une ordonnance royale de Charles X datant de 1828 qui oblige la CTG à salarier les prêtres ainsi que l'évêque du département. Pourquoi ? Tout simplement parce que ce texte considère la Guyane comme une "terre de mission à évangéliser", dans le plus pur esprit du colonialisme français du XIXème siècle. Autre différence : contrairement à l'Alsace-Moselle qui salarie aussi les cultes juif et protestant, seul le catholique est pris en charge en Guyane.
L'Etat n'a jamais souhaité revenir sur ce financement
C'est cette règle d'un autre temps qui a poussé le Conseil général à tenter d'appliquer la loi 1905 en Guyane. En 1911, lorsque les décrets d'application de cette loi pour les territoires ultramarins sont discutés, notables et politiques locaux poussent les députés français à n'en publier aucun pour le territoire situé en Amérique du Sud. En 1946, avec la départementalisation, l'Etat manque encore une fois l'occasion d'en finir avec cette entorse à la laïcité : des décrets devaient également être pris en Guyane pour mettre fin au financement du culte mais finalement, la rémunération publique devient au contraire une dépense obligatoire du département.
Une anomalie de l'Histoire restée en l'état durant la seconde moitié du XXe siècle, jusqu'à ce que le parti d'extrême gauche indépendantiste MDES - Mouvement de décolonisation et d'émancipation sociale - décide de s'en débarrasser une fois à la tête du département. Le 30 avril 2014, Alain Tien-Liong, alors président du conseil général de Guyane, prend ainsi 26 arrêtés supprimant la rétribution d'une trentaine de prêtre payés comme des fonctionnaires de catégorie C, et de l'évêque considéré comme un fonctionnaire de catégorie A. Alain Tien-Liong évalue à environ un million d'euros par an leur charge salariale pour la CTG.
Protéger le Concordat en Alsace-Moselle ?
Mais la justice administrative décide d'invalider les arrêtés après un recours déposé par la mission catholique guyanaise, jugeant que le conseil général n’avait pas "compétence" pour mettre fin "unilatéralement" à ces rémunérations. S'il dénonce une décision prise à la va-vite, l'évêque de Cayenne Emmanuel Lafont estime tout de même dans une interview à La Croix "qu'il serait bon que l'Église renonce d'elle-même à un privilège plutôt que d'attendre qu'il lui soit enlevé", reconnaissant une "situation qui ne correspond plus à la société multiculturelle dans laquelle nous vivons".
Pourtant, vendredi, le Conseil constitutionnel a confirmé la position prise par le tribunal administratif. "C'est la volonté de ne pas ouvrir le débat sur la situation particulière de l'Alsace-Moselle qui fonde ce rappel", analyse le professeur d'économie Michel Abhervé, qui chronique le régime spécifique de la Guyane sur son blog hébergé par Alternatives Economiques. Selon lui, "le Conseil constitutionnel botte en touche" et renvoie à l'Assemblée nationale "la responsabilité d'appliquer, enfin, la loi de 1905 en Guyane". Une conclusion proche de la jurisprudence sur le régime concordataire alsacien. En 2013, le Conseil constitutionnel avait confirmé que "les territoires d'Alsace et de Lorraine continuent, jusqu'à ce qu'il ait été procédé à l'introduction des lois françaises à être régis par les dispositions législatives et réglementaires qui y sont actuellement en vigueur". En clair, puisque la loi 1905 n'a été introduite par aucun gouvernement ou assemblée dans cette région, toute modification doit revenir aux politiques. Justement, Antoine Karam, sénateur de Guyane, avait déposé en mars 2015 une proposition de loi pour supprimer le régime spécial guyanais. Cette dernière n'a toujours pas été inscrite à l'ordre du jour du Sénat.
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