Le bouddhisme peut-il être violent ?
Question que pose "Le vénérable W", documentaire de Barbet Schroeder qui sort cette semaine.
On a souvent le sentiment que le bouddhisme échappe à la violence qui caractérise, hélas, encore trop les religions, et il bénéficie notamment en Occident, pour cette raison, d’une très bonne image. Mais comme le montre la sortie sur les écrans du dernier film de Barbet Schroeder, le « vénérable W », qui a été montré à Cannes, pas plus que les autres religions, le bouddhisme n’est à l’abri de la violence, quand tous les ingrédients du cocktail se mettent en place.
Barbet Schroeder y raconte la vie d’un moine birman, Ashin Wirathu, l’un des responsables d’un mouvement nationaliste hyperviolent, Ma Ba Tha, acronyme birman qui signifie « l’Association pour la protection de la race et de la religion ».
« Race et religion » : tout est dit. Ce mouvement invoque la religion pour justifier la haine de l’autre, du différent, surtout à l’encontre des minorités ethniques du pays, comme les Rohingyas.
Le bouddhisme birman est-il particulier ?
Au départ, il est surtout hégémonique : Peuplée de 51 millions d’habitants, la Birmanie est un pays majoritairement bouddhiste, avec deux minorités religieuses marginalisées, les chrétiens, et les musulmans, les Rohingyas, surtout présent dans l’État de Arakan. Dans ce pays, la religion et l’ethnie principale, bamar, qui représente les deux tiers de la population, sont intimement liées: qui est vraiment birman est bouddhiste.
Mais cette version ultra-violente du bouddhisme est une création récente, en grande partie due à l’action de la junte militaire de ces dernières décennies. À partir de 1988, les militaires au pouvoir, en proie à une hostilité croissante de la population, vont s’appuyer sur le pouvoir religieux, financer de manière massive les temples. Et permettre la création de ce mouvement religieux-nationaliste, Ma Ba Tha, au sein duquel un moine, particulièrement violent et xénophobe, va commencer à se faire connaître : Ashin Wirathu. C’est une période très faste pour cette religion : on avait l’habitude de dire, à l’époque, qu’en Birmanie, la télévision n’avait que deux couleurs, le vert et l’orange : vert pour les militaires, orange pour les moines.
Comment cet extrémisme religieux a-t-il pris si rapidement dans le pays ?
En 2001, date importante, les talibans ont détruit les Bouddhas de Bâmiyân en Afghanistan. Nous occidentaux, y avons vu une perte culturelle. Pour les Birmans, ce fut d’abord un affront religieux. Et cela a favorisé la thèse d’une expansion de l’islam en Asie, et de l’encerclement, avec la haine du voisin qu’est le Bangladesh.
Cela a donné lieu à des manifestations extrêmement violentes, contre les populations musulmanes, dans l’indifférence totale de l’opinion internationale. Au point que les militaires ont mis en prison Wirathu, de 2003 à 2011, devenu totalement incontrôlable.
Et aujourd’hui ?
Aujourd’hui, avec le retour de la démocratie, ce bouddhisme violent continue de prospérer. En 2012, et en 2015, lors des élections Ma Ba Tha impose le signe 969, que tous les magasins et entreprises ont apposé sur leur porte. Un chiffre plein de sens : le premier 9 correspond aux neuf attributs spéciaux du Bouddha, le 6 aux six attributs spéciaux du Dharma, les enseignements du bouddhisme, et le dernier 9 aux neuf attributs spéciaux de la Sangha, (communauté de moines). Autrefois, le Bouddha, la Sangha et le Dharma étaient les signes distinctifs du bouddhisme. Il en va ainsi pour le 969. Ma Ba Tha continue à faire pression sur les hommes politiques, y compris du parti de Aung San Su Kyi, pour empêcher la reconnaissance des libertés des Rohingyas.
Jusqu’ici, les responsables religieux bouddhistes du pays ne disaient rien, et se gardaient de critiquer ouvertement. Mais devant les dénonciations internationales, de plus en plus nombreuses, ils ont du prendre leur distance : le 23 mai dernier, quarante-sept vénérables bonzes de Ma Ha Na, la plus Haute Autorité du clergé bouddhiste de Birmanie, ont interdit le mouvement. Les 26 et 27 mai derniers, Ma Ba Tha a donc décidé de se saborder.
De son côté, le moine Wirathu est interdit de prêcher pour un an, depuis le 10 mars dernier. Il s’est depuis distingué en organisant des rassemblements publics au cours desquels il demeurait muet, un morceau de bande adhésive collé sur la bouche. Début mai, encore, plusieurs bonzes extrémistes se sont illustrés par leur implication dans des violences entre bouddhistes et musulmans à Rangoun.
Le bouddhisme n’est pas plus homogène que l’islam oui le christianisme. Il est traversé par les mêmes tensions de la modernité, et les angoisses face aux autres religions, dans un contexte de mondialisation où les identités culturelles sont en crise.
Mais ce qui est remarquable, dans le travail de Barbet Schroeder, c’est qu’il est lui-même un converti bouddhiste. Et qu’il ne s’est pas caché les yeux, il a découvert que cette religion qui l’avait attiré avait aussi ses zones d’ombre, et a voulu démonter les mécanismes qui peuvent, d’une relation spirituelle tendant vers un absolu idéal, mener à la guerre et à la mort.
https://www.franceinter.fr/emissions/faut-il-y-croire/faut-il-y-croire-03-juin-2017