Quand les séries télé font leur profession de foi
YOANN LABROUX-SATABIN publié le 21/04/2017
La 8e saison du festival Séries Mania, à Paris, présente en avant-première plusieurs fictions portées sur la religion. Retour sur une tendance actuelle dans le monde des séries.
De passage à Paris pour présenter au festival Séries Mania sa nouvelle création centrée sur la foi (Ride upon the storm, qui sui plusieurs générations de pasteurs au sein d'une même famille), le scénariste danois Adam Price a demandé au public : « Qui parmi vous est croyant ? qui ressent un besoin de spiritualité ? » Entre les deux questions, une multitude de mains se sont levées dans la grande salle du Forum des images. « Nous vivons dans un environnement que nous croyons sécularisé mais le religieux est partout », a ajouté Adam Price. Il y a quelques années, lorsque le créateur de Borgen a pitché son nouveau projet aux producteurs, le questionnement était déjà de rigueur : « Vers qui vous tournerez-vous pour prier le jour où vous ne croirez plus ? »
Car si la religion semble plus que jamais inspirer les séries télévisées, c’est aussi parce que de nombreux auteurs ont saisi dans la société ce que Olivier Wotling, directeur de l’unité Fiction chez Arte, appelle le « besoin de sens ». La chaîne franco-allemande, qui s’était fait remarquer en 2012 pour son audace avec Ainsi soient-ils, une série française sur de jeunes séminaristes, diffusera en 2018 Ride upon the storm. « Plus que le sujet, c’est le point de vue qui nous importe, explique Olivier Wotling. Nous ne cherchons pas à apporter des réponses, mais plutôt à poser les bonnes questions. »
Pour le professeur d’histoire et doctorant en sciences religieuses Vincent Soulage, le regain de la religion dans les séries tient aussi au fait que les nouvelles générations ont un référentiel religieux très ténu. « La conséquence est double, explique-t-il. D’un côté, il y a une plus grande ouverture à un regard distancé des institutions, de l’autre, la religion attise la curiosité, tandis qu’elle revient dans le débat public. »
Dans un sens plus large, parler de spiritualité rejoint le credo de la plupart des séries : explorer l’intime et la psychologie des personnages. « La fiction repose souvent sur une position de départ qui se retrouve ébranlée, précise Olivier Wotling. En ce sens, la religion est un sujet très riche, que le doute assaille le croyant ou l’athée. »
Aux États-Unis, une série qui n'aborde jamais la religion n'est pas crédible.
Comme l’indique le pluriel de son titre, la série Ainsi soient-ils ne porte pas tant sur Dieu que sur les hommes. Le choix, le discernement, sont des notions au cœur du récit, comme le soulignait cette réplique de la saison 1 : « Pourquoi tant de passions humaines, même chez nous, hommes de Dieu ? » En suivant le parcours croisé de deux frères au sein d’une famille de pasteurs danois, la série Ride upon the storm cherche quant à elle à pousser la foi de chacun dans ses retranchements. Tout en étudiant les dynamiques qui lient la communauté et la famille, les pasteurs protestants n’étant pas tenus au célibat comme les prêtres catholiques.
Le religieux se consomme à la chaîne
Une dimension introspective à l’opposé de celle qui domine dans les séries américaines. Dans ce pays où près de 90% des citoyens déclarent être croyants, l’approche religieuse est souvent collective, comme l’illustre à nouveau la saison 3 de The Leftovers (également présentée à Séries Mania), série dans laquelle 2% de l’humanité a disparu sans explication. En dehors des nombreuses séries bibliques, parfois prosélytes, la religion s’infiltre partout, peu importe le genre, des super-héros (Daredevil, où la foi catholique du héros occupe une place centrale) au fantastique (Game of Thrones, où le fanatisme religieux a pris une place croissante au fil des saisons) en passant par la politique (House of Cards réserve une place conséquente aux références religieuses). « Aux États-Unis, une série qui n'aborde jamais la religion n'est pas crédible : les auteurs de Numb3rs, une série policière, avaient dû mentionner la religion des protagonistes suite à des critiques dénonçant cette incohérence », souligne Maureen Attali, historienne des religions à la Sorbonne (Paris IV), qui a écrit plusieurs articles sur l’exploitation des thèmes religieux par les séries.
À Séries Mania, Adam Price a expliqué vouloir, avec Ride upon the storm, débattre de la religion sur un plan personnel comme sociétal, seul moyen selon lui d’éviter les extrémismes. Et c’est justement ce qui marque ces nouvelles séries sur la religion : la volonté de se connecter aux enjeux de la société. Ainsi, dans la française Transferts (à l’automne sur Arte), l’Église se retrouve au cœur d’un débat éthique autour du transhumanisme lorsqu’une technologie permet de transférer un esprit dans un autre corps. De son côté, le britannique Jimmy McGovern a, lui, cherché à explorer une veine sociale à la Ken Loach avec sa série Broken, dans laquelle un prêtre joué par Sean Bean est un véritable chevalier blanc au sein d’une société brisée de toutes parts, à la fois assistant social, psychologue, éducateur…
Le fonctionnement très politique de l’Église catholique, bien que surjoué à l’écran, est aussi une aubaine pour les scénaristes.
Ultime preuve de la « normalisation » de la religion dans les séries : le retour récent des prêtres enquêteurs, comme dans la production britannique Grantchester. Une autre façon d'exploiter le rôle très particulier des clercs, dans la plus pure tradition du Father Brown de G.K. Chesterton, tout en jouant sur une figure de détective « atypique », grand classique des séries policières.
Parfois aussi, c'est l'institution religieuse en tant que telle qui est choisie comme cadre pour un programme, comme ce fut le cas récemment avec The Young Pope, précise encore Vincent Soulage : « Le fonctionnement très politique de l’Église catholique, bien que surjoué à l’écran, est aussi une aubaine pour les scénaristes. »
http://www.lavie.fr/culture/television/quand-les-series-tele-font-leur-profession-de-foi-21-04-2017-81619_31.php
YOANN LABROUX-SATABIN publié le 21/04/2017
La 8e saison du festival Séries Mania, à Paris, présente en avant-première plusieurs fictions portées sur la religion. Retour sur une tendance actuelle dans le monde des séries.
De passage à Paris pour présenter au festival Séries Mania sa nouvelle création centrée sur la foi (Ride upon the storm, qui sui plusieurs générations de pasteurs au sein d'une même famille), le scénariste danois Adam Price a demandé au public : « Qui parmi vous est croyant ? qui ressent un besoin de spiritualité ? » Entre les deux questions, une multitude de mains se sont levées dans la grande salle du Forum des images. « Nous vivons dans un environnement que nous croyons sécularisé mais le religieux est partout », a ajouté Adam Price. Il y a quelques années, lorsque le créateur de Borgen a pitché son nouveau projet aux producteurs, le questionnement était déjà de rigueur : « Vers qui vous tournerez-vous pour prier le jour où vous ne croirez plus ? »
Car si la religion semble plus que jamais inspirer les séries télévisées, c’est aussi parce que de nombreux auteurs ont saisi dans la société ce que Olivier Wotling, directeur de l’unité Fiction chez Arte, appelle le « besoin de sens ». La chaîne franco-allemande, qui s’était fait remarquer en 2012 pour son audace avec Ainsi soient-ils, une série française sur de jeunes séminaristes, diffusera en 2018 Ride upon the storm. « Plus que le sujet, c’est le point de vue qui nous importe, explique Olivier Wotling. Nous ne cherchons pas à apporter des réponses, mais plutôt à poser les bonnes questions. »
Pour le professeur d’histoire et doctorant en sciences religieuses Vincent Soulage, le regain de la religion dans les séries tient aussi au fait que les nouvelles générations ont un référentiel religieux très ténu. « La conséquence est double, explique-t-il. D’un côté, il y a une plus grande ouverture à un regard distancé des institutions, de l’autre, la religion attise la curiosité, tandis qu’elle revient dans le débat public. »
Dans un sens plus large, parler de spiritualité rejoint le credo de la plupart des séries : explorer l’intime et la psychologie des personnages. « La fiction repose souvent sur une position de départ qui se retrouve ébranlée, précise Olivier Wotling. En ce sens, la religion est un sujet très riche, que le doute assaille le croyant ou l’athée. »
Aux États-Unis, une série qui n'aborde jamais la religion n'est pas crédible.
Comme l’indique le pluriel de son titre, la série Ainsi soient-ils ne porte pas tant sur Dieu que sur les hommes. Le choix, le discernement, sont des notions au cœur du récit, comme le soulignait cette réplique de la saison 1 : « Pourquoi tant de passions humaines, même chez nous, hommes de Dieu ? » En suivant le parcours croisé de deux frères au sein d’une famille de pasteurs danois, la série Ride upon the storm cherche quant à elle à pousser la foi de chacun dans ses retranchements. Tout en étudiant les dynamiques qui lient la communauté et la famille, les pasteurs protestants n’étant pas tenus au célibat comme les prêtres catholiques.
Le religieux se consomme à la chaîne
Une dimension introspective à l’opposé de celle qui domine dans les séries américaines. Dans ce pays où près de 90% des citoyens déclarent être croyants, l’approche religieuse est souvent collective, comme l’illustre à nouveau la saison 3 de The Leftovers (également présentée à Séries Mania), série dans laquelle 2% de l’humanité a disparu sans explication. En dehors des nombreuses séries bibliques, parfois prosélytes, la religion s’infiltre partout, peu importe le genre, des super-héros (Daredevil, où la foi catholique du héros occupe une place centrale) au fantastique (Game of Thrones, où le fanatisme religieux a pris une place croissante au fil des saisons) en passant par la politique (House of Cards réserve une place conséquente aux références religieuses). « Aux États-Unis, une série qui n'aborde jamais la religion n'est pas crédible : les auteurs de Numb3rs, une série policière, avaient dû mentionner la religion des protagonistes suite à des critiques dénonçant cette incohérence », souligne Maureen Attali, historienne des religions à la Sorbonne (Paris IV), qui a écrit plusieurs articles sur l’exploitation des thèmes religieux par les séries.
À Séries Mania, Adam Price a expliqué vouloir, avec Ride upon the storm, débattre de la religion sur un plan personnel comme sociétal, seul moyen selon lui d’éviter les extrémismes. Et c’est justement ce qui marque ces nouvelles séries sur la religion : la volonté de se connecter aux enjeux de la société. Ainsi, dans la française Transferts (à l’automne sur Arte), l’Église se retrouve au cœur d’un débat éthique autour du transhumanisme lorsqu’une technologie permet de transférer un esprit dans un autre corps. De son côté, le britannique Jimmy McGovern a, lui, cherché à explorer une veine sociale à la Ken Loach avec sa série Broken, dans laquelle un prêtre joué par Sean Bean est un véritable chevalier blanc au sein d’une société brisée de toutes parts, à la fois assistant social, psychologue, éducateur…
Le fonctionnement très politique de l’Église catholique, bien que surjoué à l’écran, est aussi une aubaine pour les scénaristes.
Ultime preuve de la « normalisation » de la religion dans les séries : le retour récent des prêtres enquêteurs, comme dans la production britannique Grantchester. Une autre façon d'exploiter le rôle très particulier des clercs, dans la plus pure tradition du Father Brown de G.K. Chesterton, tout en jouant sur une figure de détective « atypique », grand classique des séries policières.
Parfois aussi, c'est l'institution religieuse en tant que telle qui est choisie comme cadre pour un programme, comme ce fut le cas récemment avec The Young Pope, précise encore Vincent Soulage : « Le fonctionnement très politique de l’Église catholique, bien que surjoué à l’écran, est aussi une aubaine pour les scénaristes. »
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