Voilà un extrait de ton article.
OÙ J’APPRENDS – DOULOUREUSEMENT – LES MOEURS UNIVERSITAIRES
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En rédigeant cette rétrospective, je prends conscience de l’ampleur de ma naïveté d’alors en matière de moeurs universitaires. J’ai mis très longtemps à comprendre que, pour la majorité des enseignants que je côtoyais au sein de l’Université Catholique de Louvain, je serais toujours un élément inclassable, inassimilable et, donc constituant une menace qui, pour être indéfinissable, n’en était pas moins considérée comme indésirable..
Tout d’abord, il faut savoir que, sauf exception, la carrière universitaire se construit et se déroule en fonction de critères quasiment immuables, et avant tout sur base de réussite aux examens, d’acquisition de grades, mais surtout dans l’ombre tutélaire d’un professeur en titre dont dépend le poste qui vous sera dévolu, en cas de vacance de la fonction. La chance joue également un rôle non négligeable dans ce processus.
Toute la difficulté consiste à se maintenir en permanence dans un équilibre instable et délicat consistant à ne pas être perçu comme une menace, réelle ou imaginaire, pour la notoriété de ceux qui vous précèdent dans la hiérarchie universitaire. Précision: certains d’entre eux sont de véritables squales dans ces eaux troubles. Pour autant, il ne faut pas non plus pousser la modestie – naturelle ou calculée – jusqu’à passer pour une nullité. Ni dangereusement ambitieux, donc, ni par trop dévalorisant pour le milieu dans lequel il tente de se faire une place, tel est l’exercice diplomatique permanent auquel est soumis tacitement l’impétrant… Chose impossible, on le verra bientôt, pour le spécimen outrageusement naïf et idéaliste que je suis – de surcroît définitivement inadapté aux moeurs du sérail et à ses codes – .
Pour l’heure, c’est peu dire que je ne faisais d’ombre à personne. En effet, le seul statut que je pus alors obtenir à l’UCL, quand il fut avéré que je n’achèverais pas mon cycle formel d’études doctorales, fut celui de «chercheur»… non rémunéré. Mais le professeur qui me l’avait obtenu m’encourageait à ne pas perdre espoir d’obtenir un enseignement, même modeste au sein de la vénérable université belge.
Puis, soudain, les choses se gâtèrent, selon un processus de « scoumoune » dont je n’étais que trop familier. L’occasion en fut l’idée dangereuse (à l’époque, j’ignorais, bien entendu, qu’elle le fût) de profiter de mon appartenance récente et temporaire au corps enseignant pour m’inscrire à un cursus de théologie catholique à ‘UCL même. À ma grande surprise, cette mienne demande se heurta à une fin de non-recevoir, non explicite, certes – c’eût été administrativement incorrect! – mais non moins catégorique en privé. On sut me faire comprendre que je n’avais pas intérêt à persévérer dans mes intentions sur ce point, étant donné ma « situation particulière », qui pourrait générer un malaise. Je fis semblant de n’avoir pas compris pour obliger le « bon conseilleur » qui me l’exposait à préciser sa pensée. Peine perdue: la rhétorique de ce champions du flou mi-théologique, mi-psychologique, rendait inattaquable les attendus du procès d’inquisition, privé et secret, qu’il m’intentait dans son bureau de responsable des études théologiques. Rien ne fut acté, mais la menace non formulée était claire: si je persévérais dans mon dessein perturbant, je perdrais l’enseignement que j’avais obtenu par des moyens sur lesquels mon ‘bienveillant’ interlocuteur préférait, affirmait-il « passer charitablement ».
Bref on l’aura compris: il n’était pas question de laisser entrer dans la bergerie théologique louvaniste, le loup déguisé en brebis qu’était l’apostat catholique Macina, honteusement converti au judaïsme, et qui avait eu l’impudence de se faire « parachuter » en ce haut lieu de l’excellence théologique catholique.
Je dois m’expliquer sur le terme « parachuter ». Je m’aperçois, en effet, que j’ai omis de préciser les circonstances de ma cooptation comme maître de conférence invité à l’UCL.
Tout se passa pour moi comme souvent dans ma vie (pour le meilleur comme pour le pire) par une succession d’événements hautement improbables qui se produisirent pourtant et me valurent, à ma grande surprise, une notoriété aussi rapide que disproportionnée, me sembla-t-il alors.
J’ai relaté, plus haut, ma compagne de presse contre la Bible des Communautés chrétiennes, et évoqué brièvement qu’elle m’avait valu l’obtention de ma charge temporaire d’enseignement[1]. Il ne me paraît pas inutile d’entre ici dans quelques détails de ce surprenant concours de circonstances.
Devant l’insuccès de mes démarches privées de sensibilisation des autorités religieuses qui avaient accordé l’imprimatur à cette bible, et particulièrement suite à la rebuffade dont j’avais été l’objet de la part d’un haut responsable de la Commission Épiscopale Française pour les Relations avec le Judaïsme, j’avais exposé l’affaire au président du Consistoire de France et lui avais remis une substantielle anthologie, commentée par mes soins[2], des passages que j’estimais entachés d’antijudaïsme, voire d’antisémitisme. Ce haut responsable juif qui ne manquait pas de relations privilégiées, fit très fort et très vite et n’y allant pas par quatre chemins interpella directement le président de la Commission Vaticane pour les Relations avec le Judaïsme, qui intervint par des voies qui lui sont propres et qui furent efficaces. De son côté la LICRA s’était emparée de l’affaire, et la presse avait suivi[3]
Et un beau jour, je fus contacté au téléphone par un journaliste de la Télévision belge francophone (RTBF). Il proposait de venir m’interviewer à domicile concernant cette affaire qui, au fil des mois, défrayait régulièrement la chronique. L’interview télévisée fut ultra-rapide car il ne s’agissait que d’un bref reportage pour le journal télévisé. Par ailleurs, on ne pouvait me préciser la date de diffusion. Je n’eus pas la chance de la voir, mais je ne pus ignorer qu’elle avait eu lieu, car, le lendemain du jour où elle fut diffusée, j’eus la surprise, alors que je traversais la place de l’Université, de m’entendre saluer et féliciter par plusieurs pontes de l’université et par un nombre non négligeable de professeurs et d’élèves. J’entendis des : « Bravo, Monsieur le professeur! » et autres exclamations, plus ou moins sincères, du même acabit. L’événement était d’autant plus singulier que, j’avais traversé cette place presque chaque jour depuis des mois pour me rendre au bureau que je partageais avec un professeur le plus souvent absent et un doctorant, sans que personne, hormis quelques collègues proches, ne me remarque.
Une université est un grand village dans lequel les nouvelles circulent vite. Celle de l’interview télévisée d’un chercheur israélien inconnu, en séjour d’études à l’UCL, se répandit comme une trainée de poudre et vint aux oreilles du recteur qui ne tarda pas à me convoquer. Du coup, l’inconnu que j’étais jusqu’alors, devint en quelques semaines le chouchou des responsables du service de presse de l’Université et de deux ou trois membres influents du Conseil académique, les uns comme les autres étant, bien entendu, intéressés par tout ce qui contribue au renom de leur établissement.
Dès le début de l’entretien que j’eus avec le recteur, il s’étonna de ce que je n’enseignais pas à l’UCL, et me demanda pourquoi. Cela m’amusa beaucoup et je répondis du tac au tac quelque chose, comme: « Encore eût-il fallu qu’on me le propose. » Le recteur s’étonna: « En avez-vous parlé avec le doyen de la faculté de théologie? » Avec ma simplicité et ma décontraction habituelle et sans penser à mal, je rétorquai qu’échaudé par un contact antérieur avec ce responsable, l’idée ne m’a même pas traversé l’esprit. « Que s’est-il passé », me demanda-t-il alors, me faisant regretter d’avoir émis ce propos. Force m’a été de lui relater, sans entrer dans les détails, que je n’étais pas persona grata chez les théologiens puisque l’éventualité même que je puisse étudier cette discipline à l’UCL avait été écartée par le doyen de cette faculté. Je perçus la contrariété que ma réponse avait causée, et je regrettai immédiatement ma franchise. « Il doit s’agir d’un malentendu; je vais me pencher sur la question et je vous tiendrai au courant », conclut le recteur.
J’allais bientôt payer très cher la maladresse impardonnable dans ce milieu que celle qui consiste à mettre en cause un collègue enseignant. Je m’en aperçus dès le surlendemain, à la mine hostile qu’arboraient en ma présence les professeurs du département de théologie, à l’exception d’un seul, dont je parlerai bientôt.
Voir le chapitre 24 : «L’université et les médias: L’affaire de la "Bible des Communautés Chrétiennes"» ↵
Voir : «87 passages antijudaïques de la ‘Bible des Communautés Chrétiennes». ↵
Le journaliste belge Christian Laporte a traité de l’affaire dans plusieurs articles, dont les suivants, par ordre chronologique de parution: «L’évêque de Versailles reconnaît son erreur : Une Bible aux références antisémites», Le Soir, Bruxelles, lundi 13 février 1995, p. 10 ; «L'Église retire son «imprimatur». La Bible antisémite dénoncée par l'évêque de Versailles», Ibid., jeudi 9 mars 1995, p. 16 ; « L'éditeur a refusé de retirer l'ouvrage contesté. La Bible "antijuive" au tribunal !», Ibid., samedi 25 mars 1995, p. 28 ; «Le Tribunal de Paris suit l’évêque de Versailles : La Bible antisémite est interdite», Ibid., mercredi 12 avril 1995, p. 21. ; etc. Quant à moi, j’en ai relaté la genèse de manière pittoresque, dans mon article intitulé «On parle de vous, mais on ne vous cause pas !», paru dans le même journal, Ibid., samedi 22 avril 1995, p. 2. ↵
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