Racines chrétiennes de la France : éternel retour ou retournement ?
L.D
CRÉÉ LE 15/10/2015 / MODIFIÉ LE 16/10/2015 À 16H43
Quand le débat sur les racines chrétiennes de la France revient encore et toujours dans les discours politiques... mais pas toujours dans le sens attendu.
C'est Nadine Morano qui a remis une pièce dans la machine en déclarant le 26 septembre sur le plateau d'On n'est pas couché « nous sommes un pays judéo-chrétien, le général de Gaulle le disait, de race blanche, qui accueille des personnes étrangères ». Si ces propos sur la « race blanche » on déclenché la polémique, l'évocation de la France comme « pays judéo-chrétien » a elle aussi donné l'occasion aux uns et aux autres de se positionner. À chaque fois, il ne s'agit pas tant de discuter la pertinence historique de l'expression, qui relève de l'évidence, mais plutôt de questionner la place de cet héritage dans une république laïque.
Un débat récurrent
Depuis l'an 2000 et le débat sur la mention – finalement rejetée – des racines chrétiennes de l'Europe dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, celles-ci reviennent régulièrement dans le débat public et dans les discours des hommes politiques. Une histoire que raconte Henri Tincq dans un article de Slate.
Trois interventions sur le sujet, l'une d'Alain Juppé sur son blog, les deux autres de Bernard Cazeneuve, à l'occasion de l'inauguration de la cathédrale de Créteil, puis de la clôture des Etats généraux du christianisme organisés par La Vie, ont récemment intriguées Isabelle de Gaulmyn, rédactrice en chef à La Croix. Elle note ainsi : « Étonnant, ce retour des « racines chrétiennes » dans la politique ! Il n’y a pas si longtemps, la classe politique française, de gauche comme de droite, se retrouvait unie pour nier la reconnaissance des racines chrétiennes de la France, ou de l’Europe : on se souvient comment Jacques Chirac et Lionel Jospin, en 2000, s’étaient accordés pour rayer la mention d’héritage religieux du projet de charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. À l’époque, seule une petite minorité de chrétiens osait s’en offusquer, tant il semblait alors quasi obscène d’invoquer publiquement le christianisme dans notre République laïque. (…) Aujourd’hui, c’est l’inverse. Rares seraient les hommes politiques à nier ces racines, tout au contraire, et ce, là encore, à droite comme à gauche. »
Un vision plus personnelle
Un peu plus loin, elle explique, parlant des textes d'Alain Juppé et de Bernard Cazeneuve : « Ces deux prises de positions, venant d’hommes politiques au parcours républicain on ne peut plus classique, sont sans aucun doute signe d’une nouvelle manière de considérer le christianisme et sa place dans la société. En effet, l’un comme l’autre ne se contentent pas d’invoquer ces racines, mais ils leur donnent un contenu à la fois positif, et aussi, personnel. C’est totalement nouveau (...)»
Lors du discours de clôture des Etats généraux du christianisme, Bernard Cazeneuve, qui en d'autres temps n'avait pas apprécié l'insistance de Nicolas Sarkozy sur la « laïcité positive » et les « racines chrétiennes de la France », n'a pas hésité à parler dans la cathédrale de Strasbourg de « proximité spirituelle entre la République et l’Eglise », et affirmant que « la fraternité républicaine est l’expression politique de la grande question biblique “Qu’as-tu fait de ton frère?” » Et plus loin : « Faire vivre les valeurs républicaines, qui sont aussi largement celles de l’évangile, constitue pour moi l’une des clés de ce renouveau que vous appelez de vos vœux. Même si elle est marquée par la sécularisation comme tous les pays occidentaux, même si elle a accueilli sur son sol les croyants de toutes confessions, qui contribuent eux aussi à sa richesse culturelle, la France est historiquement un pays de tradition chrétienne. »
Alain Juppé écrit lui sur son blog en réaction à « l'affaire » Morano : « Contre l’arrogance des bien-pensants qui se réclament bruyamment des racines chrétiennes de la France sans y être vraiment fidèles. Certes notre pays a des racines chrétiennes, ce qui ne veut pas dire qu’elles soient exclusives ! J’ai été élevé dans la religion catholique et j’y demeure attaché. C’est pourquoi j’ai retenu des Evangiles, des Pères de l’Eglise, de l’enseignement des papes que les valeurs chrétiennes, c’est l’amour du prochain, l’accueil de l’étranger, le respect de l’autre l’attention porté au plus petit, au plus faible, au plus pauvre. »
Un propos qui rejoint celui de Mgr de Germay, évêque d'Ajaccio, qui s'est récemment élevé contre les Corses qui voulaient interdire la fête de l'Aïd el Kébir au prétexte que l'île était une terre chrétienne. « J’invite ceux qui veulent défendre la culture chrétienne à découvrir la foi sur laquelle elle s’enracine. Comment en effet pourrait-on défendre la religion chrétienne en ayant une attitude contraire à l’Evangile ? L’éclairage de la foi chrétienne nous permet de reconnaitre en toute personne un frère ou une sœur en humanité dont la dignité est inaliénable », avait-il rappelé.
Un débat qui perdure
Aux côtés d'interventions qui, comme l'écrit Isabelle de Gaulmyn, ne sont pas utilisées dans un but défensif mais prouvent que « les chrétiens sont attendus par leurs concitoyens pour leur contribution à la société, "ici et maintenant". », Henri Tincq note que le « rappel insistant » des racines chrétiennes de la France « pour justifié et historiquement légitime qu’il puisse paraître (...) sert aussi à cautionner des attitudes morales et politiques –pas seulement électorales– beaucoup plus contestables, comme le rejet de l’immigré et la détestation de l’islam. »
Et de résumer sa pensée : « Pour les uns, surtout depuis l’affaire Charlie, la laïcité ne doit subir aucune transgression. Elle reste le seul, ou le plus efficace, rempart contre l’intégrisme religieux et la montée des communautarismes. Mais, pour les autres, une conception trop rigide de la laïcité et cette rupture consentie avec l’héritage chrétien de la France est le signe d’un abandon intellectuel, d’une lâcheté devenue périlleuse dans le contexte actuel de compétition entre «civilisations». Cette crainte n’est pas méprisable, mais à condition d’ajouter que l’invocation obsessionnelle des «racines chrétiennes» ne doit pas servir de prétexte à une volonté de restauration chrétienne, ou de xénophobie militante, ou de rejet d’un islam diabolisé. Elle devrait, au contraire, ramener à l’essentiel de la foi chrétienne, à savoir le souci de l’autre, de l’étranger, du plus vulnérable, puis renvoyer chacun, croyant ou non-croyant, à un supplément d’humanité, à une tradition d’intégration dont on sait qu’elle a été léguée par 2 000 ans d’histoire chrétienne et européenne. »
L.D
CRÉÉ LE 15/10/2015 / MODIFIÉ LE 16/10/2015 À 16H43
Quand le débat sur les racines chrétiennes de la France revient encore et toujours dans les discours politiques... mais pas toujours dans le sens attendu.
C'est Nadine Morano qui a remis une pièce dans la machine en déclarant le 26 septembre sur le plateau d'On n'est pas couché « nous sommes un pays judéo-chrétien, le général de Gaulle le disait, de race blanche, qui accueille des personnes étrangères ». Si ces propos sur la « race blanche » on déclenché la polémique, l'évocation de la France comme « pays judéo-chrétien » a elle aussi donné l'occasion aux uns et aux autres de se positionner. À chaque fois, il ne s'agit pas tant de discuter la pertinence historique de l'expression, qui relève de l'évidence, mais plutôt de questionner la place de cet héritage dans une république laïque.
Un débat récurrent
Depuis l'an 2000 et le débat sur la mention – finalement rejetée – des racines chrétiennes de l'Europe dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, celles-ci reviennent régulièrement dans le débat public et dans les discours des hommes politiques. Une histoire que raconte Henri Tincq dans un article de Slate.
Trois interventions sur le sujet, l'une d'Alain Juppé sur son blog, les deux autres de Bernard Cazeneuve, à l'occasion de l'inauguration de la cathédrale de Créteil, puis de la clôture des Etats généraux du christianisme organisés par La Vie, ont récemment intriguées Isabelle de Gaulmyn, rédactrice en chef à La Croix. Elle note ainsi : « Étonnant, ce retour des « racines chrétiennes » dans la politique ! Il n’y a pas si longtemps, la classe politique française, de gauche comme de droite, se retrouvait unie pour nier la reconnaissance des racines chrétiennes de la France, ou de l’Europe : on se souvient comment Jacques Chirac et Lionel Jospin, en 2000, s’étaient accordés pour rayer la mention d’héritage religieux du projet de charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. À l’époque, seule une petite minorité de chrétiens osait s’en offusquer, tant il semblait alors quasi obscène d’invoquer publiquement le christianisme dans notre République laïque. (…) Aujourd’hui, c’est l’inverse. Rares seraient les hommes politiques à nier ces racines, tout au contraire, et ce, là encore, à droite comme à gauche. »
Un vision plus personnelle
Un peu plus loin, elle explique, parlant des textes d'Alain Juppé et de Bernard Cazeneuve : « Ces deux prises de positions, venant d’hommes politiques au parcours républicain on ne peut plus classique, sont sans aucun doute signe d’une nouvelle manière de considérer le christianisme et sa place dans la société. En effet, l’un comme l’autre ne se contentent pas d’invoquer ces racines, mais ils leur donnent un contenu à la fois positif, et aussi, personnel. C’est totalement nouveau (...)»
Lors du discours de clôture des Etats généraux du christianisme, Bernard Cazeneuve, qui en d'autres temps n'avait pas apprécié l'insistance de Nicolas Sarkozy sur la « laïcité positive » et les « racines chrétiennes de la France », n'a pas hésité à parler dans la cathédrale de Strasbourg de « proximité spirituelle entre la République et l’Eglise », et affirmant que « la fraternité républicaine est l’expression politique de la grande question biblique “Qu’as-tu fait de ton frère?” » Et plus loin : « Faire vivre les valeurs républicaines, qui sont aussi largement celles de l’évangile, constitue pour moi l’une des clés de ce renouveau que vous appelez de vos vœux. Même si elle est marquée par la sécularisation comme tous les pays occidentaux, même si elle a accueilli sur son sol les croyants de toutes confessions, qui contribuent eux aussi à sa richesse culturelle, la France est historiquement un pays de tradition chrétienne. »
Alain Juppé écrit lui sur son blog en réaction à « l'affaire » Morano : « Contre l’arrogance des bien-pensants qui se réclament bruyamment des racines chrétiennes de la France sans y être vraiment fidèles. Certes notre pays a des racines chrétiennes, ce qui ne veut pas dire qu’elles soient exclusives ! J’ai été élevé dans la religion catholique et j’y demeure attaché. C’est pourquoi j’ai retenu des Evangiles, des Pères de l’Eglise, de l’enseignement des papes que les valeurs chrétiennes, c’est l’amour du prochain, l’accueil de l’étranger, le respect de l’autre l’attention porté au plus petit, au plus faible, au plus pauvre. »
Un propos qui rejoint celui de Mgr de Germay, évêque d'Ajaccio, qui s'est récemment élevé contre les Corses qui voulaient interdire la fête de l'Aïd el Kébir au prétexte que l'île était une terre chrétienne. « J’invite ceux qui veulent défendre la culture chrétienne à découvrir la foi sur laquelle elle s’enracine. Comment en effet pourrait-on défendre la religion chrétienne en ayant une attitude contraire à l’Evangile ? L’éclairage de la foi chrétienne nous permet de reconnaitre en toute personne un frère ou une sœur en humanité dont la dignité est inaliénable », avait-il rappelé.
Un débat qui perdure
Aux côtés d'interventions qui, comme l'écrit Isabelle de Gaulmyn, ne sont pas utilisées dans un but défensif mais prouvent que « les chrétiens sont attendus par leurs concitoyens pour leur contribution à la société, "ici et maintenant". », Henri Tincq note que le « rappel insistant » des racines chrétiennes de la France « pour justifié et historiquement légitime qu’il puisse paraître (...) sert aussi à cautionner des attitudes morales et politiques –pas seulement électorales– beaucoup plus contestables, comme le rejet de l’immigré et la détestation de l’islam. »
Et de résumer sa pensée : « Pour les uns, surtout depuis l’affaire Charlie, la laïcité ne doit subir aucune transgression. Elle reste le seul, ou le plus efficace, rempart contre l’intégrisme religieux et la montée des communautarismes. Mais, pour les autres, une conception trop rigide de la laïcité et cette rupture consentie avec l’héritage chrétien de la France est le signe d’un abandon intellectuel, d’une lâcheté devenue périlleuse dans le contexte actuel de compétition entre «civilisations». Cette crainte n’est pas méprisable, mais à condition d’ajouter que l’invocation obsessionnelle des «racines chrétiennes» ne doit pas servir de prétexte à une volonté de restauration chrétienne, ou de xénophobie militante, ou de rejet d’un islam diabolisé. Elle devrait, au contraire, ramener à l’essentiel de la foi chrétienne, à savoir le souci de l’autre, de l’étranger, du plus vulnérable, puis renvoyer chacun, croyant ou non-croyant, à un supplément d’humanité, à une tradition d’intégration dont on sait qu’elle a été léguée par 2 000 ans d’histoire chrétienne et européenne. »