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Des bons hommes au destin tragique.

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Josué

Josué
Administrateur

Des bons hommes au destin tragique
Par Aurélie Gaullet-Moissenet - publié le 11/01/2017

La religion cathare représente la plus importante hérésie qu’eut à affronter l’Église au Moyen Âge. Vingt ans de croisade et un siècle d’Inquisition ont été nécessaires pour qu’elle disparaisse totalement.L’histoire des cathares a longtemps été connue à la seule lumière des textes produits par ceux qui leur étaient hostiles, comme les ouvrages de réfutation des hérésies et les archives de l’Inquisition. La découverte, au XXe siècle, de manuscrits cathares écrits en latin et en occitan, exhumés par les travaux du dominicain Antoine Dondaine, traduits et publiés par le romaniste et philosophe René Nelli, ont offert de connaître la teneur réelle des croyances cathares et d’en renouveler totalement notre vision.

Le mot « cathare  » est lui-même issu de la dénonciation hérétique : du grec catharoi, « pur », il désignait ironiquement les «  fous de pureté ». Les cathares se nommaient entre eux « les bons chrétiens », « les bons hommes » et « les bonnes femmes », ou encore « les pauvres du Christ », car ils se vivaient comme les successeurs des apôtres et les représentants de la vraie Église du Christ.

Les origines du catharisme restent difficiles à démêler. Certainement remontent-elles au moins à l’an Mil. Tout le XIe siècle est en effet porté par le rêve d’un retour aux idéaux de l’Évangile et aux sources de la vie apostolique. L’Église romaine elle-même canalise ce mouvement par la réforme grégorienne. Cependant, subsiste un fonds commun de contestation chrétienne de l’Église dominante qui s’exprime par une religiosité dissidente… et les premiers bûchers : en 1022, les chanoines de la cathédrale d’Orléans, reconnus coupables d’hérésie, sont brûlés sur ordre du roi Robert le Pieux.

Les premières communautés cathares occidentales apparaissent dans l’archevêché de Liège et en Rhénanie avant le milieu du XIIe  siècle. Après cette date, les mentions d’hérétiques relevant du catharisme se multiplient dans le monde chrétien : Champagne, Bourgogne, Flandres, Toulousain, Agenais, Italie, Bosnie, Grèce, Bulgarie… Le phénomène est européen.

Un christianisme dualiste

Violemment réprimées, les communautés dissidentes parviennent néanmoins à s’implanter durablement en Italie et en Occitanie (de la Catalogne au Quercy), soutenues par l’aristocratie seigneuriale et par la bourgeoise marchande. C’est ce catharisme occitan qui demeure le mieux connu – son anéantissement, achevé au début du XIVe siècle, ayant produit de nombreuses traces écrites.

L’étude des sources émanant des clercs romains a longtemps laissé croire que les cathares étaient des néo-manichéens, soit des disciples de Mani, fondateur au IIIe siècle, en Perse, d’une religion dualiste* dont saint Augustin avait magistralement ruiné l’édifice intellectuel dans La Cité de Dieu. La tentation était donc grande, au Moyen Âge, de rattacher au manichéisme toute dissidence, les arguments pour la combattre se trouvant à portée de main. Les historiens médiévistes reconnaissent aujourd’hui unanimement dans le catharisme un christianisme totalement détaché du manichéisme.

La réflexion théologique cathare, portée par des clercs lettrés, est en effet parfaitement fondée sur les Saintes Écritures. Elle s’appuie sur l’Évangile et sur l’Ancien Testament, à l’exception de la Genèse. Tous les écrits postérieurs (Pères de l’Église, actes des conciles), considérés comme œuvres des hommes et non de Dieu, sont récusés. Exégèse à caractère spirituel des Écritures, la pensée cathare élabore un système religieux à rebours du système dominant de l’Église romaine.

La théologie cathare découle d’une réflexion sur l’origine du mal. Dieu, identifié au Bien et tout-puissant dans le Bien, est le créateur du Royaume, c’est-à-dire de ce qui est réellement, mais qui reste invisible aux yeux de chair. Le monde visible, lui, n’est que souffrance, violence, corruption, mort. Il n’est donc pas l’œuvre du vrai Dieu, mais de l’ordonnateur du néant, le prince du Mal, qui coexiste avec Dieu tout en lui étant indépendant. C’est dans sa cosmogonie que le catharisme est un dualisme, biais instrumentalisé par l’Église romaine pour en faire un manichéisme et mieux l’abattre. Or, les cathares ne reconnaissent bien qu’un seul Dieu.

Poursuivons cette (modeste) exploration du mythe cathare fondé sur le récit de l’Apocalypse de saint Jean. Un jour, le Mal, sous la forme d’un dragon, a cherché à pénétrer dans le Royaume, mais l’archange Michel l’a repoussé. Au moment de sa chute sur terre, le Dragon est néanmoins parvenu à emporter avec lui des créatures divines, dont il a emprisonné les âmes dans des tuniques de chair, afin qu’elles oublient le Royaume.

Mais Dieu, dans son infinie bonté, a envoyé le Christ sur terre pour semer les graines de mémoire dans la terre d’oubli en annonçant la Bonne Nouvelle : c’est Dieu, le Père de toutes les âmes, citoyennes célestes à son image, donc infiniment bonnes aussi. Le Royaume des Cieux leur est promis à toutes. Quand elles seront toutes sauvées, le monde illusoire d’ici-bas s’effondrera, car, œuvre du Mal, il est voué à l’échec, l’éternité participant du Bien, donc du Royaume. Le catharisme se présente fondamentalement comme une théologie optimiste de la libération du mal par le Christ et par son Église.

Une véritable contre-Église

L’accès au Royaume passe par le baptême par imposition des mains, le consolament en occitan, qui vaut également ordination. Sacrement unique, il est délivré à des adultes seulement. Le consolament libère du mal en transmettant le souffle de l’Esprit Saint et fait du baptisé un citoyen du Christ, qui s’engage à agir dans le Bien en suivant la voie de justice et de vérité (obéir strictement aux préceptes évangéliques). Ce rite est directement tiré du récit de la Pentecôte : le Christ a confié aux apôtres le pouvoir de lier et de délier les péchés par le souffle de l’Esprit Saint et les bons hommes poursuivent cette mission apostolique.

C’est donc par les bons hommes que passe le salut divin et l’Église cathare se conçoit comme la vraie Église. Dirigée par une hiérarchie non centralisée d’évêques et de diacres, elle s’appuie sur un réseau dense de maisons communautaires regroupant des religieux ou des religieuses réguliers remplissant également la mission séculière de prédication par l’exemple de leur vie évangélique. Leur implantation dans la population est profonde, notamment parmi les élites en demande d’une approche directe et personnelle de la Parole de Dieu.

La notion de salut universel promis à chaque âme par les cathares s’oppose aux notions de Jugement dernier et de damnation éternelle brandies par l’Église romaine, dont l’eschatologie se révèle finalement assez dualiste, entre Paradis et Enfer. L’Église des bons hommes s’oppose également au dogme de la résurrection de la chair : œuvre du mauvais, la chair demeurera dans le mauvais. C’est l’âme qui rejoint le Royaume pour y retrouver son corps de lumière abandonné au moment de sa chute sur terre avec Satan. C’est pourquoi les cathares prônent l’abstinence la plus stricte, la reproduction étant une astuce du mal pour prolonger sans fin la captivité des âmes ici-bas.

Leur interprétation du rôle et de la nature du Christ diffère elle aussi totalement de celle de l’Église romaine. Alors que celle-ci voit en Jésus le Fils de Dieu fait homme, venu sur terre afin de souffrir et mourir pour la rémission du péché originel, l’Église cathare, qui rejette la notion de péché originel, voit dans le Christ le messager du Royaume dont la Passion est la conséquence de sa mission. Le Christ a été persécuté dans ce monde, parce que ce monde est mauvais. Les bons hommes n’affichent aucun respect de la croix, instrument de mort et non signe de vie à leurs yeux. D’ailleurs, le Christ, dont la nature est purement spirituelle, n’a pris qu’une apparence humaine. En rejetant le dogme de l’Incarnation, les cathares dénient toute valeur à la pierre angulaire du christianisme romain, le sacrement de l’eucharistie.

Une répression implacable

Entre l’an Mil et le XIIe siècle, le catharisme va peu à peu endosser le rôle de suprême hérésie, car l’Église romaine perçoit bien le danger que représente cette véritable contre-Église. Rome instrumentalise l’hérésie pour affermir son idéologie théocratique, le pape aspirant à se faire reconnaître et craindre comme l’unique représentant de Dieu sur terre. La lutte contre l’hérésie cathare représente ainsi pour l’Église catholique, tout au long du XIIIe siècle, un levier majeur du processus de centralisation et d’affirmation du pouvoir pontifical.

C’est donc avec une implacable détermination que son Inquisition – créée en 1231 – anéantira un à un les cathares après l’échec de la croisade contre les Albigeois (1209-1229) à les soumettre. En 1321, le dernier bon homme dépositaire du consolament, Guilhem Bélibaste, est brûlé vif au château de Villerouge-Termenès, propriété de l’archevêque de Narbonne. L’Église romaine « qui possède et qui écorche » a eu raison de l’Église cathare non violente « qui fuit et qui pardonne », selon l’expression de Pierre Authié, cathare brûlé en 1310.

http://www.lemondedesreligions.fr/une/des-bons-hommes-au-destin-tragique-11-01-2017-6070_115.php

Josué

Josué
Administrateur

De l’aveu même d’Innocent III, la corruption généralisée au sein de l’Église explique le foisonnement de prédicateurs itinérants et la propagation d’idées dissidentes, surtout en France du Midi et en Italie du Nord. La plupart sont cathares ou bien vaudois. Le pape fustige la prêtrise, coupable à ses yeux de ne pas enseigner le peuple: “Les petits réclament du pain que tu n’as pas soin de leur rompre.” Toutefois, au lieu de promouvoir l’instruction biblique, Innocent III affirme que “l’Écriture sainte cache un sens tellement profond, que non seulement les gens simples et ignorants, mais même les savants ne parviennent pas toujours à l’expliquer”. La lecture de la Bible est proscrite pour qui n’appartient pas au clergé, encore doit-elle se faire en latin!
Pour contrecarrer l’activité des prédicateurs itinérants dissidents, le pape approuve la fondation de l’ordre des Frères prêcheurs ou dominicains. À l’inverse de l’opulent clergé, ces moines sont à leur tour mandatés comme prédicateurs itinérants pour défendre l’orthodoxie catholique contre les “hérétiques” du Midi. Des légats sont également envoyés par le pape pour débattre avec les cathares et les persuader de rentrer dans le giron de l’Église. C’est peine perdue. Aussi, en réaction à l’assassinat de l’un de ses légats — par un hérétique, suppose-t-on —, Innocent III lance en 1209 l’appel à la croisade contre les albigeois. Albi est alors l’un des fiefs du catharisme, et c’est sous la désignation d’albigeois que les chroniqueurs de l’Église engloberont tous les “hérétiques” de la région, vaudois compris

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